Chapitre 21 : Prolongé jugement (1/2)

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— Créatrice, j’en implore votre clémence ! Ai-je mérité d’être ainsi éloignée de ma chère et tendre, tout comme de mon enfant ? Ai-je mérité d’être incarcérée en ces lieux, telle une vile brigande ? Ai-je mérité de n’apercevoir les splendeurs de Parmow Dil qu’au travers d’une vitre, perchée sur de terrifiantes hauteurs ? Et puisque je suis une simple garde, mon procès n’est pas la priorité, comme si je n’en étais même pas digne.

Yazden s’était agenouillée sur son lit et implorait de ses bras déployés. Quoiqu’une lueur tamisée filtrait par-delà la vitre teintée, elle persistait à se rembrunir. Plus ses appels s’engloutissaient dans les affres du silence, et plus elle s’étendait son matelas, dont elle concédait au moins le confort. Contemplant le fezura dans toute sa richesse, elle exhala un soupir.

— Je reste persuadée de la bonté de la Créatrice, dit-elle. Mais nos sollicitations sont si nombreuses qu’elle ne peut pas y répondre. Parfois, la réalité est si rude que même une puissance céleste est insuffisante pour la confronter.

Des plis s’épaissirent sur son visage. Par tentatives successives, elle préconisa la détente, seulement pour se crisper lorsque le sourire de Venior lui apparaissait. Alors sa cornée s’humidifiait, et les sanglots menaçaient de suivre.

— Es-tu déçue, mon amour ? demanda-t-elle. J’avais promis que mon absence serait temporaire. Que bientôt aboutirait la quête de la vérité. Me voici plutôt contrainte à subir cette lugubre ironie. Garde surveillée par des gardes, traîtresse de sa patrie. Réduite à se dolenter telle une mal-aimée.

Des ricanements se répandirent le long du couloir attenant et l’achevèrent ce faisant. Bras relâchés, Yazden s’évertua à passer outre les moqueries, mais en leur absence triomphaient obstinément certaines pensées.

Avisée de son humeur, ses lèvres recourbées en moue, Akhème se détacha du mur contre lequel elle était adossée, et s’assit aux côtés de Yazden.

— Ignore leurs rires, suggéra-t-elle. D’expérience, aussi professionnels soient-ils, ils cherchent la première opportunité de se divertir. Tout ira bien, d’accord ? Tu retrouveras ta famille plus tôt que tu ne le crois.

Yazden se frotta les yeux, avant d’opiner vers sa compagne de cellule.

— Tu en es sûre ? s’inquiéta-t-elle.

— Enfermer des innocents n’est pas sans précédent, déplora Akhème. Mais j’ai confiance en Guvinor. Face à des parlementaires, mon maniement n’est d’aucune utilité. Tout repose donc sur sa capacité à se défendre.

— Son procès débute aujourd’hui, si je ne me trompe pas ?

— Et il risque de s’étaler un moment. Il paraît qu’il sera plus important encore que celui de Héliandri. Il suffit d’imaginer comment la nouvelle se propage ! Un politicien réputé, jugé pour trahison ! Voilà de quoi alimenter les rumeurs pendant longtemps.

— Il est temps que la vérité émerge pour de bon. Qu’elle soit mise en lumière malgré les complots et la corruption.

— Un optimisme bienvenu…

Yazden se redressa, puis se força à esquisser un sourire. Malgré la chaleur qui caressait son dos, même si Akhème lui tapotait l’épaule, une abstruse sensation persistait à la lanciner.

— C’est tout ce qu’il me reste, avoua-t-elle. Sinon, autant me morfondre indéfiniment.

— Tout fait donc sens, conclut Akhème. Je dois avouer être surprise, je ne savais pas que tu pratiquais l’Enhéralion. Au premier regard, tu ne sembles pas religieuse.

— Il y a un profil particulier ?

— Non, non… Ha, je ne sais pas m’exprimer ! Tu es une excellente garde du corps, Yazden, et du peu de temps que je t’ai fréquentée, tu es aussi une bonne personne. Certaines facettes de ta personnalité n’ont pas été apparentes tout de suite, voilà tout.

— En réalité, je m’attendais à une autre réflexion. Venior suit les préceptes du Runyavoz, et elle m’a raconté que c’était la religion principale des monts Puzneh.

— Ce que je confirme. Même si, personnellement, j’ai abandonné cette croyance il y a déjà vingt ans. Je suis athée, maintenant. Tout comme Turon, d’ailleurs.

Yazden s’écarquilla des yeux, examinant son interlocutrice sous un jour nouveau.

— Venior m’en avait peu parlé, rapporta-t-elle. Apparemment, certains clans ne considèrent pas d’un œil favorable de s’éloigner du Runyavoz.

— Tout dépend de qui le dirige, nuança Akhème. Pour ma part, j’ai toujours été chanceuse à ce niveau, et même plutôt bien reçue à chacun de mes retours.

— Voilà qui fait plaisir à entendre. Un jour, j’aimerais accompagner Venior pour une visite auprès des siens, pour le constater de mes propres yeux. Mais elle semble vouloir rester à Merisdon, au moins le temps que notre petite fille grandisse Quoi qu’il en soit, je suis contente que Venior et moi ayons trouvé l’amour en dépit de nos différentes croyances.

— Ce n’est pas si rare, tu sais !

— C’est vrai. Plus de nos jours, en tout cas.

De tels propos allégèrent Akhème qui acquiesça derechef. Elle posa ses mains sur ses genoux, prête à converser plus longtemps avec son homologue. Mais Yazden s’éloigna du lit, marcha jusqu’à hauteur des barreaux, se riva entre les interstices que les spirales révélaient. Plus loin que la mélancolie, là où se mouvaient de rigides gardes. Elle se posait, placide, s’érigeant au sein de l’opacité.

— Nous ne sommes pas les plus mal loties, affirma-t-elle. Contre quels assauts verbaux Guvinor doit résister ?

— Il s’en sortira, rassura Akhème. Après des décennies de politique, et des confrontations avec moult rivaux, Guvinor a appris à se défendre.

— Il donne cette impression, en effet. Je m’inquiète quand même…

— Je lui fais confiance. Je crains surtout pour les victimes collatérales… Ferenji Yaren, rectrice de l’université de Parmow Dil, jugée pour le même « crime » ! J’espère qu’ils ont relâché Shano. Retenir une pauvre aubergiste ainsi…

— S’ils nous estiment coupables, qu’ils nous jugent aussi ! De quoi ces parlementaires ont-ils peur ?

— Que notre témoignage contredise leurs conclusions anticipées.

Du sang monta au visage de Yazden comme ses poings tremblèrent à hauteur de ses hanches. Son état s’empira lorsque de nouveaux rires sifflèrent jusque dans ses tympans.

— Pitié ! soupira-t-elle. On se moque, on dédaigne, mais je ressens de la frustration. Comme nous, vous manquez un événement historique. Vous regretterez d’avoir lambiné ici au lieu d’y participer.

— Ils t’entendent sans t’écouter, prévint Akhème. Si telle est leur aspiration, les plus persuasives paroles sont inutiles. D’aucuns prétendent qu’un garde doit se contenter d’être une figure muette, mais je n’ai pas envie que ma personnalité s’efface derrière ma silhouette.

— Moi de même ! Peut-être qu’une partie de moi souhaite fraterniser avec mes consœurs et confrères. Une manière de tuer l’ennui.

— Encore faut-il qu’ils le souhaitent. Il vaut mieux te reposer, Yazden.

— Je n’ai fait que reposer ces derniers jours ! Piégée ici, prisonnière de mes réflexions en tentant vainement de les contrôler, animée par un seul espoir.

Petit à petit, comme elle préconisait la détente, Yazden revint auprès de son amie. Des rayons lumineux mettaient sa silhouette en exergue, soulignaient sa démarche rigide. Alors s’éclaircit son visage dans une étincelle d’intensité.

— L’espoir que ce procès achève ces structures archaïques pour de bon.

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