Chapitre 22 : Le temple de Therzondel (2/2)

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L’étoile diurne avait déjà bien entamé son ascension sur la voûte azurée. Pas même son rayonnement éblouissant ne triompha de la fatigue de beaucoup, pour qui le sommeil tenait lieu de refuge. Inévitablement, l’appel claironnait au gré de la matinée. Les préparations étaient brèves, la route évidente, l’objectif encore indéfini.

Peut-être étaient-ce les scintillations du pont qui ponctuaient la progression de la compagnie. Du moins Héliandri s’en persuadait chaque fois qu’elle interpellait ses camarades. La disposition du groupe avait évolué depuis leur rencontre avec la mécène, mais l’aventurière les guidait encore sans la moindre contestation. Turon la flanquait toujours à deux pas derrière elle, auquel s’ajoutait désormais Adelris. Le guerrier avançait d’une démarche guindée, autant aux aguets que Kavel à proximité. Phiren et Amathane se démarquaient par la légèreté de leurs foulées, seuls parmi les leurs à admirer les flots alentour. Dehol, au contraire, se détournait rarement de l’horizon droit devant lui. Il s’y immergeait avec la même dévotion que Vazelya à ses côtés, dont la vue semblait percer au-delà du perceptible. Zekan, Makrine et Mélude fermaient la marche, frôlant à peine leurs instruments de leurs doigts vacillants.

La traversée s’étala pendant plus de deux heures. Au moment où la lassitude menaçait de les côtoyer, un nouveau rivage se précisait à la défaite du silence. Là où l’étincellement pénétrait jusqu’au fond de leurs prunelles. Des pentes rocheuses et escarpées, dominées par des tons ocres, ceinturaient une gigantesque structure, proche de tutoyer le ciel.

— Je ne me suis pas rendue plus loin, révéla Vazelya en envisageant la structure avec du recul. Ce temple est lié au portail malgré les dizaines de kilomètres qui l’en séparent. Même moi, cependant, ai été incapable d’en saisir tout son potentiel.

— Il est temps que cet édifice nous dévoile ses secrets, déclara Héliandri. J’en ai fait le serment : rien ne doit m’échapper. Si Wixa y a pénétré, alors je le peux aussi.

— De cela je suis dubitative. Au risque de me répéter, Héliandri, je n’ai croisé personne d’autre au cours de mes explorations.

— Il est donc temps d’ouvrir l’œil plus grand.

Entre deux nuages jaillit le soleil, éclairant un passage déjà apparent. Plus la séparation se réduisait et plus le temple se déployait dans toute sa richesse. Des couches de fezura se superposaient sur une cinquantaine de mètres, au sommet desquelles un chapelet d’arches surplombait des pointes serties de gemmes. Quoique prévalaient de sombres motifs, de chaudes nuances détonnaient par endroits, telles de clignotantes étincelles. La bâtisse se centrait sur une porte géante, elle aussi traversée de gemmes, cernée de contours d’où saillaient des pierres courbées comme des crochets. Des coins dentelés soutenaient l’édifice et prolongeaient des lignes qui s’infiltraient dans a roche à la manière de racines.

Il était si ardu de se détourner d’un pareil aperçu, aussi les compagnons tardèrent à remarquer la nature densifiant le contrebas. Un abondant feuillage ambré, pourpre ou smaragdin garnissait de grands arbres ruisselant de flux, dont les branches touffues camouflaient leur lichen non moins esthétique. Peu de fleurs tapissaient le sol parfois hérissé de dalles, extensions de la route joignant le pont au temple.

Tous étaient tant focalisés sur cette vie revenue, débordant de couleurs auparavant délaissées, que la vue d’ensemble se perdit. Étudiant son environnement, Héliandri désigna les limites de l’île, dépourvue de courbes pourtant présentes ailleurs.

— Regardez ! fit-elle. Non seulement cette île regorge de végétation, mais elle est rectangulaire.

— Comment est-ce possible ? s’étonna Kavel. Quels phénomènes permettent à une île de prendre une telle forme ?

— Rien de naturel, bien sûr.

— Soyons prudents, conseilla Turon. Qu’il y ait de la vie ici n’implique pas forcément qu’elle soit alliée.

La gorge des bardes se noua tandis que le poignet de Kavel frémissait. Talonner son aîné l’aidait à guider ses pas, qui l’amenèrent sous l’ombre des arbres. Ses camarades circulèrent à hauteur similaire, contemplèrent les vacillations de la frondaison sous les sollicitations des rafales maritimes. Côtoyait l’envie de se disperser au sein de cette compacité comme l’air était charrié d’humidité.

Luminosité et chaleur avaient tôt fait de minimiser les tressaillements. Ainsi, instruments à proximité, les musiciens gambadaient d’un tronc à l’autre en quête de nouveaux détails. Kavel, par comparaison, explorait avec circonspection, et avisa vite les fruits jaunâtres et charnus pendant de certaines branches.

L’historien s’apprêta à en cueillir un, mais Phiren le devança, et le croqua à pleines dents après un sourire triomphant.

— Je suis heureux de commettre un tel sacrifice, affirma-t-il en haussant les épaules.

— C’est malpoli, rétorqua Kavel.

— Imagine si ce fruit était empoisonné. Aurais-tu voulu cracher du sang, regrettant d’avoir laissé ta faim dicter un choix aussi précipité ?

— Voilà qui change tout ! Ce scénario ne survient que dans des fables faussement subversives. Admets juste que ta gourmandise a eu raison de toi.

— Kavel, tu as des raisons de nous fustiger après cette sinistre nuit à l’auberge. Ce serait trop simple que de laisser ces différends derrière nous. Je suis prêt à prouver ma loyauté dans cette compagnie. Amathane aussi, même si elle l’exprime moins.

— Les gestes importent davantage que les paroles. Sur ce, j’ai d’autres fruits à cueillir.

Bientôt Kavel rejoignit son aîné, passant outre le plissement de lèvres de son interlocuteur. Ladite tâche incomba à Adelris, Dehol et Makrine, car l’historien s’abandonna en hypothèses sur l’origine de la flore locale, et nota les différences avec ses précédentes observations.

L’heure suivante se composa d’une halte improvisée, durant laquelle ils chargèrent leur sac de nouvelles provisions. Priorité était accordée au rassasiement, ainsi périssaient les craintes d’une nourriture manquante suite à l’exploration d’une île vierge. Pendant que les uns récoltaient et se repaissaient, Héliandri et Turon ne cessaient d’explorer ces terres en face du temple, sondant les lieux jusqu’à leurs limites.

Sans prévenir personne, Vazelya enfonça une brique dans le mur, entamant la prochaine étape de leur quête.

Un puissant grondement captura l’attention de tout un chacun. Pierres après pierres s’alignèrent et étendirent des ombres longilignes sur les marches grises. Une nouvelle opacité accueillit les compagnons, les enlaça sous une étreinte familière, derrière laquelle des promesses se voilaient sous des limbes.

Certains s’attendaient à une brusque fermeture, mais l’éclat du soleil les suivait encore quand ils se heurtèrent à un premier mur. Ils n’eurent donc aucune nécessité à générer leur propre lumière, et détaillèrent aisément les anfractuosités jurant avec l’uniformité des dalles. Mais Vazelya s’opposa là où s’érigeait l’impasse, ramenant immédiatement l’attention sur elle.

— N’oubliez pas que j’ai déjà visité ces lieux, rappela-t-elle. Ils n’ont donc aucun secret pour moi.

— Que devons-nous savoir ? interrogea Adelris. Ma vigilance sera accrue si je suis bien informé.

— Tout ce qui est concret circule sous forme de magie. Le temple de Therzondel est actif sans abriter une quelconque vie.

— Un nom fascinant, digne des plus épiques mythes ! louangea Mélude. Mais où est-il inscrit ?

— Partout et nulle part en même temps. Fondations d’une époque ancienne, doublées d’une précieuse relique, face auxquelles pâlissent les plus éminents bâtiments d’aujourd’hui. Qu’elles avoisinent un village aussi primitif a de quoi surprendre.

— Pourquoi ? répondit Amathane. Un esprit curieux ne doit pas sombrer dans des conclusions précipitées. Tu n’es pas la seule à être renseignée sur l’histoire.

— En t’emparant des possessions d’autrui, tu rends pas honneur à cette histoire que tu prétends défendre ! Trêve de conflits. Observez plutôt sous vos pieds afin d’éviter toute surprise.

Des colonnes de poussière se dissipèrent dans le flux environnant avant même que Vazelya n’eût terminé sa phrase.

Une myriade de particules s’illumina tout autour de la compagnie. Des lignes bleutées tracèrent un cercle avant de s’infiltrer sur les motifs du pavé. Un vrombissement précéda une sensation de légèreté comme leur cœur rata un bond. Dès que la structure se déstabilisa, la plateforme commença à décoller du sol, sous les yeux écarquillés de beaucoup.

Ils restèrent au centre de la stèle qui s’élevait davantage à chaque seconde. Ils se hissèrent malgré eux dans les hauteurs du temple, s’approchèrent peu à peu d’un lointain étincèlement. Nul ne remua un doigt, de crainte de faillir par-delà les inaltérables murs, paralysés au cœur d’un puit de magie.

Ils parvinrent au sommet bien plus rapidement qu’escompté.

Puis rien ne se manifesta, sinon les ténèbres.

Quittant la plateforme, chacun découvrait le couloir où ils avaient été lancés. Là-haut, chaque pas se devait d’être mesuré, au risque de se heurter à un gouffre impromptu. Aucune odeur ne se diffusait dans ce lieu où le froid côtoyait. Aucun son ne se propageait sinon leurs sporadiques chuchotements. Et lorsque leurs doigts effleuraient les fentes latérales, un frisson glacial eut tôt fait de les ébranler.

Makrine et Vazelya entreprirent d’éclairer le passage. Un bourdonnement les retint, suivi d’une pléthore de cliquetis. Des rayons violets jaillirent des trous, prodiguèrent la lueur salvatrice, espacées jusqu’aux termes de leur vision. Tel un appel ils résonnèrent, complétant les échos des compagnons.

— Maintenant nous pouvons avancer, décréta la mécène. Une longue marche nous attend.

— Mon instinct m’ordonne d’être méfiante, avança Héliandri. Je n’ai jamais rien vu de tel en trente ans d’exploration.

— Peut-être n’es-tu pas aussi expérimentée que tu n’oses l’admettre. Tu n’as pas l’expérience d’une ludrame.

De la foudre fusa des yeux de l’aventurière, et s’affaiblit cependant à l’intervention de Turon.

— Admets-le, trancha-t-il. De nombreuses civilisations de Menistas bâtissaient tout en symétrie, mais ce temple est différent. Le but de cette expédition est de remettre nos acquis en question.

— Mes objectifs se situent au-delà, affirma Vazelya. J’apprécie votre compagnie, mais Dehol reste ma priorité. De ses souvenirs dépendent maintes choses.

Des frémissements traversèrent Dehol. Au moment où ses jambes le portèrent enfin, Phiren et Amathane le bousculèrent légèrement, pour mieux se placer par-devers Vazelya et Héliandri.

— Nos excuses, fit Phiren, mais notre meneuse dit vrai. Mon expérience de collectionneur pressent des pièges sur le chemin.

— Votre compréhension vous fait défaut, s’irrita Vazelya. Vous n’aviez pas encore pénétré dans la forêt de Sinze que j’explorais déjà ce temple.

— A-t-il seulement révélé tous ses secrets ? envisagea Amathane.

— Aucune magie, aussi ancestrale soit-elle, ne peut échapper à ma maîtrise. Faute de quoi j’aurais été inapte à rouvrir le portail, et les ruines vous auraient piégés.

— Tu as eu ton opportunité de briller, mécène. Et si on nous accordait cette même chance ? Qu’avez-vous à perdre à nous laisser prendre la tête, sinon votre fierté ?

Fulminations et invectives s’intériorisèrent pour céder à un soupir. D’un geste de la main, auquel convint Héliandri, Amathane et Phiren prirent la tête du groupe. Ils progressèrent méticuleusement, par fluides et légères foulées, se fondant peu à peu parmi le halo environnant. Bien que leurs compagnons assumassent une certaine distance de prime abord, ils les rattrapèrent bientôt, sondant les alentours avec comparable minutie.

Le décor s’allongea et se répéta. C’était comme si l’édifice s’étendait sans fin, plongeant les voyageurs dans une obscurité que seule la magie confrontait. Telle une voie infinie, privée d’issues, le long de laquelle seule Vazelya marchait sans réfréner des tressaillements.

Alors que l’agencement des dalles lassait par leur uniformité, le couloir s’élargissait à mesure qu’ils s’y enfonçaient. Moins de rayons prodiguèrent leur lueur, supplantés par les tracés dans la profondeur des murs. Peu y consacrèrent un regard détaillé de prime abord, mais les motifs s’enrichirent et se précisèrent.

Héliandri s’arrêta lorsque l’illumination dévoila complètement les représentations, au centre d’une salle circulaire garnie de pilastres. Ses bras lui en tombèrent, ses paroles s’étouffèrent en bafouillages. Ses compagnons l’imitèrent, hormis Vazelya, Phiren et Amathane qui se contentèrent de ralentir. Kavel s’apprêta à étudier les portraits, toutefois des cris l’entravèrent dans son élan.

— Zekan, ne panique pas ! s’affola Makrine. Ce ne sont que d’inoffensifs dessins !

— Quoi qu’ils représentent, lança Mélude, il n’y a pas lieu de s’inquiéter !

Le barde se détacha au mépris des sollicitations, troquant le contact de ses homologues contre celui du mur, où il plaqua ses mains. Il refusa tout soutien nonobstant son exsudation, il ignora tout appel malgré ses vibrations. Figure minime parmi des géantes, incapable d’articuler quoi que ce fût sous leur lumière.

Graduellement, ses doigts suivirent le contour esquissant le premier personnage : un ludram emmitouflé dans un manteau le couvrant tout entier. Quatre bras en saillaient, chacun tenant un bâton courbé, par-dessus lesquels scintillaient des sphères.

— Senderlahon, murmura Zekan. Dieu de la magie. L’on raconte qu’il créa la magie lors des jours primordiaux de notre monde, bénédiction attribuée à chaque être vivant. Il possède un rôle d’équilibre, symbole de constance dans notre univers.

— Oui, se rappela Héliandri, son nom m’est familier. Serait-ce…

Mais Zekan se ruait déjà vers la représentation voisine, qui s’imposait par sa plus grande taille. Cette silhouette filiforme, dont les mèches touffues dépassaient de sa capuche pointue, correspondait à une ludrame penchée vers l’avant, tenant un livre contre sa poitrine.

— Xhetura, reconnut-il. L’éminente déesse du savoir. Il paraît qu’elle apprit le don de l’écriture à nos ancêtres.

— Tout ceci est bien beau, interrompit Phiren, mais nous n’avons besoin de…

Sans même avertir, dérobé de l’appui de Makrine et Mélude, Zekan plaqua ses mains contre un troisième portrait. De hauteur semblable à sa voisine, cette ludrame intimidait davantage de par sa stature. Ses muscles saillaient sous son plastron, et aussi sur ses bras brandissant une longue lame courbée ainsi qu’un bouclier triangulaire.

— Vertog, identifia-t-il. Déesse de la guerre, qui enseigna à nos ancêtres la maîtrise des armes. Elle m’est moins sympathique que Xhetura, pour sûr.

— Ces noms ! s’écria Kavel. Un panthéon de divinité de la religion Mowa.

— Quiconque est un minimum cultivé sait déjà cela, commenta Vazelya. Sauf peut-être Adelris, trop dévoué pour Zinhéra.

— Chacun est libre de suivre ses propres croyances, déclara Adelris.

— Ou même de n’en suivre aucune, renchérit Turon.

— Ha, tant de banalités ! critiqua la mécène. Vous ne m’apprenez rien.

Jusqu’alors happé par les divinités, Zekan se retourna peu à peu, toujours inondé de transpiration. Mélude et Makrine continuèrent de s’enquérir comme ses mèches collèrent sur son front lustré.

— Vous ne comprenez donc pas ? lança-t-il. Cela va à l’encontre de nos connaissances ! Le Mowa n’a émergé qu’il y a mille six cent années, tout au plus !

— Et alors ? objecta Vazelya. Nous étions déjà conscients que ce temple relevait de plus récente conception que le village.

— Mais je… Je ne comprends plus rien ! Quelle est histoire de ces lieux ? Comment sont-ils connectés au reste de Menistas ?

Zekan trémulait de tout son être. Ses yeux s’injectèrent de rouge, ses genoux claquèrent. Il trotta soudain en avant de la pièce, contraignant ses compagnons à le talonner, non sans quelques inquiètes remarques. Sa course se limita à une dizaine de secondes, suite auxquelles il marqua un nouvel arrêt.

Il s’était raidi. Ses yeux s’étaient humidifiés. À peine sa paume effleura le portait qu’il fut secoué. Clignant rapidement des paupières, soutenu par Makrine, il détailla la divinité jusque dans ses détails. Il s’agissait d’une ludrame à la tenue plus modeste, composée d’une tunique boutonnée et d’un pantalon bouffant. Un sourire lui avait été gravé comme elle agrippait une faux.

— Preizondalle, murmura-t-il. Déesse de l’agriculture, dont le rôle et les pouvoirs vont de soi. Je ne la connais que trop bien…

— Tu n’es pas obligé d’en parler, suggéra Mélude. Si tu ne te sens pas à l’aise avec ce sujet…

— Ça ira. Je devais bien m’épancher tôt ou tard. Dommage que les circonstances m’y forcent…

Zekan hocha en direction de ses amis, puis se confronta à ses autres compagnons. Même s’il était jaugé, même s’il se mouvait au rythme des coups d’œil, il rompit rapidement les muettes interrogations qu’on lui adressait.

— Je suis lié malgré à moi à Preizondalle, raconta-t-il. Je suis né à Perponad, petite ville de Qinosep, au milieu du désert de Nuyos. Là-bas, le Mowa s’est très vite mélangé aux coutumes locales, par syncrétisme. On accorde beaucoup d’importance au panthéon divin.

— Zekan ! interpella Makrine. S’il te plaît, tu ne dois pas…

— À ma naissance, j’étais considéré comme une femme. Seulement lors de mon adolescence, je me suis découvert, qu’en réalité, je suis un homme. Je me rappelle combien je sautais de joie au moment de l’annoncer à ma famille. L’enthousiasme initial a vite cédé à une forme de ferveur…

» Voilà mon point commun avec Preizondalle, d’abord née dans un corps masculin, avant de se révéler comme ludrame dans sa longue vie de déesse. Amis et voisins m’ont très vite considéré comme sa réincarnation. Bien sûr, en partie, j’étais reconnaissant que leur magie m’aide à être en adéquation avec moi-même, mais ils avaient alors décidé à ma place. Zekan le prêtre, Zekan le prophète, censé guider ces âmes modestes. Et mon libre-arbitre, dans tout cela ?

» La pression m’accablait tant qu’elle m’a forcé à abandonner les miens. Je ne regrette pas de m’être découvert, je cherchais juste un endroit où je pouvais être moi-même, sans me soumettre à de quelconques obligations. Je me suis retrouvé bien loin de mon foyer. J’ai rencontré Mélude et Makrine, qui m’ont finalement appris ce que la liberté signifiait.

Il y eut un instant de suspension entre les creux d’opacité. De larges sourires, si apparents en dépit du duel entre noirceur et lumière. Pendant que leurs camarades songeaient à l’histoire de Zekan, ses homologues l’enlacèrent de plus belle, limitèrent la propagation des sanglots.

— Pourquoi mon passé me poursuit jusqu’ici ? demanda-t-il. J’ai eu tôt fait de l’enterrer, mais il persiste à me hanter.

— Tu es fort et courageux, complimenta Mélude. Tu en triompheras encore, peu importe combien de fois il ressurgit.

— Les craintes se basent sur une part de vérité, dit Turon. Aspirer à la tranquillité ici serait presque naïf. Aussi personnel soit ton histoire, Zekan, elles nous révèlent beaucoup sur l’histoire et l’évolution des religions de Menistas. Le Mowa est la plus ancienne croyance du continent encore pratiquée aujourd’hui, du moins à cette échelle. Et s’il fallait remonter plus loin encore pour son origine ?

La suggestion n’allégea que peu Zekan, encore parcouru de frissons. Des regards s’échangèrent parmi le groupe. Sourcils arqués, bras croisés, Turon escompta une réplique et ne recueillit que le silence. Il s’orienta alors vers Héliandri, laquelle s’était pourtant précipitée en amont du couloir.

Des secousses ébranlèrent le temple. Les rayons vacillèrent de part et d’autre. Même la stabilité des murs était menacée face à l’intensité grandissante. Kavel, Makrine et Dehol chutèrent, tandis que Mélude s’accrocha à Zekan avant de sauter à pieds joints.

Phiren venait d’actionner un levier, placé à même une stèle, d’où se diffusa un cône de lumière blafarde.

— Pardonnez ma hâte ! s’exclama-t-il. Une histoire touchante, sans aucun doute, mais l’absence de progression peut être frustrante.

— Et notre prudence légendaire ? s’écria Amathane. Tu vas nous faire perdre toute crédibilité !

— J’ai contourné ceci lors de mon dernier passage, dit Vazelya. Mes précautions étaient justifiées.

Les frayeurs s’exacerbèrent au retour de la quiétude. Dans ce moment d’impuissante contemplation, où le halo engloutissait Phiren, Héliandri et Amathane coururent à s’en déchirer les ligaments. Ce fut la collectionneuse qui atteignit son compagnon la première, qu’elle tira brutalement hors du danger.

Restait l’aventurière, piégée dans les nimbes, dans la coruscante coercition. Un invisible flux la paralysa sous l’horreur de ses camarades, avant de l’élever par-dessus le dallage. Mélude s’agrippa à ses chevilles, et de ses forces ralentit son ascension. Elle glissa cependant et tomba sur son dos dans un couinement, emportant avec elle la botte gauche de sa meneuse.

Bras et jambes écartés, tête penchée vers l’arrière, le visage comprimé sous une indicible puissance. Héliandri se garda de tout râle, de tout gémissement malgré les appels désespérés derrière elle. Car au-delà de la douleur foudroyante, un squelette jaillit de la stèle, et de ses seules orbites la dévisagea sèchement.

— On ne trouble pas le repos d’une grande prêtresse, lâcha-t-elle.

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