Chapitre 49

9 minutes de lecture

Les domestiques n’avaient pas trainé.

Le plus rapide avait été celui qui avait eu pour tâche d’organiser le transport de la nourriture. Outre le temps record qu’il lui avait fallu pour mettre la main sur un « joli » panier, il avait fait preuve de la plus grande vivacité quant à y entreposer les aliments une fois revenu dans les appartements enfumés par Lamia. Nul doute que sa concoction se trouvait être d’une redoutable efficacité sur les être-vivants.

De plus, la pupille et sa servante avaient pris grand soin de laisser le charriot garni dans la pièce aux émanations inquiétantes.

Les deux suivants avaient ramené et présenté aux deux femmes une ribambelle de nappes différentes, de couvertures brodées ainsi qu’une foule de fioritures inutiles. Évidemment, cela n’avait pas suffi pour les deux pestes qui y avaient fait rajouter maintes autres choses tout aussi inutiles. De verres d’un cristal épuré, en passant par un bouquet particulier qui ne se trouvait que dans leurs quartiers inutilisables pour quelques heures, et même un petit chien du nom de Purée qu’elles voulaient voir gambader dans une clairière.

Quant au dernier, eh bien, il avait tant couru que ses taches de rousseur en étaient devenues foncées sur sa peau rougie par l’effort. Cependant, au bas de Couliour les attendait un carrosse rutilant ainsi que quatre gardes de belle stature et à la présentation impeccable.

L’un des valets avait pourtant frémi lorsque Lamia s’était approché de l’un des hommes d’armes pour vérifier son menton.

Visiblement satisfaites, les deux femmes avaient félicité les domestiques pour leur travail. Un compliment qui leur avait arraché d’éclatants sourires. Sourires qui avaient bien vite disparu lorsqu’elles leur avaient annoncé qu’ils avaient gagné le privilège de servir la pupille le long de son séjour à Nabar.

— Alistair est réellement formidable ! s’était écriée Clare en grimpant la première dans le carrosse.

— Si prévenant, avait renchérit Lamia.

Sur ce, l’attelage s’était ébranlé, escorté des quatre soldats et des quatre valets. Évidemment, il s’en était fallu moins de cinq minutes avant qu’elles n’exigent un premier arrêt pour faire monter le petit chien nouvellement acquis. Le personnel, lui, continua de marcher.

Durant le trajet, les conversations superficielles allèrent bon train. Conversations ponctuées d’un débat erratique sur les différents coloris dont elles avaient l’intention d’attifer leurs nouveaux appartements.

Le soleil était au plus haut dans le ciel lors de leur départ et il leur fallut moins d’une heure pour atteindre la lisière du bois de Nabar. Rajoutant une autre heure pour trouver une clairière suffisamment grande afin que Purée puisse jouer, c’est sur les coups de deux heures de l’après-midi qu’elles furent proprement installées au beau milieu de cette trouée. Les gardes s’étant postés aux quatre coins de la clairière, il ne restait plus que les domestiques pour occuper le petit chien qui se révéla particulièrement joueur. Les trimballant d’un bout à l’autre de l’espace vert.

Durant ce temps, Clare et Lamia picoraient négligemment dans les mets parsemant la nappe sur laquelle elles se trouvaient. Éclatant de rire lorsque Purée effectuait une esquive particulièrement habile, le reste du temps, elles discutaient. Tout en alternant le volume de leurs voix, qu’elles se parlent à l’oreille ou non. Lorsque Purée les frôlait, poursuivis par les domestiques, ceux-ci ne pouvaient entendre que les derniers potins en vogue en Irile, les débats sur les dernières modes vestimentaires des duchés ou encore les nombreuses hypothèses sur l’embonpoint d’Alistair Rofocade. Allant même jusqu’à évoquer la possibilité d’un sosie maléfique ayant dévoré l’original.

C’est d’ailleurs à ce moment précis qu’un cavalier fit irruption dans la clairière. Manquant de renverser Mikel qui n’esquiva les sabots que d’extrême justesse. Les cris du pauvre domestique se mêlèrent à ceux des gardes qui accoururent des quatre coins de la clairière pour tenter d’intercepter l’intrus.

Cependant, c’est sans leur prêter la moindre attention qu’il s’arrêta à une quinzaine de mètres de la pupille et de sa servante pour descendre de cheval. Quinze mètres qu’il parcourut d’un pas rendu compliqué par la multitude de courbettes et de révérences qu’il leur adressa, pour ensuite leur tendre deux faire-part dans un flot d’excuses entrecoupées de flatteries. Toujours sans tenir compte des gardes, il rebroussa chemin, une nouvelle fois perclus de courbettes pour remonter à cheval avant de se lancer au galop. Forçant le pauvre Mikel à plonger de nouveau sur le côté.

Clare et Lamia échangèrent un regard amusé.

— Il ne perd pas de temps celui-là, fit remarquer la plantureuse brune.

La pupille acquiesça tandis que Lamia balayait d’un regard assassin les gardes qui venaient seulement de les rejoindre, essoufflés et pantelants.

— S’il y s’était agi d’un fou dangereux, ma dame et moi-même ne serions plus de ce monde à l’heure qu’il est ! gronda-t-elle.

— Nous sommes dans le bois de Nabar, votre seigneurie…, osa l’un d’entre eux avant de se figer sous les yeux de biche étrécis de la dame de parage.

— Est-ce une piètre excuse ? demanda-t-elle avec l’air mauvais.

Le garde se décomposa.

— Peut-être que si mes hommes et moi nous rapprochions…

Clare l’arrêta d’un geste de la main, son regard s’agrandissant de stupéfaction alors qu’elle balayait les alentours.

— Lamia ! s’inquiéta-t-elle. Cet homme n’est-il pas l’un des meilleurs soldats de Couliour ? J’avais demandé les meilleurs pour ma protection !

— Ils le sont, ma dame. Ils le sont.

— Alors pourquoi n’ont-ils pas pu intervenir ?

— Ils n’ont pas couru assez vite, ma dame. Pour palier à ce manque de forme physique, ils demandent à se… rapprocher.

— Il en est hors de question ! Lamia, fais quelque chose !

Cette dernière acquiesça avant de prendre le temps de la réflexion. Tout en détaillant les quatre hommes qui ne tardèrent pas à échanger des regards anxieux.

— Un manque de vitesse, réfléchit-elle à voix haute. Ces armures doivent gêner leurs mobilités. Je ne vois donc qu’une solution.

Elle claqua des doigts alors que se dessinait un tendre sourire sur son beau visage.

— Il faut les enlever !

Alors que les gardes reprenaient leurs postes pour s’exécuter, les deux femmes détaillèrent les faire-part que venait de leur apporter le cavalier. Leurs invitations formelles au dîner royal de ce soir avec la signature d’Alistair Rofocade en personne.

— François et Artance de Nabar nous convient à leur table, ma dame ! s’extasia Lamia. Je ne m’attendais pas à être considérée comme une invitée de marque.

— Voyons Lamia, la morigéna Clare. Tu es la plus grande couturière d’Irile. Les ducs et duchesses s’arrachent tes œuvres à prix d’or. Il aurait été inadmissible de ne pas te convier à ce dîner.

— Qui plus est, je suis votre… dame de parage !

— Oh oui, Lamia, tu l’es…

Aux abords de la clairière, les gardes continuaient de se dévêtir tandis que Purée éloignait les domestiques à grandes courbes enthousiastes.

— Nos accompagnants sont… surveillés, lâcha enfin Lamia en enlevant une petite herbe des courts cheveux de la pupille.

— Il est très possible que nous le soyons aussi, acquiesça Clare en attrapant une part de faisan pour la mordiller distraitement.

— Alistair est natif d’Irile, ma dame. Et au vu de l’histoire de sa famille, il en sait beaucoup au sujet des tourmenteurs. Assez pour garder nos jolis nobles sous bonne garde. Voilà bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas… Comme vous le dites, il y a des chances que les murs de nos quartiers aient des oreilles et cela se vérifiera… très vite.

Les lèvres de Clare frémirent.

— J’imagine que tu en as mis plus qu’il n’en faut pour éloigner les abeilles potentielles.

— J’en ai mis suffisamment pour nous éviter les soucis de blattes, de termites… ou autres…

— Excellent.

Un court silence s’installa où la pupille s’évertua à attraper un papillon. Ceci sous la mine attendrie de sa compagne. Dans le même temps, Purée fit une embardée qui précipita le pauvre Mikel au sol. Le domestique avait la peau si rouge que ses taches de rousseur n’en étaient même plus visibles.

— Je ne pense pas qu’Alistair nous soupçonne à ce niveau-là, finit par déclarer Clare en souriant au papillon qui revenait vers elle. La pupille, ainsi que la plus grande créatrice d’Irile… Trouver un tourmenteur n’est pas tâche aisée. Notre Cour est encore plus sujette aux soupçons que nous ne le serons jamais.

L’insecte vint se poser sur le dos de sa main et elle le porta en direction du soleil. Faisant jouer ses rayons sur les ailes colorées qui battaient le temps d’un clin d’œil et sans constance.

— Je vois où vous voulez en venir, ma dame. Vous pensez qu’Alistair nous surveille de manière à être certain que nous en sachions le moins possible sur ce qui se passe ici.

— C’est cela, Lamia, acquiesça une nouvelle fois la pupille. Toutes ces précautions à l’encontre de notre Cour, ainsi que la possible surveillance de nos quartiers. Elle souffla doucement sur les ailes du papillon qui frémirent sous cette douce brise.

Il se passe quelque chose de grand dans les Baronnies. Mon instinct me le crie. Et Alistair espère que nous nous en tenions à nos rôles sans rien apprendre de fâcheux.

— J’aime à découvrir les fâcheux… secrets, ricana Lamia.

— Je le sais, Lamia. Et cela tombe bien car c’est là une partie de notre mission.

Elle souffla avec plus de force sur le papillon et le regarda s’envoler. À l’autre bout de la clairière, Purée mordillait la cheville de l’infortuné Mikel qui venait de chuter une nouvelle fois.

Les trois autres domestiques cernaient ce combat inégal.

— Et s’il se trame quelque chose de plus « grand » derrière cette attaque de la caravane par les Rolfs ? Et si nous découvrons quelque chose de… « facheux » ?

C’était Lamia qui venait de soulever cette interrogation tout en mâchonnant une feuille de salade. Clare soupira en tombant mollement sur le dos, les bras le long du corps.

— Nous les soutiendrons, comme notre alliance future nous y oblige. En lumière, mes fiançailles avec Lorain seront annoncées et célébrées tandis que dans l’ombre, nous informerons la Main de la situation exacte des Baronnies.

— J’imaginais quelque chose de plus… trépidant.

— Cela peut venir, Lamia…

Le silence revint alors que cette dernière se mettait sur le ventre, les coudes verrouillés tout près de la tête de la pupille. Avec nonchalance, elle entreprit de tresser ensemble quelques-unes de ses courtes mèches blondes.

— Que pensez-vous de Lorain, ma dame ?

Les lèvres de la pupille se tordirent sous l’effet de cette question. Son regard de loup alla se river dans les yeux de biche de sa compagne.

— Je pense que tu ne vas pas pouvoir faire preuve de tes talents à son encontre.

— Il est vrai que vous auriez pu tomber… plus mal. Ceci-dit, je suis plus que curieuse de rencontrer Artance de Nabar, la baronne. J’ai ouï dire d’elle si peu de… compliments à part sa beauté, que mes talents seraient peut-être nécessaires…

— Mmhh…

Cette simple onomatopée fut tout ce que Clare trouva à répondre. Elle se demandait quelles relations Lorain entretenait-il avec ses parents. De même que son regard perdu vers les Contrées Chantantes qui continuait de la hanter.

— De plus, ses goûts en matière d’art sont particulièrement contrastés, continuait Lamia. Il m’est d’avis que la collection massive et irréfléchie soit sa seule… motivation. Histoire d’en jeter le plus possible à la vue de ses invités.

— Ah oui ?

— N’avez-vous pas écouté les descriptions d’Alistair, ma dame ? Alors que nous emboitions ses petits pas à travers ce dédale de pièces aux ambiances… variées.

— Et donc ?

Un claquement de langue sec retentit alors que Lamia manifestait ouvertement son agacement au manque d’attention de la pupille dans le cadre le leur mission. Celle-ci se mordit la lèvre car elle n’avait aucune excuse. S’il y avait bien une chose sur laquelle son amie ne badinait pas, c’était ce qui avait attrait à sa condition de tourmenteur.

Après un instant, elle poursuivit.

— Lors de cette visite guidée, il clôturait presque chacune de ses anecdotes en citant Artance de Nabar. Elle est à l’origine de l’aménagement du château et le baron François de Nabar semble se plier en quatre pour elle.

Clare acquiesça distraitement en repensant aux paroles de Lorain quelques heures plus tôt à l’attention d’Alistair.

N’êtes-vous pas d’avantage le bras droit de ma mère plutôt que du baron, lui-même… ?

— Cela nous sera certainement utile, Lamia. Je tâcherai d’être plus concentrée.

— Oh, mais je n’en doute pas…, ma dame.

Sur ce, elle fit retomber sa chevelure auburn sur le visage de la pupille qui poussa un petit cri d’indignation.

— Je peux savoir ce qu’il te prend ?

La dame de parage ricana.

— Il est temps de ramener Purée, ma dame. Si nous voulons avoir le temps de nous préparer pour le dîner. De plus, nos quartiers seront lavés de tout insecte et je suis également curieuse d’en découvrir les dépouilles…

k

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire t-sabe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0