Chapitre 15 : Protéger et tuer (2/2)

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Des âmes s’étaient égarées par milliers, privées de liberté. Elles étaient enfermées dans un sinistre bâtiment, dont les fondations en fezura s’achevaient en un sommet effilé, jurant parmi l’architecture de Parmow Dil. Un bassin de flux saturait chaque cellule, suspendait les prisonniers dans un inextinguible éclat.

Aussi vive parût cette lumière, elle se répartissait inégalement au sein de la prison. C’était à une importante hauteur que s’étendait une relative pénombre. Là où de ténébreux murmures emplissaient un long couloir, là où même la plus intense magie peinait à vibrer. Un lieu que peu de visiteurs daignaient approcher.

Une chiche lueur traversait l’étroite fenêtre et révélait une figure creusée, parcheminée, scarifiée. Plus aucun éclat ne dansait dans ses yeux ambrés. Quelques cheveux, aussi ivoirins que sa peau, jaillissaient de son crâne mais s’emmêlaient disgracieusement à ses pointes. Son corps, d’une extrême maigreur, répondait tout juste à ses sollicitations, ce pourquoi elle gardait ses mains plaquées sur ses genoux.

Son sourire étendit pourtant ses lèvres dès que les foulées se répercutèrent. Peu lui importait la douleur foudroyant ses vertèbres, car d’intrigantes silhouettes s’approchaient d’elle, ce qui l’encouragea à s’accrocher aux barreaux spiralés.

Guvinor lui fit face d’un air impavide, flanqué d’Akhème et Yazden. La prisonnière ne put se dérober de leur subtil assaut, une hostile expression inscrite sur leurs traits, comme leurs mains effleuraient leurs armes.

— De la visite ! jubila-t-elle d’une voix lente et vibrante. Voilà des années qu’on m’a abandonnée dans ma solitude.

— Et c’est tout ce que tu mérites, Nospha Dysmidan ! lança Guvinor. Malheureusement, je me présente à toi faute d’alternatives. Tu as intérêt à me fournir des réponses satisfaisantes.

— Quelle audace ! Menacer une vieille femme comme moi, entouré par deux gardes du corps. Pourquoi sont-elles là, d’ailleurs ?

— Toujours les mêmes questions, râla Akhème. Oui, Guvinor a choisi d’avoir deux gardes du corps. Le débat est clos, entrons dans le vif du sujet.

— Tu es la guerrière parmi les deux, je constate. Inintéressante, dépourvue de finesse. La petite humaine, en revanche… Tu as la carrure parfaite pour rejoindre la guilde.

— Je suis de taille parfaite pour te planter une lame au thorax, assena Yazden.

Un rire grinçant se répandit parmi les ombres. Quoiqu’elle restait guindée, Yazden tressailla quelque peu face au sourire sadique de Nospha. Guvinor se dressa donc entre elles deux, toisant la prisonnière avec intensité.

— La justice a déjà tranché pour son cas, rappela-t-il. Tout ce qui reste à Nospha, c’est une langue acérée, bien qu’elle s’émousse également avec l’âge.

— Ton arrogance ne faiblit pas, par contre ! répliqua Nospha. Ainsi tu souhaites t’entretenir avec moi, Guvinor. Pour quel motif ? La curiosité a le don de briser la monotonie. — Des assassins se sont infiltrés dans ma demeure. Non sans mal, nous sommes parvenus à nous en débarrasser. La fleur de synsis qui composait leur tenue ne trompait pas : la guilde des assassins est de nouveau active, deux décennies après son démantèlement. Que sais-tu à son sujet ? Parle !

Nospha s’éloigna des barreaux. Elle faillit même tourner le dos à ses interlocuteurs. Une onde de satisfaction l’enveloppa toute entière, ce qu’elle semblait savourer jusqu’à son ultime éclat. Ses bras s’écartèrent, non sans trembler, et une expression triomphante affaiblit ses rides.

— Elle est revenue ! s’écria-t-elle. Depuis combien de temps espérais-je entendre cette nouvelle, à votre avis ? C’est un immense honneur que de me l’annoncer !

— Je te couperais la langue, assassin ! grogna Akhème. Hélas, mon sang-froid et mon bon sens me l’interdisent. Cela me coûte de l’admettre, mais c’est bien une réponse.

— Donc vous n’avez pas engagé ces tueurs ? insista Guvinor.

— Quelqu’un d’autre s’en est occupé, dit Nospha, et j’ignore son identité autant que vous. Soyez au moins rassurés de savoir que mon influence sur la guilde est inexistante. La justice a bien pris soin de m’isoler. Quelle que soit la personne dirigeant désormais la guilde, je doute qu’elle se soucie d’une sénile comme moi.

— Alors je dois connaître l’identité de votre remplaçant.

— Comment pourrais-je le savoir, si je ne dispose d’aucun contact avec la guilde reformée ?

— Ne feins pas l’innocence. Quiconque est un minimum renseigné savait que vous aviez formé vos cinq fils et filles à l’art de l’assassinat. Il est donc très probable qu’un de vos enfants ait repris le flambeau. La fleur de synsis est d’une teinte vermillon. Qui parmi eux affectionnait cette couleur ?

— Nysdre et Cempres aimaient le rouge, mais c’est un bien maigre indice. J’ai toujours imaginé que mes rejetons, après m’avoir bassement abandonnée, ont détalé aussi loin que possible. Peut-être même à Hurisdas. Certains auraient eu le courage de revenir à Parmow Dil ? Voilà qui forcerait presque le respect.

— Dommage que tu ne sois pas attachée à tes enfants. Car justice sera rendue, et ils te rejoindront bientôt.

— Pourras-tu seulement les retrouver ? Et arracher le nom de leur commanditaire ? Là devrait être ta priorité, Guvinor.

Un pas après l’autre, ses pieds se soulevant des dalles sans grâce, Nospha se rapprocha du parlementaire. Des ongles pointus raclèrent les barreaux sous ses ricanements, aussi Akhème et Yazden formèrent l’égide requise.

— Un geste de trop, menaça Yazden, et tu en perdras les doigts !

— Une assassin doit s’exécuter plutôt que de se perdre en frivoles avertissements, rétorqua Nospha. Mon intention n’est pas de heurter votre cher protégé. J’aimerais juste apporter quelques précisions.

— Lesquelles ? demanda sèchement Guvinor.

— Votre conception de la guilde des assassins est quelque peu biaisée. Certes, nous agissons dans l’ombre, mais nous accomplissons seulement la besogne que la fière société ne veut pas admettre !

— J’ai déjà entendu ce discours. Certains assassins aiment se dédouaner de leurs responsabilités ainsi.

— Rien ne distingue ludrams et humains à cet égard ! Combien rêvent de se débarrasser d’une personne qu’ils exècrent ? D’aucuns passent à l’acte, d’autres engagent des spécialistes pour s’en occuper à leur place. Leurs mains ne se salissent alors que de leurs bourses. Voilà pourquoi la guilde existera toujours ! Ces contrats revêtent une importance considérable pour la stabilité de la société !

— Le meurtre est le fléau de toute civilisation.

— Bien sûr, bien sûr ! Guvinor Heï Velham est un parangon de vertu, jamais il n’a commis la moindre faute ! Il y a une raison pour laquelle les politiciens sont parmi les cibles favorisées de nos commanditaires. Vous ruinez bien plus de vies que les assassins.

Un craquement de poing résonna à hauteur de ses hanches. Guvinor inspira, chercha à se détourner de cette vision de dégoût, trouva réconfort auprès d’Akhème et Yazden. Mais même leur coup d’œil hostile échouait à éteindre les flammes du discours.

— Le coupable sera difficile à identifier ! nargua Nospha. La vérité est ardue à admettre, Guvinor. Je t’ai aidé dans la mesure du possible. À toi d’établir une liste de personnes qui te détestent… et qui pourraient engager des assassins.

— Tant la guilde que les commanditaires paieront, lâcha Guvinor. Si tu en es réduite à des moqueries, nous n’avons plus rien à nous dire.

— Je perçois d’ici la frustration transparaître de ta voix. Laisse-moi donc conclure sur une note de victoire. Même après vingt-trois années dans cette cellule, je ne regrette rien ! Je repense chaque jour à ce sentiment de puissance qui m’inhibait chaque fois que je recevais un contrat. Cette sensation de contrôle, de savoir combien les vies ludrames et humaines sont fragiles. Les plus grands de ce monde envient le pouvoir que je possède, et…

Yazden décocha un coup de poing à travers la cellule. Nospha s’effondra telle une branche morte, un saignement jaillissant de ses narines. Ses gémissements ne s’étaient guère atténués lorsque Guvinor s’en allait par foulées sereines, ses gardes du corps sur ses talons.

— Juste des menaces, tu disais ? se gaussa Yazden. Peut-être que je ne suis pas si petite, après tout.

La garde disparut dans un ricanement, et ainsi la prisonnière plongea de nouveau dans la pénombre et le silence salvateurs.

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