Chapitre 39

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Une fine bruine tombait, mouillant les vêtements et les rendant incommodants pour tout mouvement. Le vieux maître Cène gémissait doucement et Cormack craignait que ce temps peu clément aggrave sa fièvre qui avait fait son apparition quelques heures avant. Les pins avaient depuis longtemps laissé place à une végétation riche en hautes fougères, grandes comme deux hommes à certains endroits.

Au vu des évènements, ils faisaient preuve de la plus grande prudence. Avançant lentement, ils s’attendaient à tout moment à ce qu’un guerrier Rolf, armé jusqu’aux dents, les surprenne en surgissant de l’épais rideau qui les entourait et leur cachait la vue.

C’est bien cette initiative qui les préserva d’une chute de plusieurs mètres en contrebas. Un pan de terre et de cailloux, fortement incliné, faisait obstacle à la plaine qui s’étendait à perte de vue face à eux. Loin, très loin devant, ils pouvaient voir ce gigantesque barrage à leur destination, extrême limite de cette immensité et frontière naturelle entre les Contrées Chantantes et Marchandes. La chaîne des Monts Sciés. Une succession de montagnes à la hauteur difficilement appréciable et à l’allure menaçante, tellement elles semblaient… coupantes. Leurs pics acérés donnaient une impression de gigantesques masses d’armes difformes. D’horribles fléaux, hérissés de pointes inégales, sortis tout droit d’esprits à l’imagination tordue. Une frontière cauchemardesque qui portait à croire qu’elle constituait la limite au royaume des morts ou à un univers glauque peuplé d’abominations.

Évidemment, en fonction de l’estime que l’on portait aux habitants des duchés, des Baronnies et de la Cité Marchande, cela pouvait s’avérer plus ou moins proche de la réalité.

— Alors voici les plaines de Dunam, souffla Caes.

Kappa acquiesça sans dire un mot. Cormack, lui, retint son souffle. Les plaines de Dunam, théâtre de la bataille finale de la Guerre de la Chair, dix-huit ans plus tôt. Terrible affrontement entre les partisans de la Horde et les chevaliers de l’Ilir. Cependant, dans son esprit, il ne voyait absolument pas le même panorama lorsqu’il se jouait cette bataille depuis qu’il était enfant. Imaginant plutôt une vaste étendue d’herbe verte rase au sol plat. Ici le terrain était jalonné et couvert de hautes herbes jaunies aussi grandes que celles qui les entouraient. Des arbres morts le parsemaient et renforçaient l’impression de non vie en ces lieux.

Un détail troublant attira l’œil de Cormack. Face à eux, l’herbe était jaune. Mais en remontant au Nord elle devenait de plus en plus verte. Tandis qu’en descendant vers le Sud, sur leur gauche, le dégradé prenait petit à petit une couleur rouge sang.

De leur point de vue, on ne pouvait que remarquer cette spécificité.

— Il est là, déclara Ezéquiel en avisant le sud.

Tel un monstre d’ébène blessé au milieu des plaines, le transporteur gisait dans les herbes rouges. On aurait cru voir un immense animal baignant dans son propre sang. C’était l’impression que ce tableau donnait à cette distance. Même d’aussi loin, la carcasse fumante était réellement impressionnante. Des débris de toutes tailles parsemaient les alentours à ce que l’on devinait être des kilomètres. Même si cela restait difficile à évaluer.

— Mais comment allons-nous nous repérer dans cette plaine. C’est immense et les herbes sont plus hautes que n’importe lequel d’entre nous. On a de grandes chances de se perdre.

— Et bien ! C’est bien la première fois que j’me sens si malin face à quelqu’un, pas vrai Crépin ?

— Oh oui, Vacko ! Moi, c’est pareil, j’me sens sacrément intellectuel aujourd’hui. C’est p’tet du fait d’notre marche, qui sait…

— Ou p’tet l’air pur…

Cormack soupira. Cela faisait un moment qu’il ne les avait pas entendus ces deux-là.

— On en avait pourtant, de l’air pur, en altitude quand on avait encore nos vaisseaux. J’me trompe pas, Vacko ?

— Pour sûr, Crépin ! J’vois plus qu’une solution et c’est qu’le poilu est aussi con qu’un pigeon consanguin !

— Et des pigeons, on en a… Aie, Aie !

Le pauvre Crépin fut, une fois de plus, stoppé par la lame d’un certain chevalier blond.

— Est-ce que je les tues tout de suite ? demanda-t-il.

— Kappa !

Le Rolf fronça les sourcils. Il avait entendu Caes crier plusieurs fois le nom du chevalier et s’y était habitué. Quelque chose n’allait pas cette fois ci.

Voyant que Caes ouvrait de grands yeux stupéfaits, tous se tournèrent vers… Vacko.

Celui-ci agita sa main, l’air de rien.

— Non, vraiment désolé, s’excusa-t-il en souriant. Fallait bien qu’j’essaie…

Ezéquiel secoua la tête et se tourna vers Cormack.

— Même dans les plaines, expliqua-t-il au colosse. Nous verrons toujours les pics de la chaîne de montagne, où que nous soyons. Nous n’aurons qu’à les garder sur notre droite.

— Mais c’est immense ! s’exclama le Rolf. Même en faisant cela, nous conservons une marge d’erreur infime. On pourrait facilement passer à côté sans nous en rendre compte. Nous devrions continuer à longer cette crête vers le Sud, puis bifurquer. Nous aurions le transporteur en visuel.

Le jeune prince balaya cette proposition de la main. Même les chevaliers froncèrent les sourcils mais gardèrent le silence, attendant ses arguments. Ce qu’Ezéquiel plaça très simplement.

— Ce serait jeter la prudence aux orties. Nous serions bien trop repérables d’ici. Pour n’importe qui évoluant dans les plaines. Non, nous devons progresser avec prudence et discrétion. Moins nous serons visibles et mieux ce sera. Cela vaut le coup de perdre du temps en précaution.

Tous approuvèrent silencieusement le bon sens de ces paroles et se préparèrent à fouler cette terre où, vingt ans plus tôt, leurs anciens s’étaient livrés à l’une des plus sanglantes batailles de l’histoire de Soreth.

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