Chapitre 22 : Le temple de Therzondel (1/2)

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— Notre expédition vient de prendre une tournure inattendue, et néanmoins passionnante ! Quel honneur de se confronter à un mage aux pouvoirs démesurés !

Une silhouette étincelant dans la sorgue, près du pâle éclat généré par l’orbe central. Un sourire contrastant avec l’obscurité, s’étendant au gré de ses amples mouvements. Chaque phrase était prétexte à davantage d’impulsion comme Mélude brandissait son luth au milieu de ses compagnons.

Nul parmi eux ne daignait répondre. Captivés par la sphère magique, ou par l’ornement d’astres, ils croisaient à peine le regard de leur amie bondissante. Makrine était l’exception, sourcils froncés, ses traits ternis par quelques plis.

— As-tu envisagé qu’une mort probable nous attend ? soupira-t-elle.

— Makrine, le pessimisme empêche le sommeil réparateur ! rétorqua Mélude. Notre compagnie s’agrandit à chaque nouvelle étape. Nasparian nous a surpris la dernière fois, mais nous sommes onze contre lui !

— Sauf qu’il n’est pas seul. Combien de jhorats se tapissaient dans la forêt de Sinze ? Ils errent peut-être d’îles en îles, maintenant… Et nous cerneront dès que nous baisserons notre garde.

— L’astuce consiste donc à ne jamais la baisser. À rester vigilants sans que l’étincelle de découverte ne s’estompe.

— Si seulement c’était aussi facile ! Mais nous ne sommes pas dans une ballade ou une geste, Mélude. Ma maîtrise de la magie est limitée, et même avec Vazelya à nos côtés, je nous imagine mal triompher joyeusement.

— Faut-il une chanson pour te remotiver ?

Une certaine légèreté accompagna le geste de Mélude. Malgré la taciturnité d’autrui, même si aucun autre sourire n’embellissait le sien. Plus ses doigts s’approchaient des cordes et plus la barde accélérait.

À sa déception, Makrine lui saisit le poignet, inclinant la tête au passage.

— Pas maintenant, marmonna-t-elle. Tout ne peut pas se régler en chansons.

— Votre humeur peut s’améliorer ! contesta Mélude. Bien sûr qu’une pareille quête s’entoure inévitablement de crainte, mais n’est-ce pas le moment où une once d’insouciance est bienvenue ? Quelques vers sur Nasparian rendraient plus concrets la menace qu’il représente, nous aideraient à mieux l’affronter !

— Non, Mélude. Aussi mélodieuse soit ta voix, aussi virtuose sois-tu au luth, nous gagnerons à profiter de ton silence.

— C’est ton soutien que j’espérais, surtout.

Brutalement, Mélude lâcha son instrument. Elle s’assit sous les vacillations de la lueur magique, devant un duo d’homologues impuissants. Zekan eut beau lui secouer l’épaule, rien n’éclairait la figure de son amie.

— Ce que tu proposais, devina le musicien, c’était pour toi plus que pour nous, n’est-ce pas ?

Mélude acquiesça en se mordillant les lèvres inférieures.

— Nasparian est une figure terrifiante, ajouta Zekan. Entre les poèmes et la réalité, nous espérions sans doute nous mesurer à un ennemi moins considérable. Au moins pour une première aventure.

— Et notre enthousiasme ne se serait pas envolé sous l’assaut d’une prompte vague, dit Mélude en trémulant. Avions-nous vraiment besoin d’y prendre part ? N’aurions-nous pas mieux fait de nous promener d’une auberge à l’autre, pendant que j’échoue à séduire des hommes bien trop beaux pour moi ?

— Tant pis si mes jambes flageolent, je persisterai sur cette voie. Une résistance pareille prouve que ces lieux recèlent une histoire palpitante !

— Il vaut mieux en ressortir vivants pour en témoigner.

Pas le moindre commentaire ne fut émis autour des bardes. Effleurant son luth, Mélude échangea même un coup d’œil avec Turon, mais ce dernier s’était muré, tout comme Vazelya. Ainsi Mélude était-elle condamnée à entendre ses propres chants, pensées déformées dans un tourbillon internalisé. En quête d’une accalmie, elle voulut se réfugier auprès de la meneuse, pourtant hors du halo.

Le fracas des vagues sur le littoral berçait Héliandri. Parfois brillait l’écume sous le miroitement céleste, mais elle en apercevait peu malgré sa vision désormais adaptée à la nuit. Complaintes et chants s’étaient éteints, capitulant face à un précipice grandissant. Installée sur une herbe humectée et inerte, elle sondait encore des traces de vie, seulement pour entrevoir le lointain jalonnement de flux.

De lourds bruits de pas perturbèrent la quiétude. Adelris se découpa dans l’obscurité, fixa l’aventurière avec un faciès de marbre. Aussitôt Héliandri s’écarta pour lui laisser une place. Plusieurs rides creusèrent ses joues pendant qu’elle se courbait.

— Le moment doit être arrivé, murmura-t-elle. L’occasion ne risque pas de se répéter plus tard.

— Pour les excuses ? pressentit le guerrier. Je les ai déjà acceptées lorsque j’ai lu les remords sur ton visage.

— Tu es très magnanime. Je t’ai blessé dans tes croyances, juste car je projetais mes propres craintes. Parce que je suis incapable de diriger une compagnie.

— Accorde-toi plus de mérite. Selon moi, nous nous débrouillons correctement, au vu des forces qui nous entourent.

— J’avais la chance de connaître le chemin. Mais maintenant ? Je suis aussi perdue que vous. Que vaut ma maîtrise de l’arc lorsque notre principal obstacle peut me soulever d’une seule main ?

— Personne parmi nous n’a été en mesure d’arrêter Nasparian. Il a terrassé Turon en une seule attaque et, honnêtement, cela aurait pu aussi être mon cas.

— Personne hormis Vazelya. Et si elle prenait ma place ? Elle est plus compétente que moi, pour sûr.

— Les circonstances l’ont amenée à partager notre route, mais elle semble préférer la solitude.

— En quoi je suis différente ? C’est là toute l’ironie de notre groupe, rassemblant des personnes autrefois seules, motivées par des ambitions personnelles. Pas un jour ne s’écoule sans qu’une dispute n’éclate. Le vague espoir d’une union repose sur le fait qu’une invincible menace plane sur nous.

Adelris ne put qu’opiner, ce qui s’amplifia au moment où il jeta un œil derrière lui. Près de l’orbe s’érigeait de tremblantes âmes, l’expérience de la précédente rencontre gravée sur leur faciès. Au-delà de la discussion des bardes, là où les non-dits dominaient, Kavel tressaillait plus que quiconque. Un livide visage révélait les sillons déparant ses traits sinon juvéniles.

— Mon frère ne méritait pas cela, se dolenta Adelris. Serait-il venu si je n’avais pas insisté, même si la rectrice lui a attribué un financement ? Je l’expose au danger par mon égoïsme.

— Kavel est un passionné d’histoire, constata Héliandri. Tu es son bras armé. Vous avez tous deux votre place ici.

— Je ne l’ai jamais vu dans un état pareil. C’est comme si le traumatisme le minait, jour après jour. Entre reconnaître les risques et les subir, il y a un gouffre dont nous n’aurions pas souhaité appréhender les contours. Je n’ai plus personne d’autre que Kavel dans ma vie, sinon de lointains cousins en Skelurnie, que je ne reverrai jamais. S’il lui arrivait malheur, je…

Héliandri posa une main sur le genou d’Adelris, avant d’esquisser un faible sourire.

— Rien ne lui arrivera, promit-elle. La force ne se résume pas au maniement des armes ou de la magie. Ce gamin possède un potentiel en lui, et je jure d’œuvrer pour qu’il le révèle durant ce voyage.

— Une manière de te rattraper ? demanda Adelris.

— Non, je l’ai décelé en lui dès notre rencontre. Chacun trouvera son utilité. Lui peut-être plus que quiconque.

Le guerrier ne put acquiescer cette fois-ci. Lui aussi se plongeait dans la contemplation des flots, indomptables et inexplorés, échouant à distinguer quelques limites au-delà du pont magique. Ses mains s’enfoncèrent dans la terre humide, fouillèrent une vie désormais éteinte. Il ne demeurait plus qu’onze âmes égarées, projetées dans d’incommensurables vastitudes.

L’aventurière, quant à elle, avait de nouveau lorgné ses camarades.

— Kavel n’a pas eu une vie paisible, n’est-ce pas ? remarqua-t-elle.

— En effet, confirma Adelris. Mais il n’est pas prêt à s’épancher, et moi non plus.

— Compréhensible. J’ai été très transparente à mon sujet, sans doute car mon seul secret a fait l’objet d’un procès. Tout n’a pas encore été révélé. Turon n’a pas dévoilé les détails de l’exploration de Guvinor dans les ruines il y a un demi-siècle. Amathane ne s’est pas étalée sur le sujet des tegaras. Et Vazelya dissimule certains faits derrière son apparence de bienveillante mécène.

— Qui peut les blâmer ?

— Personne. N’oublions juste pas ce qui nous a amenés ici au départ. Si nous ne dévoilons pas nos tourments, ils risquent de nous rattraper dans nos moments de faiblesse.

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