Paris, 28 février 1944.

Depuis un moment, le courant passe moins bien entre Hannah et Friedrich ; depuis l'autre jour, la jeune femme est devenue un peu distante ce qui déplaît à l'Allemand qui passe plus de temps à son travail. Mais cette distanciation nuisant au travail d'Hannah, la jeune femme tente tout de même de recoller les morceaux petit à petit. Pour que son amant ne suspecte pas une appartenance à la Résistance, Hannah a joué la carte des sentiments et la difficulté malgré la situation à accepter d'être sous le contrôle d'autres personnes. 

Elle garde confiance, la libération se prépare doucement mais surement. L'opération Jéricho a eu lieu il a dix jours ; les Anglais ont bombardé la prison d'Amiens pour libérer les résistants qui y étaient enfermés. Un peu partout en France, les actions de la Résistance se multiplient ; malgré les patrouilles et les enquêtes de la milice, les Français n'abandonnent pas facilement l'idée de combattre la tyrannie ennemie. Le Big Week a été lancé aussi, le Royaume-Uni et les États-Unis bombardent massivement les bases aéronautiques allemandes. L'armée d'Hitler perd de plus en plus de terrain et de batailles ; pourtant, l'accumulation des défaites ne semble pas faire peur aux Allemands et ils continuent malgré tout de tenir leur position en France.

Aujourd'hui, Friedrich et Bömelburg doivent recevoir un dossier important de leurs supérieurs en Allemagne ; c'est l'occasion parfaite pour Hannah et Romain d'en apprendre davantage sur la situation côté ennemi. Et pour les faire parler, ils ont la solution, les faire boire. Friedrich et Karl on suffisamment confiance envers les deux Français pour abuser un peu des bouteilles d'alcool pendant un dîner. 

Hannah doit rejoindre son amant pour déjeuner, c'est là qu'elle lui proposera alors un dîner chez eux avec Bömelburg et Romain. Elle se met en route vers le restaurant que l'Allemand a choisi. Une fois arrivée, elle rejoint Friedrich et elle s'installe en face de lui. Ils passent commande et commencent par discuter de broutilles. Friedrich fini par changer de sujet.

- J'ai un travail à te proposer, commence-t-il.

- Quel genre de travail ? Je te signale que j'en ai déjà un.

- Je sais que tu aimes beaucoup ton travail de libraire mais celui-ci est plus important et plus gratifiant. L'ambassadeur d'Allemagne à Paris a besoin d'une nouvelle secrétaire. Madame Hoffmann, son ancienne secrétaire est tombée gravement malade d'un fléau qui ne peut être soigné ; elle est assignée à résidence et ne pourra pas reprendre le travail un jour.

- L'ambassade ?

- Oui l'ambassade ; au début je souhaitais te faire intégrer au quartier général mais Karl dit qu'il vaut mieux ne pas mélanger relations personnelles et travail. C'est lui qui a proposé l'ambassade, Otto Abetz, l'ambassadeur approuve la proposition. Mais bien-sûr, tu n'es pas obligée d'accepter si tu préfères garder ton travail de simple libraire.

- C'est vraiment très gentil de votre part de faire ça pour moi, mais il faut que j'y réfléchisse.

- Bien entendu, mais tu dois me donner une réponse avant la fin de l'après-midi. Abetz souhaite que tu commences dès demain.

- Demain ? C'est vraiment court pour prendre une telle décision.

- Ne passe pas à côté de ça Hannah, c'est une occasion que tu ne recroiseras peut-être jamais.

- D'accord, je vais y réfléchir et je passerai te voir dans l'après-midi pour te donner ma réponse. 

Pour Hannah, il est évident qu'elle doit accepter ce poste. Entre la Gestapo et l'ambassade d'Allemagne, l'accès aux informations ne sera que plus efficace. C'est le meilleur moyen de connaître dans les moindres détails les actions des Allemands non seulement en France, mais aussi en Europe et ainsi préparer au mieux Overlord. Mais elle doit consulter Romain avant d'accepter.

Après leur déjeuner, elle se met en route pour la librairie dans laquelle elle travaille, où l'attend Romain. Les deux Français ont prévu de s'y retrouver et c'est l'occasion de parler de la proposition des Allemands à Romain mais aussi à Henry, l'employeur d'Hannah, lui aussi résistant et grand ami de Pierre. Une fois arrivée, les trois résistants n'attendent pas que le temps passe et se mettent dans l'arrière-boutique pour faire part des dernières informations ; et vient le tour d'Hannah.

- Friedrich m'a proposé un post à l'ambassade d'Allemagne, commence-t-elle.

- Que lui as-tu répondus ? demande Henry.

- Je lui ai dit que je devais y réfléchir mais il m'a dit de lui donner ma réponse avant la fin de l'après-midi.

- C'est risqué, remarque Romain.

- Je sais, mais l'accès aux informations des Allemands ne sera que meilleur. Je pense que c'est un risque à prendre.

- J'ai entendu dire que l'ambassadeur Abetz est loin d'être quelqu'un qu'on manipule et il accorde difficilement sa confiance aux gens.

- C'est Karl qui lui a proposé de me prendre et il a accepté immédiatement, je pense qu'il lui fait entièrement confiance.

- Alors tu devras impérativement gagner sa confiance toi aussi.

- C'est prévu. Vous êtes avec moi donc ?

Henry jette un regard furtif à Romain.

- Oui, nous sommes avec toi, tu peux dire à ton Allemand que tu acceptes le poste.

Hannah acquiesce d'un mouvement de tête. Ce nouveau travail ne peut être que bénéfique pour leur action à condition qu'elle se montre prudente et discrète. Et elle y a déjà réfléchi, elle ne commettra aucune imprudence ; si avec Friedrich et Karl, elle a tendance à voler les documents, avec l'ambassadeur ce serait une grossière erreur. Elle devra se contenter de retenir les informations qu'ils contiennent pour les transmettre par la suite à ses contacts.

Vers dix-sept heures, elle rejoint rapidement Friedrich au quartier général de la Gestapo pour lui faire part de sa décision. L'Allemand se réjouit de savoir que sa compagne va se mettre au service de son pays.

Hannah retourne ensuite dans l'appartement que le réseau de résistance occupe dans le cinquième arrondissement. Les membres du réseau ont prévu de s'y retrouver pour célébrer discrètement leur avancée sur la libération du pays. Pour la Résistance, chaque action est un nouveau pas vers la libération de la France, la fin de la guerre et la défaite des Allemands. Elle arrive dans l'appartement où elle est accueillie par les nombreux hommes et femmes présents. Le plus jeune d'entre eux est un jeune garçon de quatorze ans, il participe à des missions d'espionnage et de sabotage. Romain s'approche d'Hannah et pose sa main sur son épaule pour la ramener contre lui.

- Mes amis, commence-t-il plein de joie, j'ai ici avec moi, non seulement la femme qui a dressé un SS et qui tient Bömelburg en laisse, mais aussi la nouvelle secrétaire de ce cher ambassadeur d'Allemagne !

Tout le monde applaudit, félicitant Hannah de son travail. La jeune femme a décroché les meilleurs moyens d'obtenir des informations de la Gestapo mais aussi de l'État directement. Ils fêtent ça tous ensemble de manière discrète pour ne pas se faire remarquer puis Hannah les quitte pour rejoindre Friedrich qui l'attend pour dîner.

Le lendemain, elle se rend à l'ambassade dans le septième arrondissement de la capitale. Elle se présente au gardien qui l'invite à monter dans le bureau de l'ambassadeur. Elle s'exécute et monte se présenter à son nouvel employeur. Elle n'a encore jamais vu Otto Abetz, mais son nom ne lui est pas inconnu. Il représentait déjà l'Allemagne en France avant la guerre, avant d'être expulsé de France pour espionnage. Enfin de compte, c'est une espionne qui s'infiltre chez un espion. 

Hannah entre dans le bureau de l'ambassadeur, il l'invite à s'asseoir et lui explique les principes du travail qu'elle devra effectuer. Et c'est une chance pour elle car Abetz garde toujours sa secrétaire dans son bureau ; comme elle y passera bien plus de temps que lui, elle aura toujours la possibilité de consulter les documents qu'il ne lui permet pas de voir en temps normal. Mais elle va devoir se montrer très prudente, comme Henry l'a expliqué, Abetz est difficilement manipulable et est, en plus de cela, un connaisseur en matière d'espionnage.

Hannah attaque directement sa première journée de travail et prend note dans sa tête, de toutes les informations importantes qui lui passent entre les mains. En fin d'après-midi, Abetz quitte le bureau laissant un dernier morceau de travail à sa nouvelle secrétaire. Une fois sûre qu'il a bien quitté le bâtiment, Hannah s'installe à son bureau et commence ses recherches. Elle tombe sur un grand nombre de listes de noms et découvre ainsi qui est à l'origine des déportations en France. Elle trouve aussi un papier moins rassurant, un télégramme indiquant l'endroit où Pierre Brossolette se cache avec Émile Bollaert dans le Nord du Pays.