Chapitre 1 : 14 726 880  Minutes

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« Le Temps vole tout, argent, pouvoir, gloire, Il vole même la vie.»

4 Mois plus tôt...

Courir. Il me fallait courir. Plus vite, encore plus vite. Résolument plus vite. Je ne sentais plus mes pieds. Mes poumons étaient en feu. Chaque respiration était plus douloureuse que la précédente et mon cœur battait dans ma tête. L'afflux sanguin tambourinant violemment contre mon crâne me faisant vaguement perdre mon sens de l'orientation et ma capacité à réfléchir de façon ordonnée. A gauche ou à droite ? Serais-je sauf dans cet arbre ? Cette grande maison au loin resterait-elle un abri inaccessible ? Non, rien ne me sauverait d'eux, rien. Rien n'apaiserait leur soif, rien ne les empêcherait jamais de me tuer ce soir.

Au loin je distinguais des mouvements rapides, comme des illusions d'optique faisant bouger les buissons dans lesquels je m'écorchais quelques minutes auparavant. Cette forêt dense était sombre et lugubre, l'idée d'un jour y mourir m'aurait paru extrêmement cliché. Maintenant, cela me paraîssait tout simplement extrêmement imminent.

L'immense maison sur deux étages, sorte de mini-manoir moderne se dressa à une trentaine de mètres de moi lorsque je fûs sorti de l'épaisse forêt. Je me dirigeais machinalement vers la porte, osant un furtif coup d'œil derrière mon épaule. Cela me permit d'apercevoir qu'un peu plus loin dans la forêt ils m'observaient, amusés par la perspective que je me jette dans une cage. Leurs crocs luisaient au reflet de la lune qui ne m'avait jamais paru aussi lumineuse et grosse. Inquiétante sphère dans un ciel d'un bleu effrayant pigmenté d'étoiles solitaires et mornes.

Cette nuit, je mourrai. Alors, aussi ridicule que ça pu leur paraître, je décidais de me battre jusqu'au bout et de choisir mon endroit pour mourir. Je me laissais tomber contre la porte, à bout de souffle, la poussant de toutes mes forces, espérant qu'elle serait ouverte. Les gongs vibrèrent sous mon poids et je m'effondrais dans le hall d'entrée, refermant la porte derrière moi ce qui était parfaitement inutile. D'une main, ils soulevaient dix fois leur poids, sans paraître faire le moindre effort.

Souvent, lorsque je regardais des films d'horreur, je trouvais stupides ces héroïnes qui couraient dans tous les sens et s'enfermaient dans le premier trou à rats qu'elles trouvaient, appelant les secours d'une voix hystérique. Hé merde. J'allais finir exactement comme elles, mais avec beaucoup moins d'hémoglobine et un temps de douleur bien plus long. Perspective extrêmement réjouissante.

Je me relevais avec peine, titubant et laissant quelques gouttes de sang sur le sol au passage. Ma chemise blanche était déchirée,pleine de sueur et de traces vertes et brunes. Mon jeans était en lambeaux jusqu'au niveau du genoux de ma jambe gauche. Mes chaussures étaient étrangement intactes, d'un noir presque parfait, quelques morceaux d'herbe collés sur le devant.

Je longeais lentement les murs, m'agrippant à la rampe d'escalier, priant pour ne pas me prendre les pieds dans un des tapis neufs ou de ne pas glisser sur le mobilier encore recouvert d'immenses sacs plastiques. Des sacs plastiques pour les protéger de la poussière... Cette maison était donc neuve et meublée. Plutôt chaleureuse, contrastant avec les alentours sinistres. Combien aurait-elle bien pu valoir ? Combien d'années aurais-je dû travailler pour me l'offrir, moi qui n'aime pas les espaces trop grands ? Ces pensées me traversèrent furtivement l'esprit. J'allais mourir et ma seule préoccupation était de savoir combien de temps économiser pour acheter une maison. De mieux en mieux.

Lorsque j'atteignis le deuxième étage, j'entendis la porte exploser. Quelque chose en moi se brisa alors que je tournais sur la droite le long d'un couloir éclairé par la lumière de cette lune, témoin-coupable de mes derniers instants. Je pouvais ressentir la mort, sa main froide essuyer avec patience la sueur de mon front et me prendre la main, compatissante...

La porte que j'ouvris donnait sur une chambre dont la porte-fenêtre ouverte me laissa penser que le promoteur avait été bien laxiste. Les rideaux flottaient dans l'air humide, gorgés d'eau alors qu'il ne pleuvait pas encore. Bienvenue en Alsace en automne... Je titubais jusqu'à la baie vitrée et m'accrochais à la porte-fenêtre qui n'était pas ouverte pour reprendre mon souffle.

C'est à ce moment là qu'il entra dans la pièce. Son visage était d'une beauté fascinante. Un chef d'œuvre créé par la mort pour accomplir son dessein. Ses yeux d'un vert éclatant luisaient dans la pénombre, contrastant avec ses cheveux d'un noir ébène qui tombaiennt en bataille sur ses yeux. Ses lèvres charnues et son nez droit lui donnaient un air de mannequin, mais aucune de ces beautés froides des magazines ne lui arrivaient à la cheville. Son teint pâle, laiteux et son corps fin n'avaient rien à envier, je me sentais ridiculement banal et dispensable à côté de lui.

Sa chemise noire et son jeans d'une propreté impeccable semblaient être faits pour lui. Ses chaussures de ville d'un marron foncé faisaient ressortir l'unique accessoire que je ne l'avais jamais vu porter en dehors de sa bague fétiche : un bracelet en cuir identique au mien qui ornait son poignet gauche.

Une expression indéchiffrable passa dans ses yeux et l'espace d'un instant je fermais les miens, pensant qu'il serait mon bourreau. Lorsque je les rouvris, il était plus proche de moi qu'il n'aurait dû l'être si il avait marché à la vitesse d'un humain normal. Stephen me regardait avec perplexité et inquiétude, me sondant. Je savais combien lui coûtait cet effort de résister à mon sang, combien le désir et la soif le rongeaient, même s'il n'en laissait rien paraître, mais aucune de mes pensées n'allèrent vers la mort ou la peur. La seule envie qui me consumait était de le toucher, encore une fois, de sentir sa joue sur ma paume et de voir le vert de ses yeux s'allumer en ma présence. Je voulais baigner dans ses ténèbres et me laisser engloutir par elles. J'étais résolument cinglé.

- Ils ne vont pas tarder, nous devons fuir. ils sont déjà ici.

A peine ces mots prononcés, quelque chose le heurta et il valdingua sur le lit. En temps normal le lit aurait du se briser dans un bruit sourd mais il se rattrapa quasi-instantanément, aussi léger qu'une plume, frôlant l'une de ces fameuses housses en plastique dans un bruit de froissement. Un dixième de seconde plus tard, il était à nouveau entre moi et l'homme qui venait d'entrer dans la pièce. Jolan. Stephen m'avait déjà parlé de cet homme et je ne l'avais croisé en personne qu'une fois. Il était toujours tiré à quatre épingles et avait cet air condescendant en permanence. Un trait qu'il devait avoir de son vivant, je suppose. Petit de taille, il aurait pu passer pour inoffensif si il n'avait pas eu cette lueur cruelle dans le regard. Le genre d'étincelle qui crie déjà à l'incendie et dont les animaux se méfient. Je n'arrivais plus à me souvenir si ses yeux étaient bleus ou gris et cela me turlupinait. J'ai toujours eu un souci du détail et il arrivait régulièrement que cela me joue des tours...

Stephen se retourna rapidement pour vérifier que rien ne m'était arrivé et ses yeux s'ouvrirent grand. Je tournais mon regard vers Jolan qui se retourna, puis à nouveau vers Stephen qui me dévisageait. Quelque chose coulait sur mon ventre, quelque chose de poisseux et de chaud. Du sang.

Mes yeux descendirent lentement vers mon torse et ma tête se mit à me lancer violemment lorsque je compris la raison pour laquelle Stephen me regardait comme ça. Un trou béant s'était formé juste en dessous du niveau de mon cœur. On pouvait voir ma cage thoracique dans un sale état. Ma cage thoracique... Je sentis mon corps tomber, traverser la baie vitrée et mes yeux être engloutis par les ténèbres. La dernière chose que je vis était le visage de Stephen partagé entre folie et désespoir, puis un rideau d'un noir opaque me tomba devant les yeux.

Je repensais à ma vie, un éclair insignifiant sur cette petite planète et je sombrais. Ils avaient gagné. Les méchants avaient gagné. Ce n'est pas comme ça que se finissent les films et ce n'est pas comme ça que mon histoire était sensée se terminer.

Vingt sept ans, dix mois, sept jours, dix sept heures et Cinquante cinq minutes après ma naissance, ma vie prit fin sur la terrasse du deuxième étage d'une maison perdue dans les Vosges...

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