Chapitre 2 : Je ne veux pas mourir

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« La mort ne frappe pas. Elle écrase. Elle vous roule dessus, vous compresse, et vous n'êtes plus rien »


Ma vie aura été courte. 14 726 880 minutes. Je m'appelle Seth, je suis né un vingt juillet. Je ne suis ni vraiment gros, ni vraiment maigre. Du haut de mon mètre quatre vingt-trois, j'ai longtemps regardé la vie et les gens qui passent. Irrémédiablement, mon temps s'égrainait comme le sable coule dans le sablier. Implacable et régulier, attendant simplement de pouvoir finir sa course.

Je connais Stephen depuis quatre vingt quatre jours, trois heures et vingt trois minutes. Ce temps là aura été un condensé de choses magnifiques et effrayantes. Mais maintenant que je sens que ma vie m'échappe, je me demande... Comment ai -je pu en arriver là ?

Maculé de sang, ne sachant plus quoi penser, ayant cette impression de basculer, d'hésiter entre la vie et la mort, la fin était proche. Et moi qui pensais si bien le connaître...

Comment ai-je pu en arriver là ? Étrangement, une part de moi vivait dans le doute, une part de moi dans l'attente et une autre part de moi dans la terreur la plus totale. Ces émotions ne m'avaient pas quitté depuis notre première rencontre: le doute, l'attente et la peur, mêlés au désir.

J'étais allongé sur le sol, à moitié blotti contre lui. Ma chemise blanche déchirée laissait apparaître de nombreuses blessures et mon pantalon noir était lui aussi en lambeaux. Seules mes chaussures récemment cirées étaient encore à peu près en état. Des débris de verre jonchaient le sol de la terrasse et le marron presque noir de mes yeux devait lui sembler de plus en plus terne. Je me sentais partir. Une part de moi voulait résister, lutter contre l'inéluctable, mais les ténèbres m'engouffraient. Son visage écarlate lui aussi baigné par le sang qui s'écoulait de sa bouche me paraissait s'évaporer lentement.

Je ne l'entendais déjà plus depuis un moment. Ses lèvres remuaient sans cesse, me hurlant quelque chose que je ne pouvais entendre. Une fine pluie avait tout rendu brumeux et je luttais pour ne pas fermer les yeux.

Quelque chose en moi se serra au niveau du cœur. Quelque chose d'imperceptible. Quelque chose de douloureux. Quelque chose d'humain. Ce que je pensais de lui et ressentait pour lui n'avait rien de descriptible. Cela n'était pas de l'amour, de l'affection, de l'amitié ou même une certaine douceur. Non, ces sentiments étaient violents, organiques, ça me bouffait les entrailles et je savais que cette fascination pour lui était dangereuse et me rendrait fou... Ou peut être l'étais-je déjà...

Je mourrais. On dit qu'un film vous défile devant les yeux vous montrant tout ce qu'il s'est passé tout le long de votre vie, que vous revoyez les plus beaux souvenirs dont vous disposez et les plus tristes aussi. Mais moi, je ne voyais rien. Plus de son, plus rien. Je disparaissais. Je m'évaporais simplement en tant que personne, mon existence terminée. Je sentais chaque parcelle de mon corps s'éteindre l'une après l'autre. Comme des petites lumières ou des bougies soufflées par un vent glacial, une par une. Je sentais les ténèbres m'envahir. Lorsqu'il ne resta plus qu'une bougie, je sentis la mort s'abattre sur moi...

Puis, subitement, la douleur. Quelque chose de vif se mit à courir le long de mes veines me brûlant et me glaçant à la fois. La douleur était insoutenable et croissante : à chaque fois que je pensais ne pas pouvoir souffrir d'avantage, la morsure glaciale redéfinissait mes connaissances en torture. Je me remis à sentir mon corps- chaque millimètre de celui-ci gelait, comme trempé dans l'azote liquide. Cela avait commencé à mon poignet droit et cela remontait déjà à ma gorge. J'explosais. Je voulais hurler mais j'étais mort et apparemment pas assez. Lorsque la douleur atteignit ma tête, mes yeux s'ouvrirent violemment et je me mis à crier de toutes mes forces. Mon corps fut comme ré-injecté dans la réalité, ramené à la vie.

Je voyais à nouveau. Mon corps convulsait avec une telle puissance que je me cognais frénétiquement la tête contre le sol. Mais je ne ressentais aucune douleur tellement elle était minime par rapport à celle qui hurlait dans mes veines, tellement cette dernière était... disproportionnée. Mon corps se mit à arrêter de bouger subitement et je vis le plus beau des visages inquiets, celui de Stephen. Son corps plaqué contre le mien, il me tenait fermement contre le sol m'empêchant de m'ouvrir le crâne. Un bon point pour lui.

Je haletais, n'ayant plus la force de hurler. Je donnais toutes mes forces à mon corps, sentant qu'elles n'étaient pas nombreuses, espérant qu'elles aideraient. Je sentis le processus accélérer. Le venin coulait à présent dans mes hanches et j'avais l'impression qu'elles se déchiraient, se contractaient, brûlaient et s'écrasaient à la fois.

Je sentais des choses changer en moi en même temps mais la douleur était trop intense pour que je m'en rende pleinement compte. Les gouttes de pluie semblaient moins rapides, le ciel bien moins sombre, le visage de Stephen plus net, plus beau, plus désirable et plus triste que jamais.

Le sol sous mon dos me semblait moins dur, presque fragile. Mon courage et ma volonté se brisaient petit à petit. J'avais bien trop mal pour avoir envie de continuer. Je voulais qu'il m'achève et je me mis à le supplier. Son regard se brisa et je le vis pleurer pour la première fois. Ne supportant ni la douleur sur son visage ni la mienne, je baissais les yeux et vit que le trou qui se trouvait au milieu de mon torse avait disparu. A la place, une peau nette et lisse, sans cicatrice aucune.

La nausée me prit tellement la souffrance était intense et de la bave se mit à couler de la commissure de mes lèvres, se joignant aux larmes et aux gouttes de pluie qui inondaient déjà mon visage.

Un drôle de sentiment me parcouru. Je devenais sien, je devenais l'un d'entre eux, du moins j'essayais car alors que le venin atteignait mes genoux je sentis brutalement mes forces m'abandonner. Elles avaient décidé de me laisser là, c'en était trop pour elles. Elles avaient fait leur travail et ne pouvaient pas plus m'aider.

Lentement, comme une mort dans la mort je n'eus plus le courage de lutter ni de me battre. Je n'en avais plus envie. J'étais épuisé, lessivé. Mes paupières me semblèrent bien plus lourdes que jamais et je sombrais dans le noir le plus total, à nouveau. Cette fois sans peur aucune, juste la sensation du corps de Stephen pressé contre le mien et sa voix me hurlant de ne pas le laisser seul...

Ce que le commun des mortels appelait virus, je l'appelais venin. Les morsures de Stephen propageaient le venin dans mes veines. Et cela faisait un mal de chien.

Avec le recul, je réalise que je ne savais pas grand chose du Symbiote B-42. Pour ne pas dire rien. J'avais posé des milliards de questions à Stephen mais ses réponses étaient souvent vagues ou incomplètes. Ou du moins pas assez précises pour que je sache vraiment ce qu'était ce virus et les actions qu'il aurait pu avoir sur mon métabolisme. Bien évidement mes recherches sur internet n'avaient pas donné grand chose de concluant. On se sent toujours un peu bête d'aller chercher « vampire » sur Google ou Wikipédia. On se décourage à la moitié du premier paragraphe historique, on cherche forcément comment l'attraper et comment le tuer puis on finit par honteusement surfer sur des pages sur Edward ou Damon...

Bref, je n'étais pas plus avancé qu'avec ma propre culture de fan de science-fiction. Et puis il y avait toujours cette question étrange qui subsistait. L'origine. D'où venaient ces créatures. La réponse était quasiment toujours la même. Des démons. Et si ce n'était pas le cas, les vampires étaient des expériences scientifiques qui avaient mal tournées. Rien ne concordait donc avec ce que Stephen avait pu me raconter sur l'Homo Regenero, cousin proche de l'Homo-Sapiens et de l'Homo Néanderthalensis... On y parlait rarement D’ADN ou de régénération cellulaire, mais plus souvent de magie et d'absence d'âme...

Le Symbiote B-42 porte pourtant bien son nom. Il se fixe sur l'ADN de son hôte et en modifie la structure. En échange d'apport régulier en sang, il renouvelle toutes les cellules responsables du vieillissement et vous garantit un état de santé optimum. De quoi faire pâlir les marques de cosmétique les plus renommées...

Le problème ? Si votre corps ne contient pas originellement le B-42, celui ci se fixe de manière instable et réclame un apport de sang régulier obligatoire à votre survie. Et une fois le symbiote fixé sur votre ADN, sa mort signifie votre mort. Il faut donc se nourrir de sang régulièrement pour rester en vie. Il a également tendance à rendre ses hôtes non naturels un peu plus émotifs.

Vous vous moquiez de vos amies messieurs ? Hé bien vous voilà affublés de sautes d'humeurs régulières. Comme dirait une amie à moi : « On fait moins le malin maintenant, hein ? ». Oh et, pour ne rien gâcher, la résistance du B-42 aux ultraviolets est plutôt mauvaise... Finie la bronzette sur la côte d'Azur...

En dehors de ça ? Je ne sais pas trop, le B-42 est un secret d’État pour les Regenero, seuls les Originels ont toutes les informations sur le charabia scientifique. On peut en déduire des choses folles, mais rien a été prouvé. Guérirait-il le sida ? Le cancer ? Les maladies orphelines ? La seule grande certitude c'est qu'il fait de vous un suceur de sang quasi immortel. Et vous aimerez moins le soleil. Enfin, jusque là, tout ça pour moi était de la théorie. Ma connaissance était limitée par les dires de Stephen. Son savoir à lui était apparemment aussi limité à ce que l'on avait bien voulu lui dire et à ce qu'il avait lui même pu expérimenter. J'avais cette désagréable impression qu'il y avait bien plus à voir et que Stephen cachait peut être des informations.

Bon, j'étais aussi globalement paranoïaque et ma devise dans la vie était que « paranoïa est mère de sûreté ». J'essayais donc de ne pas lui en tenir rigueur et de lui faire confiance, peu importe ce que ce mot voulait vraiment dire. Je vous vois venir et penser que j'ai des soucis liés à la confiance. Hé bien vous avez raison, chapitre clôt.

Je me demande ce que ma vie aurait été sans cette nuit là. Si je n'étais pas « mort » ou si Stephen ne m'avait pas parasité. Est-ce que j'aurais quitté ce fast-food pour enfin suivre mes rêves de devenir libraire ? Est-ce que je me serais marié ? Est-ce que j'aurais eu des enfants ? Est ce que j'aurai continué à fantasmer sur ces héroïnes de science fiction affublées d'un entourage de métamorphes et de vampires ? Et pire encore, est-ce que j'aurai loupé l'épisode final de ma série fétiche en diffusion quasi simultanée ? Je suppose que je ne le saurais jamais.

Ma seule certitude c'est que cette nuit là, quand j'ai rouvert les yeux, mon monde avait changé pour toujours.

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