Chapitre 33 : Ce que la peur inspire (1/3)

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L’armée avait fendu bien des terres. D’une île à l’autre, filant en direction du sud, sans que nulle âme ne perturbât leur progression. Une découverte qui leur avait été précédée, un exploit dont ils avaient été privés. Un lieu où l’enchantement émanant de leur arme s’effaçait face à la puissance du flux imprégnant chaque parcelle de leur environnement. Où les édifices de jadis ne capturaient qu’une brève attention pour la plupart.

Pourtant, dès qu’ils cheminèrent par-delà le temple de Therzondel, un sentiment d’absence se propagea. Frôlait la lassitude à force de répétitivité, aussi Twéji somma à ses subordonnés de ne pas relâcher leur vigilance. Guvinor surveillait constamment ses alentours sans recevoir d’instructions, tout comme ses gardes du corps. Car depuis leur perspective se découpait bientôt la large vision d’un bois illuminé, perché au sommet d’une falaise.

Elle se réduisit bientôt à l’orée, depuis laquelle les jhorats émergèrent.

Sous l’éclat du zénith, leurs ombres massives paraissaient s’étirer outre mesure. Tel un trait s’étendaient leurs rangées pendant qu’ils traversaient les ponts s’élevant depuis la plage, sous les parois. Le vibrant cliquetis, émis par leurs jambes en métal, marquait l’invraisemblable synchronisation de leurs foulées.

— En position, maintenant ! tonna Twéji. Soldates, soldats, aux armes !

L’alliance brilla dans la nitescence du jour. Ils s’alignèrent sous les injonctions de leur supérieure, défouraillèrent en une poignée de secondes. Un amas de tintements concorda avec le fracas de leurs pas au centre de la plaine. Lames, arcs et arbalètes miroitèrent de plus belle, imprégnés d’une magie qui se propageaient en filaments bariolés. Genoux légèrement pliés, l’œil vif et fixé droit devant eux, les militaires s’ajustaient en toute conformité.

Guvinor adoptait une posture rigide, l’allure flexible, presque à hauteur de la générale. Avec lui étincelait une paire de lames, extension de ses bras, le long desquels un subtil flux s’écoulait en grésillant. Cette force le détendit quelque peu alors qu’il bandait ses muscles. Il faisait face au péril grandissant, paré à être cerné, entouré de ses protectrices.

Akhème avait déjà dégainé, se positionnant comme Guvinor, au contraire de Yazden. De ses jambes vacillantes résultait un équilibre précaire. Outre la dilatation de ses pupilles, elle réprimait ses tressaillements tant bien que mal, une abondance de sueur lustrant son front. Doucement, Akhème lui toucha l’épaule, armée d’un faible sourire.

— Quelques colosses ne nous briseront pas, rassura-t-elle.

— Vous peut-être, bredouilla Yazden. Moi, en revanche… Ma place n’est pas ici.

— Tu n’as rien à craindre tant que tu restes à nos côtés.

— De bien belles formules, et pourtant… Je suis entraînée pour affronter des bandits, voire de sinistres assassins tapis dans l’ombre. Une telle armée ? C’est hors de ma portée.

— Guvinor ne t’aurait pas demandé de venir avec nous s’il pensait ainsi.

— Parce qu’il sait combien ces lieux importent à mes yeux. Et aussi car une bataille de pareille envergue n’avait sûrement pas été anticipé. Entre les ambitieuses tirades et la réalité, il se dresse parfois un insondable gouffre. Une flagrante preuve que l’éloquence peut excessivement enjôler quelqu’un. Yazden Gurig était prompte à soutenir sa femme, remuant ciel et terre à la recherche de son grand-père disparu. Mais lorsque vient finalement l’heure de mettre son discours en pratique, la couardise la rattrape.

— Tu n’es pas une lâche, Yazden.

— Je l’espère.

Yazden déglutit avant de saisir ses lames, ce malgré ses tremblements. Le contact d’Akhème lui fournissait l’impulsion nécessaire pour s’armer et se positionner, même si ses lèvres se recourbèrent à l’approche des jhorats.

— Le temps des vaines paroles touche à sa fin, déclara Meenos en contractant ses doigts sur le manche de son arbalète. Il n’y aura pas de retraite, juste la destruction de nos opposants.

Une allure de fierté composait ses traits, avec laquelle il jeta un coup d’œil vers sa génitrice, mais cette dernière ne le calcula guère.

Consœurs et confrères restaient figés, leurs instincts en pause dans l’attente de nouveaux ordres. Devant eux s’érigeait la générale qui guettait le déplacement des jhorats avec minutie. Ses rictus s’approfondissaient à chaque pas supplémentaire. Elle resserra son emprise sur son arc, geste qu’imitèrent ses subordonnés de leur main moite. Il s’agissait de saisir le moment de l’assaut. De s’accorder aux mouvements pour mieux s’y adapter.

Surgit néanmoins une série de pernicieuses ombres. Une masse de noirceur contre laquelle peu de combattants restait indifférent. Un à un ils levèrent la tête et se calèrent face à l’envol des krizacles, rassemblés quelques dizaines de mètres par-dessus l’île. D’ici les cris perçaient leurs tympans, si bien que leurs armes menaçaient de riper de leurs paumes.

Guvinor détailla avec horreur l’envergure des créatures. Lui-même faillit lâcher ses lames, paralysé.

— Il n’y avait pas de jhorats la dernière fois, révéla-t-il. Eux étaient déjà présents.

— Combien étaient-ils ? s’inquiéta Akhème.

Guvinor marqua une longue pause. Tenté de baisser les yeux, il n’en fit rien, tant les hurlements le heurtaient de front. C’était comme si sa carrure s’effritait sous d’invisibles ondes. Alors il ferma courtement les paupières avant de se redresser de toute sa stature. Ses phalanges crissaient à force de serrer la poignée de ses lames.

— Un seul, dévoila-t-il. Suffisant pour tuer de pauvres explorateurs égarés. Comme ce fut le cas pour…

Le parlementaire s’interrompit, mais Yazden était encore plus pétrifiée, tandis qu’Akhème lui coula un coup d’œil lourd de sens. Après quoi les propos se propagèrent le long de la ligne, nouant la gorge des militaires, les clouant sur place. D’aucuns se retirèrent légèrement tant ils exsudaient, incapables de se détacher de la horde suspendue dans les airs.

Twéji dut exposer son poing, désignant l’armée de jhorats, afin de stabiliser les rangs. Au contraire des krizacles, soudainement suspendu dans les cieux, les colosses s’approchaient à alarmante cadence. De quoi inciter archers et arbalétriers à encocher flèches et carreaux. La générale s’y appliqua la première, se rivant au centre des lignes ennemies.

— Ignorez les créatures ailées ! exigea-t-elle. Elles sont hors de portée. Les jhorats sont là, tout proches. Bientôt ils périront sous la puissance de l’alliance du Ruldin et de Nirelas !

Twéji étira la corde de son arc sur ces mots. Entama le geste auquel ses subordonnés s’accordèrent, imposa le rythme parmi la discordance.

— Ce kolu nous captive et les alimente, enchaîna Twéji. N’oubliez pas qu’il s’agit de leur point faible. Abattez-les à mon signal.

De cruciales secondes s’écoulèrent. Avec elles s’acheva le semblant de quiétude qui emplissait encore la plaine. C’était un long instant de cessation, au cours duquel bien des respirations s’entrecoupèrent de déglutitions. Où ils furent si nombreux à se fixer à l’éclat antagonique.

Le premier trait partit dans un sifflement. Sitôt qu’il eut débuté sa trajectoire, une salve la rejoignit, et bientôt composa une parabole par-dessus les deux armées. Une couche de flux enveloppait les projectiles, exacerbait leur puissance comme leur vitesse.

Les jhorats du devant s’en protégèrent en élevant les bras. Plusieurs dizaines de carreaux et de flèches se plantèrent sur leur corps, mais la majorité s’était prémunie d’un destin fatidique. Seule une poignée périt du fait des limites de leurs défenses : leur scintillation s’affadit lors de leur ultime chute. Pas un jhorat ne se retourna toutefois pour leur camarade.

— Tôt ou tard la bataille devait avoir lieu, souffla Twéji. Mais vous n’êtes plus les gardiens, hors de la forêt de Sinze. Bientôt, ce sera à votre tour de trembler, si au moins une âme vous habitait ! Vous revêtez tout juste d’assez de valeur pour joncher ce terrain de votre carcasse mécanique !

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