Chapitre 6 : Rouages

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« Tout d'un coup, le monde avait pris un autre sens. Avant toi, il était tronqué, caché dans un brouillard.»


Ensuite ? Stephen m'a raccompagné chez moi dans le silence le plus total. Il y avait bien quarante minutes de marche et les derniers trams étaient partis il y a bien longtemps quand j'avais trouvé la force me relever. Le plus étrange dans tout cela est que je n'avais pas protesté quand il avait commencé à me suivre. J'étais bien évidemment en colère ( tiens, quelle surprise), mais surtout épuisé. Et je n'avais pas la force de polémiquer. Oui, vous avez bien lu, je n'avais pas chipoté.

Une bonne heure de marche plus tard, j'étais arrivé à mon appartement et il était resté sur le pas de la porte. Je lui avais fait signe d'entrer, malgré le bordel. Je vivais dans un petit appartement avec ma chienne et celle ci lui avait bondit dessus de joie. Luffy est comme son maître, une sang mêlée, moitié berger australien et moitié Tervueren. Elle ressemble un peu à un berger allemand à poils long et en plus petit. Elle n'a pas une once de méchanceté, mais pas beaucoup plus de jugeote. Je l'aime pour ça, elle est pure et a un cœur dix fois plus gros qu'elle. J'avançais dans la pièce principale qui était coupée en deux par des étagères de livres et de mangas et faillit trébucher sur un os à mâcher au milieu de la pièce. Je foudroyais Luffy du regard puis avançait jusqu'au canapé d'angle en simili cuir qui délimitait le salon. Je me laissais tomber dessus et fermais les yeux.

Qu-'est ce qui s'était passé, bordel ? Qui étaient ces gens ? Pourquoi moi ? Et cet homme mort... J'étais étrangement certain que la police ne serait pas alertée. Allait-il manquer à quelqu'un? Pas à moi, mais mon avis sur la chose ne pesait pas grand chose, je suppose. Stephen se hissa sur une chaise de bar de la table haute avec l'élégance d'un chat au moment où je tournais la tête vers lui.

- Ces gens là sont dangereux, et je suppose qu'ils reviendront pour terminer leur besogne prochainement. Tu es en danger.

Je pris une grande inspiration pour ne pas laisser ma colère répondre en premier. D'une parce que je tentais d'améliorer ce point particulier chez moi, et de deux parce que j'étais soudainement épuisé et las.

- D'accord. Qu'est ce que c'est que ces gens ? C'est quoi ce délire et qu'est ce que tu es ?

J'avais bien tenu presque dix secondes avant de m'emporter, un bon point pour moi. Je n'avais insulté personne. Deux bon points. Mes questions étaient légitimes, trois bons points. La Jarre a bons points n'avait pas été aussi pleine depuis des mois. Il prit lui aussi une inspiration longue et sembla peser ses mots dans ce qui avait l'air d'une éternité. Je gardais mon impatience, parce que j'avais envie, pour une fois, d'être épargné et qu'il choisisse bien ses mots. Je sentais que ce qu'il allait dire n'allait pas me plaire et me sembler absurde, donc je lui laissais tout le temps de trouver la façon la moins directe de me mettre en rogne.

- Tu sais que l'espèce humaine telle qu'on la connaît a autrefois été deux espèces, et que nous sommes aujourd'hui le résultat d'une sélection naturelle entre le néandertalien et le sapiens sapiens ?

Sa question m'avait désarmé. Je sentais le rapport, mais je n'avais pas vu le cadre scientifique venir. Je m'attendais à une version fantasque de super héros, d'expériences génétiques ou encore de fight club clandestin strasbourgeois. Je hochais de la tête avec un air on ne peut plus perplexe pour l'inciter à continuer. Si il ne saisissait pas cette invitation, j'allais commencer à perdre des bon points. Je les avais suffisamment durement gagnés, j'y tenais.

- Hé bien, pour faire court, disons que cette guerre de l'évolution s'est faite entre trois branches, et qu'aujourd'hui tu as rencontré la troisième. Ce sont des homos-Regenero, ils sont responsables de la chute des néanderthals.

Je hochais la tête de façon frénétique et me contentais de « d'accord ». Je n'avais pas meilleure explication, donc je laissais filer, pour le moment. J'aurais tout loisir de contredire cette guerre entre trois espèces puisqu'il y en avais eu d'autres dont l'Homme de Denisova, mais je n'allais pas chipoter.

- Cette espèce a une sorte de virus qui les rends plus résistants, plus forts mais les prive de la possibilité de se balader de jour très longtemps. Ce virus peut contaminer un humain, mais ne s'adapte pas aussi bien et le rend plutôt instable.

L'histoire tenait globalement debout et il n'avait pas l'air de plaisanter ou d'enjoliver. Il manquait pleins de détails, mais je voulais savoir principalement deux choses :

- Tu es l'un d'eux, pourquoi m'être venu en aide, et de plus je t'ai vu de jour, donc ça ne tient pas trop la route. Et pourquoi s'attaquer à moi, une raison particulière ?

Il sembla agréablement surpris de la pertinence de mes questions. Comme si il s'attendait à une autre réaction ou à des questions plus farfelues. J'avais grandit avec des œuvres de SF, des thrillers et des histoires fantastiques, un bon paquet de choses pouvaient me sembler réalistes si elles étaient expliquées avec un minimum de background scientifique.

- Je ne suis pas exactement un Regenero, je suis un parasité. J'ai été attaqué il y a une cinquantaine d'années et ai survécu par négligence. Les parasités peuvent marcher au grand jour sans trop de risques, si ce n'est de perdre les « bonus » du virus temporairement, ça nous rend plus humains, donc. Mais ça peut nous tuer à très forte dose et ça n'est pas longtemps « agréable ».

Il marqua une pause et son regard sembla se perdre dans le vide. Je fis le calcul rapide basé sur son apparence et je supposais que Stephen était donc né quelque part dans les années 30. Bien. Parfait. Il reprit son explication alors que je tentais d'ingérer l'information d'avoir un survivant de la deuxième guerre mondiale qui avait l'air d'avoir mon âge dans mon salon en train de me parler d'une branche cousine de mon espèce. Bien. Parfait.

- Pour leur attaque je n'ai pas vraiment de réponse exacte. Nous ne sommes pas supposés chasser les humains. Nous nous nourrissons de sang pour maintenir le symbiote en vie, mais nous ne pouvons pas nous nourrir d'humains vivants, sinon cela les transformerait. Nous sommes régulés par le conseil qui tient à ce que nous restions dans l'ombre. Cela n'empêche pas certains parasités ou certains Regenero de chasser de l'humain de façon non réglementée et de tuer les proies. Pas vus, pas pris.

Je déglutis lentement. Je venais donc de survivre à une chasse interdite. Ils allaient donc rapidement revenir pour finir le boulot avant que je ne balance l'information ou que quelqu'un soit au courant. Parfait. Très bien. Je commençais à perdre la sérénité que ma curiosité et mon besoin de savoir m'avaient donnés en cadeau pour gérer la discussion. Chouette. La panique me monta à la gorge et je sentais les larmes me monter aux yeux et la colère me brûler les poumons. L’effondrement n'était pas loin et je tentais de me raccrocher à mes questions.

- D'accord. Et comment vous nourrissez vous en temps normal si vous n'avez pas le droit de chasser ? Et pourquoi m'avoir aidé, puisque je suppose que ça te met dans la mouise également ?

Il me sourit, comme si je l'impressionnait et qu'il était fier de moi, cela me déstabilisa quelque peu. Je ne savais pas si je devais être flatté ou en colère, je décidais donc d'écouter la suite de son explication.

- Nous avons des donneurs parmi les Regenero, ou même parmi les humains. Ces derniers sont rares parce qu'il y a beaucoup de conditions physiologiques à remplir. Nous avons également accès aux hôpitaux et nous pouvons nous nourrir de sang animal si ce dernier est pur, mais cela n'est qu'un palliatif possible temporaire, car cela n'est pas aussi nutritif et proche de notre sang que le sang humain. Et si je te suis venu en aide.... Je ne sais pas vraiment. Je me sentais un peu coupable de ma réaction au cinéma et je voulais m'excuser, au final les choses se sont enchaînées sans réel but ensuite.

Je me mis à rire, nerveusement et en même temps devant l'ironie de la situation. Si je n'avais pas pleuré au cinéma, tout cela aurait été une fine ligne de possibilité dans un avenir qui n'aurait pas existé. Mais il était bien trop tard pour remonter à l'origine ou trouver un coupable. Une larme roula sur ma joue droite, mais mon regard n'était plus que rage.

- Nous ne sommes que des jouets pour vous, des cafards tout au mieux.

Stephen baissa les yeux avant de les planter dans les miens. Je me sentis extrêmement apaisé, subitement. Je sentais bien qu'il y était pour quelque chose mais je ne luttais pas, cela me permettait de garder les idées claires.

- Qu'est ce qu'on fait, du coup ? C'est quoi le plan ? Je quitte le pays dans un programme de témoins protégés par une espèce non déclarée ? Je me fais exécuter gentiment en allant discuter avec votre « président » ou roi, ou que sais-je de votre « conseil », je me retrouve obligé de devenir parasité également ?

Je me stoppais là, si il pouvait répondre à tout ça, je trouverais d'autres questions. Dans le genre « quelles sont les célébrités qui sont Regenero ? », ou « vous brillez la nuit ? ». Le stock était illimité, et je pouvais être très tenace quand il s'agissait de trouver des questions farfelues et/ou inutiles.

- Pour être franc, je ne sais pas. Le meilleur scénario serait probablement de vérifier si tu peux devenir un donneur, cela garantirait ta survie et ton immunité. Mais cela t’entraînerait plus profondément dans les affaires des Regenero, et si cette Elena a des contacts hauts placés, tu seras éliminé avant. Quitter le pays ne marcherait pas, les Regenero ont le bras long et sont installés dans tous les gouvernements. Devenir parasité est une solution, mais une fois de plus le groupe d'Elena fera probablement de toi sa proie pour ne pas révéler leurs chasses interdites.

Las de ne pas être le centre d'attention, Luffy se vautra à mes pieds et soupira. Je lui caressait machinalement sa belle crinière sans réellement lui prêter attention. Le problème était donc Elena, super. Ma longévité tenait globalement à une russe peu commode musclée comme Jason Momoa et qui parlait de façon aussi claire que le Père Fouras. Bien. Très bien.

- D'accord. Donc Elena et sa clique sont le réel problème. Sur une échelle de 1 à 10 tu vous situerait où en terme de puissance en combat ?

Il prit le temps de réfléchir et de sous-peser des paramètre qui m'échapperaient probablement avant de répondre.

- Je dirais que je suis un 4 les bons jours et qu'elle est un 6. Mon seul atout serait ma rapidité. Si elle est aguerrie au combat, cela ne sera un atout que si j'agis par surprise, sinon elle compensera en expérience.

Je me mis à rire, et cette fois de bon cœur, Luffy se leva et me scruta avant d'aller s'allonger plus loin.

- Donc, en gros, j'ai écopé d'un protecteur nul et je me suis mis à dos une nana capable de soulever genre trois fois mon poids d'une main ?

Stephen sourit et cela me fit rater un battement de cœur. Il avait quelque chose d'irréel et d'intense, mais ce sourire franc était impossible à décrire. Il aurait pu être un oasis dans le désert. Je tentais de me reprendre quand il répondit.

- En gros, oui. Je ne suis pas le plus costaud. Je suis agile et je sais me battre, mais plutôt de façon théorique ou si il y a un plan derrière. J'ai des contacts plus doués que moi, mais rien dans son genre, je suis plutôt dans la branche diplomatique, pas chez les gros bras.

Mon sourire s'effaça lentement et un mélange de peur et de tristesse m'envahit.

- Encore un garçon joli mais pas très utile. C'est bien ma veine. D'autres capacités qui peuvent être pertinentes ?

- Je suis doué pour les négociations et pour influencer les gens, et j'ai des connexions au conseil. Et je suis joli, ça peut être utile en d'autres circonstances.

Je rougis parce que non seulement mon insulte déguisée n'était pas passée inaperçue, mais qu'en plus elle passait pour un compliment. Hé merde. La colère me revint comme un rempart à l'humiliation et au malaise. J'étais très doué pour tout gérer par elle, c'était mon mode opératoire. Chacun son truc.

- Hé bien en attendant ça ne nous apporte pas de solutions concrètes et ça ne va pas me mener très loin.

- En effet. Hum, il ne protestait pas, difficile d'être en colère contre quelqu'un qui vous donne raison.

La nuit promettait d'être plus longue que prévue, et je n'étais même pas sûr de vouloir pour autant qu'elle s'arrête. Car elle serait peut être la dernière. Pour ne pas dire « très probablement ».

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