Chapitre 7 : Café froid

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« Ma vie prenait les aspects d'un café froid.
Je l'avais planifiée chaude et réconfortante, mais je l'avais laissée de côté trop longtemps.»


Au fond de ma pièce principale, sur la gauche, un petit espace entre le mur et la baie vitrée donnait accès à la cuisine. Une grosse commode me servait de plan de travail et une cafetière d'un rouge carmin laqué y était posée, toujours prête à l'utilisation. Je la remplis d'eau et de café moulu « doux et fruité « comme le vendait la marque. Je buvais beaucoup de café, mais loin de ces héros qui le boivent noir, intense et corsé. Je l'aimais doux, sucré et fruité, un bon compromis avec le thé et le chocolat. La cafetière commença à faire le bruit distinctif à son bon fonctionnement. Un bruit fort, saccadé et étrange, mais rassurant, à sa manière. Je me concentrais là dessus lorsque Stephen apparut derrière moi. Je sursautais à demi et tentais de le cacher, ce qui le fit sourire et me remis en rogne. Je pris une profonde inspiration et me concentrais à nouveau sur le café.

- Qu'est ce que tu me conseilles, honnêtement ?

Ma question le pris au dépourvu. Je pense que ma capacité à traiter les informations de manière cartésienne est une grande qualité et surtout un moyen de fuir mes émotions, mais ça avait l'air de le surprendre agréablement à chaque fois.

- Humm... Dans un premier temps, je pense qu'on devrait éviter de se balader après la nuit tombée. J'ai un contact qui peut nous trouver une planque le temps de, au moins pour les nuits. La journée, je suppose que tu devrais te comporter le plus « humainement « possible et ne rien changer à tes habitudes tout en restant prudent.

Je me servis un gros mug de café et y mis deux sucres. Je fis un signe à Stephen pour savoir si il en souhaitait et il hocha la tête de gauche à droite, presque imperceptiblement. Moins de café pour Edward, plus de café pour Bella. Je gloussais à l'idée de me comparer à Bella, car nous n'avions rien en commun, à priori.

- Ils ont tendance à éviter les lieux publics. Tu es en cours, ou tu bosses ?

- Je bosse, dans un fast-food.

Habituellement, une sorte de malaise me gagnait quand je parlais de mon boulot, à cause des préjugés. La restauration rapide n'avait pas le vent en poupe et se traînait l'image du job pourri par excellence. Ce n'était qu'à moitié vrai, et surtout, cela payait les factures.

- D'accord. Tes horaires te font bosser de nuit ?

- Généralement, non. Je finis vers 20h30 au plus tard, 21h00 si on a un soucis ou des clients casse-couilles.

Il me sourit, rassuré, et la tournure de la conversation me plaisait plus. On était pas encore dans la sécurité absolue, mais il avait des pistes à explorer. A ce stade, j'étais facilement preneur ou satisfait. Qui a dit que j'étais difficile ? Pluie de bons points.Bientôt je pourrais m'y noyer.

- Pratique, je te récupères dans ce cas à la sortie et t'emmène dans une planque les soirs. Bien entendu, cette charmante demoiselle est la bienvenue...

Luffy était conquise, mais c'était une fille facile, sans vertu. Pour quelques grattouilles, elle aurait laissé des cambrioleurs se servir, donc elle n'était pas vraiment une référence... Je lui souris en retour, et pendant quelques minutes, un poids énorme s'était envolé.

- Merci. Et ensuite ? Son air se fit plus grave et cela me noua l'estomac. Je posais mon mug à demi plein sur le comptoir de la cuisine et osait à peine le regarder dans les yeux.

- Ensuite on avise, je vais essayer de rester moi même en vie et de toucher mot au conseil de la situation sans donner de noms. Si la rumeur se répand, Elena hésitera peut être à attaquer avant d'être sûre de ne pas laisser de traces remontant jusqu'à elle ou son maître. D'ici là on aura peut être réussi à trancher sur ce qui sera le plus adapté. Enfin, ça c'est le meilleur des cas.

Je souris, parce que je n'avais pas envie de m'énerver avec la seule personne de ma connaissance à pouvoir éventuellement me garder vivant. Vous la voyez la piscine à bon points ? Non ? Moi oui.

- Ne parlons pas des autres scénarios, j'ai entendu dire qu'avec ce script adapté au public familial, la série risque d'être renouvelée.

Stephen sourit, et, pour la première fois, je réalisais que dans d'autres circonstances, cela aurait pu ressembler à un rencard. Je chassais rapidement l'idée de mon esprit pour ne pas avoir à gérer les diverses interrogations que cela aurait pu laisser s’immiscer dans ma tête.

Le reste de la matinée défila avec mes questions et mon capital de bons points à la hausse. J'avais une petite journée de boulot prévue – la joie des heures à rattraper- et ce n' était pas pour me déplaire, je laissais Stephen monter la garde pendant que je dormais quelques heures. Mais le sommeil ne vint pas de suite et nous passâmes plusieurs dizaines de minutes à discuter. D'abord des Regenero et des parasités, puis de tout et rien. Je m'endormis sans réellement m'en rendre compte. Aucun cauchemar, étrangement, à croire que les menaces de mort dans la vraie vie suffisent, implicites ou pas. Le cerveau est une belle machine bien huilée, si vous ne pouvez pas gérer une information, il la laisse dans un coin, le temps de.

J'ouvris les yeux après quatre bonnes heures de « coma ». Car oui, ce n'était pas du sommeil, ou une nuit tranquille. Au moment d'ouvrir les yeux, j’eus l'impression de revenir d'entre les morts tellement lever les paupières m'avait demandé un effort conséquent. 09h00. Je me frottais les yeux et fut surpris de voir Stephen sur mon balcon fumer une cigarette en plein soleil. Une partie de moi mis du temps à analyser la situation. Je savais qu'il n'était pas un vampire, mais il m'avait spécifié que l'exposition trop longue aux U.V. N'était pas une sinécure pour les Regenero. Puis mon esprit reconnecta les bouts et je me souvins du fait qu'il n'était pas vraiment un Regenero, mais un parasité. Dans l'avion de la chaîne évolutive, il était seulement en deuxième classe. Rien de mal à ça, les humains classiques comme moi était vaguement Eco +, si ce n'était pas dans la soute.

Stephen se tourna vers moi et me souris avant d'écraser son mégot dans le cendrier qui traînait sur mon mini balcon. Je dis mini car il était à peine possible d'y mettre deux petites chaises et quelques plantes. Je ne l'utilisais que les matins de repos pour y prendre un petit déjeuner de français cliché avec mes viennoiseries et mon café, les jours d'été. Sinon il était plus là pour mes proches fumeurs et pour que Luffy ait le nez dehors. Je me levais avec un léger mal de dos, comme à mon habitude, les joies d'avoir eu une croissance trop rapide et une vie peu adaptée à le ménager. Je m'étirais et me dirigeais vers le salon pour allumer mon Pc, par habitude.

J'avais cette double impression que la situation était normale et que tout partait très vite en couilles et que je ne maîtrisais rien. Je me laissais tomber sur la chaise de bureau et regardais les dernières nouveautés sur les réseaux sociaux. Stephen me rejoignit et une part de mon stress se désagrégea comme un château de sable trop proche de la mer à marée montante.

- Comment arrives-tu à faire ça ?

La question était sortie de ma bouche avec un ton doux, presque chuchotée. Je n'étais pas totalement sûr d'avoir eu envie de la formuler à voix haute, mais le fait de me sentir bien et à l'aise me rendait plus causant, apparemment. Cela aurait dû m'agacer, mais ce n'était pas le cas, étrange. Je n'étais pas sûr de mériter les bons points pour le coup, et la piscine à bon points était pleine. Je laissais couler en attendant sa réponse.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

J'essayais de formuler les choses mais il me fallu un moment pour les cérébraliser et y mettre des mots.

- Je veux dire que, régulièrement, quand je suis avec toi, je me sens serein, alors que je sais pertinemment que cela devrait être la panique totale dans ma tête.

Il me sourit et se percha sur une chaise haute. Une part de moi avait l'impression qu'il gardait ses distances, une autre part avait envie qu'il comble cette même distance entre nous. Je secouais la tête pour chasser cette idée et le regardais dans les yeux pour l'encourager à continuer.

- C'est mon don. Tous les Regenero développent des capacités surhumaines. Rien d'aussi flamboyant que dans un comics ou dans une série TV, mais disons qu'ils ont tous un talent, un don. Comme ils ne vieillissent que très peu , que leur cerveau se développe en permanence et s'adapte au fil des siècles, la plupart acquièrent une forme évoluée ou amplifiée de capacités traditionnellement humaines.

Il prit une pause pour me laisser digérer l'information avant de continuer.

- Par exemple, certains deviennent extrêmement doués pour la lecture du langage corporel, bien au delà de ce qu'un très bon mentaliste peu faire, et donc peuvent détecter les mensonges ou anticiper les actions ou pensées des gens. D'autres auront une ouïe accrue ou une régénération cellulaire spectaculaire.

Je laissais les informations s'accumuler, sans broncher. Lorsque Stephen finira son speech, mes deux millions de questions par minutes compenseront mon silence inhabituel, on ne se refait pas.

- Pour ma part, la lignée dont je proviens a des dons liés à l'empathie et à la séduction. Le Regenero qui m'a transformé pouvait produire des phéromones qui faisaient instantanément s'intéresser ses proies à lui et les rendait dociles et prêtes à le suivre jusqu'au bout du monde, sans trop savoir pourquoi.

Un étincelle de colère sur mon lac de zénitude. J'observais ce lac avec impatience et je savais qu'il n'était qu'une question de temps avant que l'eau ne soit lave et que ma belle piscine à bons points ne s'évapore. Quel gâchis.

- J'ai hérité de quelque chose de similaire, les gens se sentent moins agressifs et ont tendance être plus calmes en ma présence.

Étrangement, j'eus envie de rire. Un sourire moqueur fendit mon visage devant l'ironie de la situation. J'étais le plus grand paranoïaque colérique du coin, et j'avais écopé d'un Parasité qui agissait comme un gros chat qui ronronne ou un bon toutou au coin du feu. Sécurisant et apaisant. Parfois la vie rassemble des pièces de puzzle de façon intéressante.

- D'accord, un don globalement nul mais qui marche très bien avec les gens comme moi, cool. Cool cool.

Cela faisait trop de « Cool » pour être honnête, mais je n'avais pas crié, bien. Derrière le nuage anxiolytique de Stephen se cachait une tempête de panique et de colère. Quand elle arriverait à bon port, elle ferait un maximum de dégâts.

Je me levais et me dirigeais vers la cuisine pour me faire du café. Cela avait le don de m'apaiser naturellement. Je fixais ma tasse à demi pleine de quelques heures plus tôt. Je la bu d'un trait et les larmes me montèrent aux yeux. Le café froid n'avait plus rien de rassurant, il avait un goût triste et morne. Et je sentais le monde et me perspectives s'écouler lentement du filtre adoucissant de Stephen. Tout avait cette même odeur amère, et ce goût froid.

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