Chapitre 37 : La tour du savoir (1/2)

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Une magie subjuguant au-delà du réalisable. Flamboyante tant elle s’élevait au firmament. Perçante au crépuscule, considérable agglomérat de particules. C’était une colonne complémentaire à la tour, perdurant longtemps, et dont l’extinction se fit progressive. Même lorsque ne subsistèrent que des filaments, sa coruscation les marquait encore, stridulant sans arrêt.

Ainsi se concrétisa le signal auquel la compagnie se référa.

Des escaliers en colimaçon cerclaient la géante structure principalement bâtie de nardos. Plusieurs paires d’yeux fascinées s’attardèrent sur les interstices brasillant d’un flux irrégulier. Tant de couleurs jalonnèrent des hauteurs de plus en plus vertigineuses comme la terre semblait se rapetisser sous les marches laquées.

Lesquelles s’arrêtèrent subitement après quelques minutes. En tête du groupe, Héliandri évita une chute inexorable, rattrapée de peu par Guvinor. Son cœur se resserra quand elle évalua ce qu’il restait à gravir. Un sommet hors d’atteinte en apparence, qui paraissait s’élargir à chaque nouveau coup d’œil. Étages après étages se déroulaient, tutoyaient la voûte céleste, miroitaient sous les lueurs déclinantes du jour.

Face aux proportions démesurées, il se nichait des prises sinuant jusqu’à l’éminence. La meneuse s’y accrocha dès qu’elle les aperçut, aussitôt suivie par ses camarades. Ils se hissèrent au-dessus de escaliers et s’éloignèrent peu à peu de la stabilité. Pour chacun d’entre eux, il s’agissait de grimper vers l’inexploré. Peu importaient les efforts que cela exigeait.

Une épreuve plus ardue qu’escomptée.

La largeur des creux leur aurait assuré une ascension, si certaines ne s’avéraient pas glissantes. Une prise après l’autre, sur une succession de tractions, les compagnons exsudaient tant leurs muscles étaient sollicités. Résistance était requise, et l’impulsion réclamée. Alors ils visualisaient ce sommet semblable à une cime, plus tangible à mesure que leur montée se prolongeait. Alors ils se soutenaient, franchissant l’impensable.

Yazden ripa sur une saisie et commença à chuter. Des cœurs lâchèrent, des cris brisèrent le semblant de quiétude. Akhème attrapa la garde par le poignet avant que le gouffre ne la cernât. D’une seule main, elle la réintégra dans son escalade. Des soupirs de soulagement emplirent le ciel, puis le silence s’abattit de nouveau.

Des rafales se réveillèrent et s’intensifièrent à mesure qu’ils conquéraient les hauteurs. Un souffle presque glacé faisait onduler leurs vêtements tout en perturbant leur équilibre. Quitte à ralentir le rythme, ils s’appuyèrent sur chaque prise, leurs mains et pieds s’enfonçant dans les interstices. À peine s’entendaient-ils sous le bourdonnement alentour. Il n’y aurait nulle mélodie célébrant leurs tribulations. Il ne s’entonnerait nulle balade dans leur suspension. L’astre diurne se couchait et privait bientôt les explorateurs de cet éclat tant désiré.

Il en régna un autre, plus prépondérant encore que l’aurore.

Un dallage en cipolin saillit depuis le sommet de la tour. Telle était l’accès par lequel la compagnie se fraya. Une escalade dont ils sortirent éreintés, haletant, s’étendant sur la froideur du pavé. Ils se dispersèrent aux abords de cette large salle qu’aucun toit ne couvrait, aussi le vent s’engouffrait, engendrait frissons sur frissons.

Il leur fallut du temps avant de s’ébahir. Peut-être était-ce le chapelet d’obélisques qui traçaient les contours, entre lesquels des étagères s’intercalaient. Peut-être étaient-ce les milliers d’ouvrages qu’ils recelaient, aux vibrations continues, et trônant sur une pierre scintillante. Voire les arches qui s’entrecroisaient en esthétiques courbes, joignant les extrémités de la salle.

Tous se fixèrent cependant à l’orbe massive, flottant au-delà d’une ultime série de marches. Une trinité de cerceaux se mouvait tout autour, se déployait par-dessus des cavités, et parfois obstruait les pulsations issues de la sphère. Par sa seule présence, elle captiva les visiteurs, frappa leur rétine de son illumination. Un ancestral condensé de pouvoir, contenue sur la haute structure.

Wixa se dressait en-deçà.

— Héliandri, attends ! avertit Guvinor.

Rien ne réfréna la hâte de l’aventurière. Elle courut comme jamais elle n’avait couru. Des larmes dégoulinèrent son faciès et suivirent la ligne droite que ses véloces foulées traçaient. Elle cria le nom de son amie, le répéta sans la moindre lassitude. Et suite à quelques courtes secondes, elle la serra aussi fort qu’elle le pût.

— Je le savais que tu n’étais pas morte ! s’ébaudit-elle. J’avais toujours raison d’espérer !

Même si des gouttes salées déparaient ses traits, Héliandri s’offrit toute entière à sa partenaire de toujours. D’abord ses doigts s’enroulèrent autour de ses mèches avant de caresser la balafre de sa joue gauche. Figure érigée au mépris des craintes, fidèle à elle-même, ses lèvres ne s’étiraient pourtant guère comme à l’accoutumée.

Héliandri ne put se détourner indéfiniment de l’éblouissement. Sursautant, elle recula et se frotta les paupières, bouche grande ouverte. Mais toujours restait-elle suspendue face aux éclats ambrés qui avaient supplanté l’azur de ses iris.

— Que t’est-il arrivé ? s’affola Héliandri.

Au rembrunissement de Wixa, Guvinor s’extirpa de son immobilisme, et devança le reste du groupe.

— Je suis désolé, murmura-t-il.

— Non… Non ! s’agita la meneuse. Wixa, je t’en supplie, explique-moi !

La concernée posa une main sur l’épaule de son amie, des rides sillonnant encore son visage.

— Je suis émue, fit-elle. Tu t’es trouvée de nouveaux compagnons, et tu as tant trimé pour me retrouver. Si seulement il n’était pas trop tard dès le départ.

— Il est encore temps ! s’écria sa partenaire. Nous repartirons ensemble à travers le portail. À la conquête du monde, toujours plus loin dans nos explorations. Comme avant, Wixa !

— J’aimerais tellement, mais c’est impossible. Celle que j’étais est morte en franchissant le portail. Trop précipitée, trop curieuse peut-être. Pourquoi alors je ne regrette rien ?

— Tu es devant moi, bien vivante !

— Héliandri… Nier la réalité ne la rendra pas plus agréable. Souviens-toi de Delcaria. Je suis une autre personne, désormais.

— Tu es revenue, tu peux encore…

— Un autre rôle m’attend, désormais. Il y a un prix à la résurrection que Nasparian m’a offert.

— Nasparian… On en revient toujours à lui.

Des filaments ténébreux obscurcirent alors la lueur derrière. Nasparian jaillit entre Héliandri et Guvinor, ajoutant l’éclat de ses yeux à celui de Wixa. Quelques lignes supplémentaires zébraient son masque, au travers duquel il jaugea l’ensemble des personnes présentes.

Plus d’un se pétrifia en sa présence. Guvinor résista, bien qu’il écarquillât des yeux. Car Nasparian circulait avec aisance, son flux voletant au rythme de ses pas, et surveillait chaque mouvement au sein de la salle. Après quoi il s’orienta vers les aventurières.

— Vous voilà finalement réunies ! fit-il. Ne suis-je pas généreux ?

— Exactement, ce sont nos retrouvailles ! avança Wixa. Tu avais dit que tu ne te manifesterais pas.

— Eh bien, j’ai changé d’avis. Manquer un tel moment aurait été regrettable, tu ne penses pas ?

Un frisson courut le long des vertèbres de Wixa quand bien même elle se réfugia auprès de sa partenaire. Cette dernière défiait Nasparian du regard, mais il lui prêtait à peine attention.. Allers et retours s’enchaînaient comme il canalisait avec subtilité l’énergie gravitant autour de lui.

Yazden se raidit en dépit de ses tressaillements. Se plaça au-devant de la plupart de ses compagnons.

— Mon cœur se réjouit de cette réunion, déclama-t-elle. Prends cependant garde, Héliandri. Qui que fût ton amie, elle semble s’être alliée avec ce Nasparian. Aujourd’hui, des centaines de vies ont été perdues par sa faute.

— Wixa est coupable par association ? se moqua Nasparian. Cesse les faux détours et adresse-toi directement à moi, garde. À moins que la peur ne te paralyse ? Avec un brin de chance, peut-être réussiras-tu à m’égratigner.

— Je ne cèderai pas à la provocation, mais justice doit être rendue.

— Tu évoques des concepts que tu ne maîtrises pas, telle une érudite trop plongée dans ses livres. Des centaines de militaires ont trépassé. Cela peut paraître beaucoup, mais il s’agit juste d’une poignée par rapport aux vies que je protège. Et on m’a ordonné de patienter, parce qu’un jour Menistas sera prêt ! Un vœu irréalisable. Qui contraint à prendre une décision radicale.

Tout le long de son discours, Nasparian avisa à peine Guvinor s’approcher de lui. D’ici il percevait les rapides battements de son cœur tandis qu’il élevait sa main. Nasparian aurait pu le repousser d’un sort, voire simplement s’écarter, il n’en fit cependant rien. Il s’immobilisait à l’effarement de tout un chacun, et au regard pénétrant de Guvinor.

Derrière le masque, tombant sans finesse, des traits juvéniles se dévoilèrent. Inscrits sur une figure ronde et imberbe de grise complexion, autour de laquelle cascadaient de longues mèches blanchâtres. À ce moment, Guvinor ne put tendre sa main. Il était paralysé. À cet instant, les auras se dissipèrent, et la vision s’éclaircissait sans la moindre ambiguïté.

— Je ne voulais pas y croire, murmura Guvinor. C’est bien toi, Gonel. Comme le jour où tu es parti.

— Comme le jour où tu m’as abandonné, riposta Nasparian. Tu n’as plus le droit de m’appeler par ce nom.

— Guvinor, qu’est-ce que ça signifie ? interpella Héliandri.

Des secousses ébranlèrent soudain le sommet de la tour. Quelques fissures lézardèrent les dalles à la chute des dizaines d’ouvrages à même les obélisques. Au centre coalisait la magie de Nasparian, seule à rivaliser avec la sphère lumineuse. Il alternait entre grognements et ricanements.

Ce qui encouragea Turon et Akhème à défourailler en le dévisageant. Ils se murent malgré les protestations de Guvinor, malgré leurs camarades appréhendant encore la situation.

— Ils me reconnaissent ! s’amusa Nasparian. Prodigieux, vous n’étiez alors que des chérubins.

— Guvinor…, fit Akhème. Il est temps. J’ai envie de me réjouir que Gonel soit en vie… mais est-ce vraiment lui ?

— Explique-leur donc, répliqua Nasparian. Décris ce jour où tu as laissé ton petit frère derrière toi.

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