Chapitre 5 : Retour en arrière

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« J'ai longtemps pensé qu'il fallait fuir le passé et courir après le futur... Mais cela n'avait aucun sens, le passé fait ce que je suis.»


Ma rencontre avec Stephen ? Rien de romantique ou de trop téléphoné. Pris d'une de mes crises compulsives d'achats, je m'étais lancé à la conquête des magasins vendant quoique ce soit de culturel. Du DVD au roman, du CD aux jeux-vidéos avec ce besoin de dépenser des choses et de me sentir en vie. Remplir mes étagères avait toujours eut un effet apaisant pour moi. Posséder me faisait me sentir entier. Pourquoi ? Allez savoir. Je m'étais donc dirigé dans l'un des plus grands centres commerciaux de la ville en espérant trouver mon bonheur. J'avais fini par faire une pause pour manger dans un restaurant asiatique, un de mes péchés mignons. Au moment de payer mon assiette et d'aller m'installer, j'avais croisé son regard. Assis seul, lui aussi, dans un coin, lui aussi, avec des écouteurs sur les oreilles, lui aussi. Un demi sourire m'était naturellement apparu et j'avais secoué la tête, conscient qu'il n'était adressé à personne en particulier. Juste à la coïncidence. J'avais fini par me poser à deux tables de lui, face à lui et à tapoter nonchalamment sur mon téléphone, consultant les réseaux sociaux. Il m'arrivait de lever la tête en dévorant un beignet de poulet au sésame et de le voir tapoter également sur son téléphone et cela avait fini par me faire m’interroger.

Oh, je vous vois arriver, hein ! Cela n'avait aucun rapport avec son physique. Je me disais simplement que dans une série, l'un de nous deux aurait fini par venir discuter avec l'autre ou que sais-je. Je me demandais ce qui rapprochait les gens, ce qui les faisait se parler, se rencontrer, faire le premier pas, devenir amis, amants, ennemis. Puis il avait disparu. Trop concentré sur mes pensées philosophiques dignes d'un magazine féminin d'entrée de gamme, qui aurait scandé « Allez lui parler mesdemoiselles ! », je ne l'avais pas vu partir.

J'avais fini par me laisser m'échouer dans un magasin de fringues « à la mode « en soupirant. Rien d'aussi glorieux ou fou aurait pu m'arriver. Enfin, il m'était arrivé des choses plutôt étranges ou folles, mais pas de coups du destin, rien d'aussi intense. Je n'aurais jamais été lui parler, et il ne serait jamais venu de lui même. Au moment de sortir de ma cabine d'essayage, je remarque qu'une écharpe empiète de la cabine d'à côté je sors de ma cabine pour le voir de dos s'en aller, puis je regarde l'intérieur de sa cabine et son écharpe y est toujours. Elle est d'un vert émeraude. Elle se termine par ces franges-fils caractéristiques et est d'une douceur incomparable. Je presse le pas pour le rattraper et n'ose pas l'interpeller. On ne sait jamais quoi dire dans ces moments là. Le vouvoyer ? Le tutoyer ? Lui dire que j'ai remarqué que cette écharpe lui appartenait ? Cette vieille impression qui me hante d'être un harceleur, de ces stalker américains qui vous suivent jusque chez vous et vous observent derrière des buissons. Je finis par secouer la tête ( oui, encore, je me fais souvent cet effet) et lui pose la main sur l'épaule pour le faire s'arrêter.

- Hey ! Excuse moi mais tu as-

Je n'avais pas pu continuer. Ses yeux étaient d'un vert éclatant. Pas réellement émeraude, quelque chose de plus profond, d'obscur et de brillant à la fois. Il haussa un sourcil et baissa les yeux pour apercevoir son écharpe entre mes mains.

- Oh ! Mon écharpe ! Merci ! C'est un cadeau, j'aurais été mal de le perdre !

Il avait sourit à ce moment là. Un sourire naturel, franc et complice. De ces sourires qui vous incluent « dans le délire ». J'avais souri, moi aussi, perplexe et attiré comme par un aimant. Stephen a toujours eu cette force là, ou ce don, même avant de devenir un parasité, du moins c'est ce que l'on a pu me dire à plusieurs reprises. Stephen a ce magnétisme, ce truc sombre et lumineux, animal et pur, un peu comme dans le regard d'un loup. Terrifiant, fascinant et dénué de choses superflues. Il savait être chaleureux comme glacial, et ce, sans artifices, de façon naturelle et fluide, comme la météo change. Ça a toujours eu le don de me dérouter, de m'énerver et de me séduire. Il n'y avait jamais qu'une seule émotion avec lui, c'était toujours un cocktail doux amer.

J'étais ensuite retourné à ma vie de tous les jours, jusqu'à cette soirée cinéma. Nous avions repoussé la date trois fois avec une amie et elle avait finalement annulé, et vexé je m'étais mis en route pour aller voir le film. Je regrettais amèrement au moment d'entrer dans la salle, pris de ce vertige de solitude. Je n'aime pas regarder les films seul. J'ai besoin de partager, d'en parler, d'essayer de voir les messages cachés, de polémiquer. Installé sur le côté pour ne pas être envahi, je m'étais mis à pleurer pendant le film. Certaines choses faisaient écho en moi. Je sortais d'une rupture plutôt compliquée et j'avais cette fragilité de l'après, où tout et n'importe quoi vous rappelle l'autre. A peine le générique de fin enclenché je me suis subitement levé et je me suis dirigé vers la sortie. Direction les toilettes. Je devais me reprendre et être seul dans un coin avant d'affronter l'extérieur. J’ouvris la porte des toilettes hommes pour tomber nez à nez avec lui, les larmes encore au bord des yeux.

- Euh... Ça va ?

Je restait là, bouche bée. Non ça n'allait pas. Mais on ne répond pas à un total étranger qu'on ne va pas bien, qu'on est bouleversé, que notre monde s'écroule, qu'on se sent paumé et que sans cette autre moitié de nous, on se sent vide et sans sens. On ne répond pas à un étranger qu'on a juste besoin d'une pause, d'un coma émotionnel. D'un moment pur où plus rien ne fait ni du mal, ni du bien, pour reposer le corps et l'esprit.

Un autre cinéphile tentant de passer , je m'écartais, confus et à fleur de peau. Les larmes avaient finalement coulé sans que je ne m'en aperçoive et séchaient déjà sur ma joue. Je fis marche arrière et décidais de ne pas répondre à la question de Stephen. Je marchais le plus vite possible, mais ne pu faire moins de dix pas. Cela me coupa le souffle. Ses bras m'avaient enlacé et il avait enfoui sa tête dans mon cou. Je n'étais pas prude, mais me faire enlacer en publique par des inconnus était plutôt, disons, inhabituel. Je restais là, planté bêtement une vingtaine de secondes sans savoir quoi faire. Il desserra son étreinte et je cru entendre quelque chose comme « tu sens bon », mais ma tête me dit que cela n'avait aucun sens, et que l'absurde avait déjà atteint son apogée. Je n'avais pas la force de poser la question, ou de répliquer violemment. J'avais lentement tourné la tête vers lui.

Tout semblait ralenti. Pas de façon romantique, pas comme dans un film de Meg Ryan. Non, rien d'aussi poétique. Je me sentais terrifié en le regardant dans les yeux. Comme une biche sur le point d'être violemment heurtée sur l'autoroute. Il était trop près pour que je puisse fuir, mais trop loin pour que je puisse prétendre à une agression à présent. Après ce qui me sembla durer une éternité son expression intense se mua en quelque chose de plus doux.

- Je m'appelle Stephen.

J'avais sursauté, comme rendu à la réalité, frappé par elle. Je repris toute ma constance et laissait la colère m'envahir. C'était mon truc à moi, la colère passive agressive.

- Et je ne suis pas un buffet à volonté à câlins.

Je tournais à nouveau les talons et me dirigeais vers la sortie. Il avait vu quelque chose de fragile en moi, et même si ne nous nous connaissions pas, je détestais ça. Et du coup, je n'avais pas envie d'apprendre à le connaître. On ne sympathise pas avec quelqu'un en lui donnant un détonateur. On le donne bien plus tard, quand on s'est assuré que la personne ne nous veut pas de mal, quand on se sent en confiance, ou à l'abri. Quand on est sûr qu'elle n'a pas une passion pour les cœurs explosés et la dynamite émotionnelle.

Je ne me retournais pas pour savoir si il me suivait. Je sentais sa présence, comme si il était au dessus de moi, derrière moi et en même temps en moi. Il m'avait vu pleurer, je me sentais tout bêtement violé. C'était bête, cela n'avait pas de sens, mais c'était ce que je ressentais. Les larmes me remontaient au yeux. Je les chassais à coups de colère rutilante. J'avançais, le pas nerveux vers le passage piéton le plus proche, prenant un chemin plus par habitude que par réelle envie d'aller à cette destination.

Au bout de deux bonnes minutes je me stoppais net et me mis à rire. J'avais atteint un stade de colère et de détresse un peu trop élevé pour la situation et je me sentais stupide. Cette impression collant à la peau d'avoir un peu sur-réagit. Oui, je dis bien un peu, et oui, je ne compte pas changer d'opinion. Si déjà je reconnais mes torts,on ne va pas pousser, hein. Mon rire nerveux entraîna un fou rire que je tentais de contenir en vain. Moi, cyclothymique ? Je pris une grande inspiration et regardait autour de moi pour réaliser que je me trouvais dans une impasse désertique. Et je ne me souvenais absolument pas m'être égaré à ce point.

C'était une sorte de terrain vague entouré d'arbres à feuillages plutôt bas ; ils m'arrivaient au niveau du crâne. Derrière ces arbres des tours HLM comme on en voit des milliers, mais impossible d'en décrire la couleur de nuit. Un mélange de gris et de rose probablement. Un lampadaire clignotait et éclairait vaguement un coin du square. Je pris une inspiration et me dit que cet endroit été le coin idéal pour dealer ou violer quelqu'un. Très bien. Je décidais donc de faire demi tour tout en consultant sur mon téléphone une carte de l'endroit où je me trouvais, vissant mes écouteurs sur mes oreilles et lançant une playlist aléatoire.

Une sensation désagréable s'empara lentement de moi. Une impression d'être observé. Les poils qui se dressent. Je pressais le pas et baissais le volume de la musique de mes écouteurs, à l’affût. Je jetais un regard alentour, rien. En détaillant le plan je réalisais que j'avais bien marché une demi heure et surtout vers un endroit que je ne connaissais pas. Tourner à droite dans la ruelle, la longer et déboucher sur une rue plus grosse. Rien d'extraordinaire, rien d'impossible, mais quelque chose me paralysait. J'avais cette impression qu'avancer m'était impossible et que reculer signifiait ma mort. Comme si je devais renoncer, rester là, attendre.

- Tu ne dois pas rester là. Je sursautais comme si l'on m'avait giflé.

Stephen était apparu devant moi, sorti de nul part. Il avait une mine qui oscillait entre colère et inquiétude.

- Ce genre de chasse n'est pas permise.

- Ce genre de chasse..... répétais-je hébété.

- Je ne pense pas que Joran ou l'assemblée seraient ravi, d'apprendre que vous vous en prenez à des civils.
Cinq hommes apparurent eux aussi de nul part. Je me sentais pourtant étrangement calme. Cela n'avait aucun sens. J'essayais de comprendre pourquoi je n'étais ni inquiet ni effrayé, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, comme si cela me demandait un effort trop considérable, et que je n'avais pas envie de faire cet effort. J'avais juste envie de laisser couler. Quelque chose clochait clairement. L'homme le plus près avait un regard condescendant et me fixait droit dans les yeux, avec un mélange de mépris et d'amusement. Celui que j'avais pris pour un deuxième homme était en fait une femme, et cette dernière était musclée et taillée comme une armoire à glace. Elle me dépassait d'une demi tête, et pourtant, je suis plutôt grand. D'elle ne découlait que de la force et de l'assurance. Elle semblait plus sur ses gardes mais affichait également une sorte de sentiment de supériorité. Elle avait cette confiance en elle qui vous faisait perdre la votre. Elle pouvait me briser en deux sans que je ne puisse rien y faire et elle le savait. Je ne représentais donc aucune menace pour elle. Les trois autres restaient à l'orée des arbres de cette rue et j'avais du mal à distinguer leurs traits. L'un deux portait un de ces jeans déchirés à la mode avec un t shirt estampillé d'une marque connue, un autre était en short, baskets et marcel, comme si il venait faire son jogging et le dernier avait un pantalon foncé et une chemise. Tous caucasiens à l 'exception du plus proche qui avait la peau plutôt mate. Cela n'avait pas d'importance spécifique mais cela m'aidait à ne pas lâcher prise d'observer les détails. J'avais de moins en moins envie de rester et je commençais à retrouver mes esprits, suffisamment pour interpeller Stephen, tout du moins.

- Il se passe quoi bordel ?

Stephen cligna des yeux et se dressa lentement pour se mettre entre eux et moi.

- Ces gens vont tranquillement rentrer chez eux et ne pas chercher d'ennuis ou créer une situation fâcheuse, pendant ce temps nous allons rentrer à la maison.

La colère commença à me monter au nez. Et cela me permis de récupérer toutes mes facultés mentales. Mais putain que ce passait-il ? L'immense femme s'était rapprochée de nous et je ne l'avais même pas vue bouger. Elle était maintenant plus proche que le latino et elle n'en avait que l'air plus impressionnante.

- Écarte toi et il ne te sera fait aucun mal.

Elle avait détaché chaque syllabe, comme pour être sûre d'être bien comprise. Cela sonnait comme un avertissement plus qu'un conseil et j'avais le pressentiment qu'elle n'allait pas se répéter.

- L'assemblée n'a aucune valeur à nos yeux, et ce que l'assemblée ignore, ne peut être condamné.

Le latino avait sourit en donnant cette information et mon trouillomètre avait grimpé au même niveau que ma colère. J'allais rapidement devoir choisir quelle émotion privilégier et remettre à plus tard toute compréhension de la situation.

J'avais beau rien y comprendre, cela sentait plutôt mauvais pour nous et j'avais vu assez de séries et lu assez de livres pour comprendre que je serais le premier à y passer et qu'une guerre de gangs était apparemment en cours. Et je me retrouvais au milieu de tout ça, bien tranquillement. Ma soirée était donc officiellement à son point culminant de bons moments. Regarder un film seul : check. Pleurer devant un inconnu : check. Se retrouver au milieu de nul part avec des gens dangereux et être le punching-ball du jour : check. Très bien. J'allais donc me réveiller sous peu et rire de ce cauchemar ridicule.

J'essayais de m’écarter de Stephen pour mieux y voir quand quelque chose me gicla au visage. Je baissais les yeux machinalement et portais ma main à ma joue, j'étais recouvert de sang. Je relevais les yeux et vit la tête du latino rouler à deux mètres de moi. Ma tête se mit à tourner et je luttais pour garder les yeux ouverts et comprendre la situation. Je n'étais pas une chochotte mais je ne pense pas que l'on puisse s'habituer rapidement aux gens décapités. Ou peut être au Moyen Age quand on est bourreau, ou quand on est dangereux sociopathe... Mais en dehors de ça je trouvais que je m'en sortais plutôt bien dans la gestion de la situation.

Le corps encore debout et intact du latino tomba dans un bruit sourd. Je tournais lentement la tête vers Stephen et son bras était couvert de griffures et le bout de ses doigts était terminé par des griffes ensanglantées elles aussi. La femme géante avait reculé de plusieurs mètres et avait le souffle court et une coupure nette sur la joue. Elle se dirigea vers le corps du latino et le souleva de terre comme si de rien était avant de venir récupérer la tête.

- Flavio était un imbécile. Que cette nuit-ci nous soit agréable.

- Est-ce une menace, siffla Stephen, à bout de souffle.

- Il faudrait être aussi bête que lui pour proférer des menaces à un adversaire talentueux.

- Ton nom ? Demanda Stephen.

- Elena, répondit-elle,soudainement lasse.

Son regard comportait quelque chose d'ancien, comme si elle avait vu des choses que je ne pourrais jamais voir et qu'elle avait fini par se lasser.

- Stephen.

- Puissent nos chemins ne jamais se croiser à nouveau.

- Tout pareil, répondit-il,soudainement aussi las qu'elle.

Stephen ne donnait pourtant pas la même impression d'en avoir trop vu. Je les regardais, hébété, ne sachant ni quoi dire, ni où me mettre et je sentis le sang chaud de Flavio traverser mon t-shirt.

- Il ne peut rester en vie, lança-t-elle par dessus son épaule, en s'éloignant, dos à nous.

Sa voix n'avait plus de ton particulier et exprimait une neutralité pure. Stephen se tourna alors vers moi. Le sang entre mon t-shirt et mon torse commençait déjà à refroidir et la réalité à me percuter. Elena disparu comme elle était apparue et je me laissais tomber sur mes genoux pour vomir. Stephen détourna le regard mais ne s'éloigna pas. Un bon point pour lui, je suppose.

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