Chapitre 38 : Retour et départ (1/2)

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N’ayez pas peur, disaient-ils. La mort, c’est la paix. C’est la fin des souffrances.

Ça n’a pas été mon expérience, Héliandri. Loin de là…

Je l’ai ressenti dès que j’ai traversé le portail. Il y a eu une fraction de secondes, peut-être, où j’ai pu admirer les glyphes de cette grotte adossée à la montagne. Juste après, la sinistre farce m’a engloutie.

Le portail donnait sur un large gouffre où je suis tombée en hurlant. Tous mes os ont craqué. Mon corps s’est brisé. Et j’étais là, étendue sur un empilement de squelettes. Des dizaines, des centaines peut-être, prête à devenir l’un d’eux.

Pas avant d’agoniser. Des vains appels au secours émanant de cette figure méconnaissable. Tu n’aurais pas voulu me voir ainsi : j’étais réduite au fondamental, à cette chair déchiquetée, noyée dans son sang. Personne n’entendait l’aventurière, coincée au fond de son puits.

Pitié…, ai-je gémis. Pas la fin maintenant… J’ai encore tant…

Quel est le moment de la rupture ? Mes gémissements s’affaiblissaient déjà après quelques minutes, et pourtant, je comptais mes respirations en heures. Pas la peine de supplier, pensais-je, alors que me souvenirs m’apportaient un semblant de baume au cœur.

J’ai payé l’ultime prix de mon imprudence. Je ne mérite que de méditer sur cette vie gâchée. À me rappeler de mes accomplissements, de cette joie que me procuraient ces explorations. Envolés à l’instant où l’impensable piège s’est refermé contre moi.

Mon corps, mon esprit, ou mon âme se dirigeait vers le ciel. J’y ai cru, à cette paix, lorsque j’étais inondée de ce cône de lumière. C’était comme si mes blessures s’étaient pansées. Si légère que toute force avait cessé de s’exercer contre moi. Il ne me restait plus qu’à me laisser emporter par-delà les nuages. Il suffisait de fermer les yeux et de me détendre, après tout.

Où avais-je été projetée ? Aujourd’hui encore, je ne le sais toujours pas. Peut-être que j’aurais dû mieux suivre les cours de théologie. Tout ce dont je me souviens, c’était que mon cœur frappait contre ma poitrine, que la sueur ruisselait sur mes joues. J’étais face à un alignement de colonnes plongeant jusqu’à l’horizon. Une ligne droite facile à suivre, au premier coup d’œil.

Je m’y suis jeté. Ha, j’ai courant un long moment ! Avant de réaliser que même ici, mes poumons sollicitaient de l’air. Entre deux échos, entre deux hoquets, je regardais autour de moi. Ces piliers dans le noir, seule frontière entre moi et cet éclat divin. Des voix s’imprégnaient en moi, sans doute ces déesses et ces dieux que j’aurais dû prier.

Oh, que je me suis maudite. L’aventurière capable de se repérer dans des ruines était désorientée dans ce labyrinthe. Elle se déchirait dans un rire nerveux, et a même fondu en larmes, son corps lacéré encore frais dans sa mémoire.

Autant dire que j’ai jubilé quand l’escalier s’est présenté. Je n’avais qu’à gravir les marches et à saluer ces âmes qui me souhaiteraient la bienvenue. Mais ce n’était que le début de mon ascension. Je ne pouvais me reposer, je devais gravir ce sommet, pour enfin trouver le salut. Pour me motiver, je me répétais que la destination au-delà même du ciel. Les étoiles ne servent pas qu’à décorer la voûte ! Absorbe-moi, vide insondable, et fais-moi tien !

Minutes, heures et jours… Je me raccrochais à ce concept où le temps n’avait plus cours. Ce qui était concret, par contre, étaient les marches qui s’effondraient sans que je puisse réagir.

Étais-je condamnée à une chute sans fin ? À m’éloigner du firmament censé m’offrir le repos ? Mon cœur paraissait lâcher à la vitesse à laquelle je tombais. Je retournais là d’où je venais, où du moins le supposai-je à mesure que les nuages se rapetissaient dans ma vision.

L’arrêt était brutal. Je flottais dans les airs, hébétée, haletante. Un décor s’était dessiné alors autour de moi. Petit à petit, l’invisible pinceau a esquissé de rassurants contours. Ces forces m’avaient figée au milieu d’un bois de conifères, à même une bicoque entourée d’un linceul fleuri.

Je me suis placée sur la petite fenêtre, et pour la première fois, un sourire m’est revenu. Comment aurait-ce pu être différent, face à ce couple assis sur leur lit, s’échangeant des baisers aux crépitements du feu ? L’homme caressait le ventre arrondi de sa femme en enroulant son bras autour de son épaule. Rires et roucoulements… Sensations d’autrefois, sûrement.

Cette force m’attirait encore. Enfin, je pouvais me relâcher, et rejoindre ce qui n’était alors qu’à sa conception. Je n’avais qu’à traverser la vitre et me complaire dans ce nouveau départ. Aspirant à la tranquillité, subissant un cycle sans fin ni début.

Y’aurait-il eu un adieu ? L’aventurière dépossédée d’elle-même, devenant une toute autre personne ? En principe, je n’aurais pas eu le temps de me poser ses questions. Mais plus je me rapprochais de la femme enceinte et plus je paraissais ralentir… Non ! Mon bras tendu établirait le lien.

Que ce tableau avait été éphémère. J’ai été projetée hors de ces chatoyantes couleurs… Hors de tout. Tout autour de moi était d’un blanc pur, parfait même. Mais comment appréhender dans cette lumière si elle ne révélait rien ? Pas de sol, pas de direction, rien qu’une figure éjectée nulle part.

Je n’ai même pas eu le temps de tergiverser. Une vague de ténèbres s’était opposée à cette clarté, grandissant d’une manière très visible. Je devais faire volte-face, m’abriter quelque part. Même l’absence des lieux était censée protéger une âme égarée.

Je me suis précipitée vers une échappatoire. Loin de l’obscurité conquérante, loin de la fatalité incarnée. Cette lumière, tantôt éblouissante, était plus rassurante que de pareils abysses. Allais-je devenir une victime de ce duel indépendant de ma volonté ?

J’ai été saisie soudainement. Je suis tombée sur mes genoux, comme si j’avais une perte spontanée de mémoire. Crois-moi, Héliandri, jamais je n’avais autant pâli. Jamais des frissons ne m’avaient autant ébranlé.

Le danger était ailleurs. Les ténèbres, aussi terrifiantes soient-elles, n’étaient pas mon ennemie. Non parce qu’il lui fallait un équilibre avec la lumière… Mais car elles étaient matières.

Contrairement au néant.

Ma cadence s’était accélérée. Partout où j’ai jeté mon regard, tout disparaissait. Éclats comme obscurité, ils m’avaient tant cerné, et désormais ils m’abandonnaient. Comment leur en vouloir ? Même les plus grandes forces de l’univers ne peuvent rien contre lui.

Une douleur avait lanciné mon crâne. Bien sûr que j’ai hurlé au début… Avant de la réclamer. Transpercez-moi, démembrez-moi, brûlez-moi, même ! Je me serais livré toute entière si l’on pouvait m’infliger chaque souffrance, tant que je ressentais quelque chose.

Ce n’est pas ce qu’il s’est produit. À la place, je me perdais dans ma course. Des fragments entiers de moi-même, volatilisés. La conscience continue, disloquée, morcelée, sectionnée. Pire que l’impression de s’immerger dans un sommeil profond, dépourvu de rêve.

Car là, au moins, il y avait encore raison d’espérer.

Néant éternel… Un paradoxe en soi. Le temps n’existe plus. Rien n’existe ! Et certainement pas cette aventurière, détruite par une force indescriptible. Le corps comme l’esprit, ensemble jusque dans la toute fin.

J’étais immobile. Pas résignée à mon sort, c’aurait été impossible, juste… impuissante. J’aurais bien hurlé en constatant mes membres disparaître dans le vide, mais même ça, j’en étais incapable. Il me restait tout juste assez de conscience pour comprendre ce qu’il m’arrivait. Engloutie dans l’inénarrable. Ma vision subjective de ce monde allait s’éteindre à jamais. Il continuerait de vivre, sans que je m’en rende compte, jusqu’à sa propre fin.

Tout ce qui fut ne serait plus. Cette pensée ne pouvait même pas être vertigineuse, car il n’y avait plus de pensée.

Quelque chose m’a sauvé. J’ai été téléportée… Partout. Le corps encore éveillée, assistant à des phénomènes indescriptibles.

Étais-je ce fatras de chair et d’os, bientôt dévoré par la terre ?

Étais-je cette figure moins concrète, allongée dans la mer, piégée entre des indéfinies étendues ?

Étais-je cette collection de tout, un amas de rien ?

Quoi qu’il en soit, je ne pouvais que subir. À la fin, chaque être vivant, aussi omnipotent se prétend-il, devait s’incliner face à l’infinité de l’univers. Là-haut, là-bas, je m’imaginais un nombre incalculable de mondes comme le nôtre, tournant autour de leur étoile. Je me représentais cette bande blanchâtre, part d’un incommensurable tout, rares lueurs d’un espace dominé d’obscurité.

Quiconque m’avait donné naissance devait être généreux. Des milliards d’âmes, bien plus sans doute, s’interrogeant sur leur existence, car leur conscience le leur avait permis. Un atout comme un fardeau. Peut-être était-ce la clé vers la paix. Un début et une fin entourés de l’infini, telle était l’initiale conception, l’harmonie décidée ou imposée.

Il devenait donc naturel de s’y soumettre. Je me décomposerais en cette multitude de particules. Elles s’envoleraient dans les cieux, façonneraient de nouveau l’univers. On m’avait accordé cette opportunité, et maintenant, d’autres devaient en profiter.

Il en a été décidé autrement.

Une énergie m’avait submergée. Plus puissante encore que celle issue du portail. Plus sibylline que les mystères les plus inextricables. De tous les sorts qui m’attendaient, on m’avait imposé la résurrection, de poursuivre avec ce corps qui m’avait lâchée.

Tu es digne, a affirmé Nasparian.

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