Chapitre 38 : Retour et départ (2/2)

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— Voilà le récit de ma résurrection, termina Wixa sur un ton amer.

Perchée sur la montagne enneigée, Héliandri ne frissonnait pourtant guère. Elle baignait dans la chaleur que lui procurait l’étreinte. Quelques sanglots lui causaient de légers spasmes pendant qu’elle fixait sa partenaire avec ses yeux mouillés.

— Et moi qui me plaignais de ma prison…, songea-t-elle. Tu as traversé le pire…

— J’en suis revenue, contrasta Wixa. Pas intacte, d’accord. Mais combien ont eu la même chance que moi ? Combien sont revenus de l’abime dont j’ai souffert ?

Une sombre expression peignait le visage de Héliandri bien que ses larmes eussent séché. Méditant sur la question, elle se retourna à l’entrée de la grotte, où le portail scintillait de plus belle. Elle eut beau plisser des paupières, elle ne remarqua rien d’anormal.

— Tu es tombée mais pas nous, constata-t-elle. Où était ce gouffre lorsque c’était notre tour ?

— Vazelya, révéla son amie. Une chance qu’elle ait été la prochaine à y aller après moi.

— Oui… Bien sûr ! La même raison pour laquelle le portail a cessé de s’éteindre après chaque passage. Pourquoi ne l’a-t-elle pas mentionné, elle qui vantait en permanence son utilité ?

— À toi de lui demander, mais je crains qu’elle soit hors de l’archipel. Je ne ressens plus sa magie.

— Elle s’est séparée de nous car elle voulait retrouver Dehol ! Que s’est-il passé depuis ?

— Une image mitigée… Sauver une dizaine de vies pour en gaspiller une.

— De quoi tu parles, Wixa ?

Elle ne lui gratifia d’aucune réponse, retournant plutôt dans la cavité. Auprès de ce portail, la même réminiscence impactait continûment, la taraudait au-delà du raisonnable. L’accalmie l’enveloppa seulement lorsque sa partenaire la rejoignit. Ensemble elles admirèrent la pureté du nardos qui encadrait l’authentique concentration de magie. Ensemble elles se courbèrent, éloignées des tourments de naguère.

Héliandri dévisagea sa camarade d’un air préoccupé.

— Nous savons qui a refermé ce bruit, dit-elle. Par contre… Qui l’a créé ? Il est improbable qu’il ait été originellement conçu ainsi.

Wixa se tut de nouveau. Circulant autour de la salle, elle se heurta bientôt à l’impatience de son amie, laquelle persistait à l’observer.

— Tu ne lui dois aucune reconnaissance, lâcha Héliandri. N’accorde pas ta confiance à un tel individu ! Il ne connaît que le langage de la mort.

— Il aurait pu m’abandonner là ! J’aurais fini comme tous les malheureux avant moi… Un inerte tas d’ossements.

— Ce qui n’efface en rien ses atrocités ! Combien de squelettes s’empilaient au fond de ce puits ? Sans parler des victimes de ses jhorats et krizacles…

— Malheureusement…

Héliandri plaqua ses mains sur les épaules de Wixa, ses traits déformés par un rictus.

— Malheureusement ? s’emporta-t-elle. Que nous ayons vécu seules n’excuse pas notre égoïsme ! Nasparian est une influence néfaste. D’ici, je ne peux pas protéger mes compagnons de lui.

— Pour l’avenir du monde, rétorqua Wixa, les alternatives sont limitées.

L’aventurière pantoise, sous l’éclat de son amie, ne put répliquer quoi que ce fût. Contrainte à écouter, astreinte à subir les effets de la magie. Souvent elle cillait face aux foulées si millimétrées de Wixa, qui regagnait l’extérieur avec une assurance inconcevable. Pas un frémissement ne l’ébranlait tandis qu’elle se plongeait au contrebas.

— Ma volonté de survivre m’a littéralement sauvée, expliqua-t-elle. Depuis la disparition de son prédécesseur, Nasparian avait besoin de quelqu’un pour assurer un rôle complémentaire au sien. Tu te rends compte, Héliandri ? Je suis la première humaine à endosser cette responsabilité !

— Quelle responsabilité ? s’étonna Héliandri. N’es-tu pas l’aventurière dans l’âme, si ravie à l’idée d’explorer les prochaines ruines ?

Wixa inclina la tête, tournant encore le dos à son amie.

— C’est ce que j’étais, confirma-t-elle. Mais regarde le pouvoir qui m’a été conféré. Il doit servir un autre but. Nasparian est le gardien, je serai la guide.

— Guide de quoi ? s’écria Héliandri. Guide de qui ? La vie s’est éteinte depuis bien longtemps ici.

— La mienne l’était aussi, et pourtant je me dresse devant toi. Après tout ce temps, tu doutes encore des possibilités de la magie ? La différence, c’est que dorénavant, je ne suis plus simple témoin de l’histoire.

Un frisson fendit l’échine de Héliandri. Déglutissant, dilatant les yeux, elle faillit trébucher à l’entrée de la caverne.

— Je ne te reconnais plus, souffla-t-elle.

— Je t’avais prévenue, dit Wixa. Voilà pourquoi je dois partir.

Wixa ne put avancer d’un pas que sa partenaire s’accrocha à elle. Dans un geste de désespoir, elle la secoua. Dans un geste de pardon, elle lui coula un coup d’œil empathique.

— Nous venons à peine de nous retrouver ! s’exclama-t-elle. Tu ne vas pas t’en aller ! Tu ne vas pas me laisser…

— C’est l’heure, fit son amie. Celui d’utiliser mes nouveaux pouvoirs à bon escient. De les mener vers leur avenir. Je me suis entraînée, et j’œuvrerai corps et âme pour réussir.

Ce fut Wixa qui prit Héliandri dans ses bras. Elle lui tapota le haut du dos, lui caressa les avant-bras. Peu importait la largeur de son sourire, tant des plis sillonnaient le faciès de sa partenaire.

— Nous sommes un duo ! insista Héliandri. Nous l’avons été pour la majeure partie de notre vie !

— Et je chérirai chaque moment que nous avons partagés, s’ébaudit Wixa. Nos échecs comme nos réussites. Nos maladresses et nos rires, nos pleurs et notre fortune. Il y aura toujours une place importante pour ces souvenirs.

— Tu ne comprends pas, Wixa… Je ne suis rien sans toi !

La main de Wixa remonta le long du cou de son amie, avant de se poser sur sa joue. Rarement l’avait-elle lorgnée si profondément. Jamais n’avait-elle autant lu en elle qu’à ce moment précis.

— Sans moi, complimenta-t-elle, tu es une aventurière chevronnée. Une évadée plaçant la morale au-dessus des lois, prête à tout me retrouver. Tu n’as pas eu besoin de moi pour explorer ces terres, pour écrire l’histoire. Il paraît que ton nom résonnait dans l’entièreté de Menistas.

— Tout ce que je souhaitais, murmura Héliandri, c’était que le tien soit prononcé en même temps.

Wixa embrassa le front de sa camarade. Peut-être que son sourire s’étendait encore, mais Héliandri ne l’aperçut que brièvement. Autour du bras de sa partenaire voletaient d’étincelantes particules, dont les crépitements chatouillaient ses tympans. De quoi détendre son corps secoué si les larmes ne la submergeaient pas.

— J’espère que nous nous reverrons bientôt, souhaita Wixa. Pour l’instant, nos routes doivent encore se séparer. Tu as dévoilé ce monde perdu. À moi de l’aider à se bâtir un avenir.

Il lui fut ardu de se dérober de son contact. Âpre de marcher sur le névé, foulée après foulée, au mépris de ses sanglots. Elle qui devenait morose se souvenait de l’essentiel, et se soumit à la magie régnante.

Wixa se téléporta. Héliandri se retrouva seule.

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