Chapitre 5 - Sympathiser avec les Allemands

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Paris, 10 février 1944.

La guerre se poursuit en cet hiver de 1944 ; les Alliés continuent de gagner du terrain. Le mois de janvier a été rude, les débarquements en Italie ont été un succès et le Royaume-Uni et les États-Unis poursuivent la libération du pays voisin de la France. En France, la milice redouble d'efforts pour lutter contre la Résistance, ils ont étendu leur action en zone Nord. Hannah poursuit discrètement son travail dans le dos de Friedrich qui ne se doute de rien. Cependant, le déplacement de certains papiers qui étaient sur le bureau de Bömelburg quand Hannah est venue y faire un tour, laissent l'Allemand douteux. Bömelburg commence à suspecter la présence d'une taupe chez les SS mais pour l'instant, ses doutes ne se tournent pas vers Hannah. Romain a demandé à la jeune femme de se montrer plus discrète comme elle le lui avait demandé suite à ses découvertes. Hannah a de plus en plus de difficulté à faire disparaître les ordres de déportations, Friedrich a commencé à les apporter lui-même à Brunner pour s'assurer que le courrier ne disparaisse pas comme par magie. Malheureusement, avec l'initiative de Friedrich, le soixante-septième convoi est parti le 3 février au petit matin avec mille deux cent quatorze prisonniers en direction d'Auschwitz.

Hannah ne perd pas espoir pour autant. Il y a quelques jours, elle a reçu un télégramme de Pierre ; cela faisait un moment qu'elle n'avait pas eu de ses nouvelles et ce courrier était un peu rassurant. Ce télégramme a apporté une nouvelle importante : celle de la programmation de la libération du pays. Au sommet de la Résistance, nos chers Français ont fixé le plan Overlord, qui mettra en place le débarquement, l'invasion et la libération de la France dans les prochains mois. Si tout se passe bien, la guerre sera bientôt finie en France. Mais cette opération demande le soutien de toute la Résistance qui doit permettre aux Alliés d'entrer dans le pays le plus aisément possible. Hannah est prête, prête à sauver son pays de la tyrannie nazie. Elle a immédiatement fait part du message à Romain et le jeune Français a comme sauté de joie. Le fait de voir les Allemands perdre du terrain un peu plus chaque semaine les pousse à se battre davantage pour leur pays. Ils veulent être là quand les Français libéreront Paris de l'emprise nazie ; et ils seront là.

Hannah a pris le soin de confier le télégramme à Romain pour être sûre que Friedrich ne tomberait pas dessus. Si les Allemands découvrent ce plan, tout tombe à l'eau. De plus ils se doutent que les Alliés ont pour projet de libérer le pays ; les résistants doivent s'assurer qu'ils n'obtiendront rien qui puisse nuire à Overlord.

Maintenant Hannah se prépare à se rendre dans un petit restaurant près du quartier général de la Gestapo pour déjeuner avec Friedrich et Bömelburg. Elle quitte l'appartement et se dirige vers les Tuileries. Le parc est assez fréquenté, principalement par les Parisiens mais la présence des Allemands augmente de plus en plus chaque semaine. Ils se sont approprié Paris et ne cessent de le faire savoir à ses habitants. Hannah traverse le jardin quand un corbeau vient se poser devant elle : un corbeau toujours aussi sombre. Depuis l'arrivée des Allemands, leur nombre ne cesse d'augmenter ; ces créatures chapardent les hommes et nuisent à la vie des autres oiseaux endémiques de la région parisienne. L'oiseau s'envole aussitôt et disparait dans les arbres comme les SS se volatilisent dans les rues lorsqu'ils attendent l'arrivée et l'arrestation d'un résistant.

Hannah poursuit sa route à travers Paris jusqu'à arriver sur son lieu de rendez-vous. Elle retrouve les deux Allemands accompagnés de Romain. Face au questionnement d'Hannah, Bömelburg lui fait savoir qu'il lui a proposé une partie de cartes juste après le déjeuner. Hannah regarde Romain en désapprouvant la situation ; même s'il a enfin réussi à gagner la confiance des Allemands, elle lui a demandé, presque ordonné d'être prudent.

Les quatre adultes entrent dans le restaurant et s'installent à table. Se méfiant toujours de Romain, Friedrich parle des actions de la milice sur la Résistance sans trop en dévoiler. Romain semble comprendre son objectif et reste neutre, il soutient Friedrich en lui disant "que les miliciens se comportent en héros en combattant ces criminels". Hannah reste silencieuse et lance, de temps à autre, des regards de mise en garde à son ami.

- Brunner m'a confirmé le départ d'un convoi ce matin., commence Bömelburg.

- Avec combien de prisonniers ? demande Friedrich.

- 1500 exactement.

- Alors j'ai bien fait de transmettre moi-même l'ordre à Brunner, même si cela m'oblige à faire le déplacement jusqu'à Drancy chaque fois.

Hannah et Romain se regardent discrètement ; avec l'initiative de Friedrich, ils ne pourront plus retarder les déportations vers Auschwitz, ce qui implique que leur mission est un échec. 

Ils poursuivent leur repas puis jouent aux cartes pendant une bonne heure. Pendant ce temps, ni Friedrich, ni Bömelburg ne parlent des actions des Allemands que ce soit en France ou ailleurs en Europe. Karl a simplement souligné que l'avancée soviétique devient de plus en plus préoccupante.

En début d'après-midi, après avoir laissé Friedrich et Karl, Hannah et Romain se rendent dans leur appartement du cinquième arrondissement pour retrouver Jacques Bingen. Le résistant les a appelés pour leur parler de Pierre. Hannah est inquiète, Pierre est actuellement dans une mauvaise posture et personne ne sait s'il a réussi à gagner Londres. Dans le télégramme qu'il lui avait envoyé, il ne parlait que du plan Overlord, il ne donnait pas de nouvelles de lui, pas même une petite phrase pour faire savoir s'il se portait bien.

Ils arrivent dans le salon où leur patriote est installé dans un fauteuil. Les deux Français s'installent à leur tour.

- Tout se passe bien de votre côté j'espère ? demande Jacques.

- Pas vraiment, l'une de nos missions est un échec, informe Hannah.

- Comment ça ?

- Friedrich Strauss a décidé d'apporter directement les ordres de déportation à Drancy et comme il les garde dans un endroit que je ne connais pas, je n'ai plus la possibilité de les prendre.

- Ou alors il se rend à Drancy dès qu'on le lui transmet ajoute Romain.

- Dans ce cas, il va falloir qu'on fasse le nécessaire pour que les trains ne partent plus. Avez-vous réussi à savoir ce qui se passe à destination des déportations ?

- Non, Friedrich à l'air de le savoir mais il refuse de me dire quoi que ce soit.

- D'accord. Mis à part ça, je vous ai fait venir pour une autre raison. Pierre n'a toujours pas rejoint Londres. Les Allemands surveillent les plages et les pistes de décollage. Il est recherché nuit et jour par la Gestapo et par la milice, il est avec Bollaert et le fait d'être ensemble leur permet difficilement de passer inaperçus. Un grand nombre des gens qui sont restés dans le Nord, sont des collaborateurs ou simplement des opportunistes qui attendent simplement que la guerre passe, peu importe le vainqueur. Nous perdons de plus en plus d'hommes et de femmes dans nos rangs. Avec Jacques Buissière nous avons lancé une propagande pour tenter d'enrôler les jeunes principalement mais aussi les plus vieux qui ne se sont pas encore manifestés. Nous le faisons autant dans le Nord que dans le Sud du pays, mais Vichy nous ralentit avec sa propagande et ses valeurs qui vont complètement à l'opposé de la République et des droits de l'homme. On va essayer de notre côté d'enrôler de nouvelles personnes, annonce Romain.

- Faites-le si vous le pouvez car le plan Overlord nécessite une préparation minutieuse et beaucoup de personnes pour transmettre les différents messages. Il faut aussi prévoir la libération de Paris. Elle peut se faire en venant de l'extérieur mais également de l'intérieur. Comportons-nous en soumis et le jour venu, nous les prendrons à revers quand ils s'y attendront le moins.

- Nous ferons en sorte que la Résistance comprenne dans ses rangs le plus grand nombre de Français possible, ajoute Hannah.

- Je vous demande de faire attention à vous. 

Jacques leur donne de nouvelles instructions et les endroits où ils pourront trouver les journaux de propagande pour les distribuer le plus discrètement possible. Les deux résistants acquiescent puis ils quittent l'appartement laissant Jacques seul. Les jeunes Français se décident à se rendre chez Romain. Ils traversent Paris, allant du cinquième arrondissement de la capitale jusqu'à la Basilique du Sacré Cœur de Montmartre, monument récent, à l'architecture remarquable, proche du lieu de résidence de Romain. Ils montent jusqu'au quatrième étage d'un bâtiment donnant sur le boulevard de Rochechouart. 

Romain ferme la porte derrière sa compagne et lui dit de se mettre à son aise. Il se dirige vers son tourne-disque ; il sort de la petite étagère un disque des chansons de Charles Trenet et il le pose sur l'appareil avant de le mettre en route. Hannah qui regardait l'avenue par la fenêtre du salon, se retourne vers son ami lorsqu'elle entend la musique se mettre en route.

- Pour masquer nos mots, explique Romain

- Je connais l'astuce, c'est surtout qu'il y a un moment que je n'ai pas eu l'occasion d'écouter les chansons de Trenet.

- Ce cher Strauss a un différend avec la musique française ?

- On peut dire cela comme ça oui. Les seuls disques sur les étagères sont des chansons allemandes, les miens sont soigneusement rangés car ils sont "de mauvais goût".

- Quel imbécile, comment peut-il dénigrer ainsi la musique française !

- C'est un Allemand, il n'aime que ce qui vient de son pays, à l'exception du vin et du fromage. 

- Alors on nous apprécie uniquement pour notre gastronomie.

- Pour la simple raison qu'aucun pays ne nous arrive à la cheville dans ce domaine.

Romain sourit en baissant la tête, il revient ensuite à lui et se dirige vers la bibliothèque qui surplombe la pièce. Il prend sur le cinquième étage un livre assez épais, à l'allure récente qui en tout cas, n'attire pas spécialement l'attention sur lui. De plus, le livre est posé sous une pile d'autres livres ; il est donc bien le dernier livre auquel un visiteur s'intéressait.

Romain apporte le livre et le pose sur la table sous le regard interrogateur d'Hannah. La jeune femme s'approche à la hauteur du meuble en bois ; Romain ouvre le livre, dévoilant le lieu où le jeune homme cache les informations qui concernent la Résistance ou les documents sensibles qui peuvent servir au réseau. 

- Tu as massacré un livre pour y cacher des documents, n'as-tu point honte ? demande Hannah sur un temps amusé.

- J'ai tendance à oublier que je travaille avec une libraire. Tu ne peux pas au moins reconnaître l'ingéniosité de mon idée ?

- C'est très malin de ta part. Un livre récent, qui n'attire pas l'œil, posé en haut de la bibliothèque sous d'autres livres et dans lequel tu as découpé le centre des pages pour faire un double fond... Oui c'est ingénieux mais tu n'es pas le seul à avoir eu cette idée, répond-elle tout en affichant un grand sourire pour taquiner son ami.

Romain sourit une nouvelle fois puis il reprend un air sérieux et montre certains documents à sa partenaire. 

Les chansons défilent, masquant la conversation des deux résistants aux voisins susceptibles de les écouter. Mais après plusieurs chansons, des ordres hurlés en allemand se font entendre dans la cage d'escalier. N'ayant pas verrouillé la porte et redoutant que les Allemands n'entrent sans prévenir, Romain s'empresse de remettre le livre et tous les papiers qu'il contient à sa place dans la bibliothèque. Il revient s'assoir dans un fauteuil, suivi d'Hannah et les deux Français entament une conversation pour laisser entendre qu'ils passent simplement du bon temps entre amis.

La porte de l'appartement s'ouvre d'un seul coup sur quatre officiers. Hannah et Romain affichent un regard surpris ; ils se lèvent calmement et Romain demande s'il peut aider en quoi que ce soit.

- Nous avons besoin de surveiller le boulevard pendant une ou deux heures, votre salon semble offrir un bon angle de vision, explique l'officier dans un français plus ou moins correct.

- Très bien, faites votre travail et dites-nous si vous avez besoin de quelque chose, répond Romain de manière très calme.

Le Français sait qu'il ne peut pas leur refuser l'accès à l'appartement, auquel cas, cela pourrait éveiller les soupçons ou leur causer des ennuis pour avoir refusé de coopérer avec les militaires.

Hannah ne montre pas d'inquiétude, elle a confiance en Romain et compte sur sa grande prudence pour que les Allemands ne tombent pas sur quelque chose de compromettant. 

La musique défile sur le disque et Ménilmontant commence. Un des officiers s'approche du tourne-disque.

- Qu'écoutez-vous donc ? demande-t-il.

- Charles Trenet, un de nos meilleurs chanteurs français je dirais.

- Cela à l'air joli, j'espère qu'il n'est pas Juif !

Les quatre hommes éclatent de rire et les deux résistants ricanent légèrement pour sous-entendre qu'ils les suivent ; mais intérieurement, seul le dégoût s'immisce en eux.

Une bonne heure passe pendant laquelle les six personnes présentes dans l'appartement entretiennent une conversation longue sur les différences entre la culture française et la culture allemande. Puis brusquement, les quatre officiers quittent rapidement l'appartement sans avoir donné la raison de leur venue. Mais les deux Français supposent qu'ils cherchaient probablement un résistant.

Le soir venu, vers vingt heures, Friedrich rentre enfin dans l'appartement qu'il partage avec Hannah. La jeune femme finit de préparer le dîner et l'Allemand s'installe à table avant d'être rejoint par Hannah. Elle raconte sa journée à son amant en mentant sur la plupart des choses, puis il fait de même. Hannah ne lâche pas son idée de comprendre ce qu'il se passe en Pologne.

- Karl a parlé d'un convoi de personnes ce midi, commence-t-elle.

- Oui c'est exact.

- Ces personnes vont en Pologne c'est ça ?

- Oui, pourquoi me demandes-tu cela ?

- Dis-moi, que leur arrive-t-il une fois là-bas ?

- Hannah, je ne peux pas t'en parler.

- Pourquoi ? Ça restera entre nous, ment-elle.

- C'est compliqué, ils font beaucoup de choses, mais ils sont bien traités, parce qu'ils sont utiles à notre société.

- Mais que font-ils ?

- Ils travaillent.

- Ils travaillent ? C'est tout ? Et tu n'as pas le droit de parler de ça.

- Ça concerne mon travail Hannah.

- Je croyais qu'il n'y avait pas de secret entre nous. Moi je te dis tout.

- Toi tu n'es pas en guerre contre quelqu'un, ton pays a perdu !

Hannah se lève d'un coup en serrant les poings.

- Je t'interdis de parler de mon pays comme ça, n'oublie surtout pas comment vous avez été humiliés il y a vingt-cinq ans. Vous n'avez aucun honneur, vous avez violé la neutralité de pays pour nous envahir, la façon dont vous avez gagné la guerre contre la France n'est en rien légitime ! Vous pensez posséder la France mais c'est une illusion dans laquelle vous vous bercez et le jour où toi et les tiens vous allez vous en rendre compte, je serai là et on verra si vous abordez encore une posture fière.

- Qu'est-ce que tu racontes, je croyais que tu étais de notre côté.

- De votre côté ? Friedrich je me suis adaptée à la situation. Mais je suis Française et je suis née dans le pays de la liberté et des droits de l'homme, parmi le peuple qui refuse la soumission et qui finit toujours par renverser les pouvoirs autoritaires. Nous nous battons depuis plusieurs siècles pour garder notre liberté et nous continuerons ce combat chaque fois que quelqu'un tentera d'entraver notre liberté qui nous est si chère. 

- On domine la situation, tu penses sérieusement que les gens de ton peuple peuvent avoir raison de nous ? On est supérieur à vous.

- Pour l'instant...

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