Chapitre 14 : Histoires d'antan, fables du présent (1/2)

6 minutes de lecture

« Par-delà la brume, par-delà l’aurore,

Nous admirons une kyrielle de merveilles,

Les lacs s’étendent sous les collines sculptées d’or

Les forêts brillent là où les mythes sommeillent

Et au-devant, une vision nous honore,

Les monts se dressent sans nulle autre pareille.


Dans ces terres vibrent les légendes d’autrefois,

De captivants secrets qu’il nous faut déterrer

Où que nous irons résonnera notre voix,

Nous nous rendrons vers ces lieux inexplorés,

Écrirons le savoir prodigieux en émois,

Et le triomphe en sera félicité.


Le groupe d’aventuriers traverse les pays,

Chaque jour plus proche de la destination,

Et leur motivation jamais ne faiblit,

Forts et unis pour les prochaines tribulations,

Leur mérite inscrit dans les fables d’aujourd’hui,

Ils marchent sans faille vers leur ascension. »


D’harmonieuses notes conclurent la chanson tandis que la compagnie cheminait le long d’une déclivité. À force de chanter, Mélude avait perdu son souffle, et pantelait tant que ses jambes ne la soutenaient plus. Makrine la porta donc sur la fin de la route sinueuse, serpentant sous les ombres de la futaie suspendue sur les hauteurs des coteaux. Jamais les bardes ne se plaignirent malgré la longueur du trajet imposé. Ils s’accordèrent-ils à la cadence de Héliandri, laquelle cheminait des heures durant sans que son corps ne la lâchât. Plus le ciel se rapprochait et plus son visage s’éclaircissait, comme s’il reflétait la nitescence grandissante.

Et quand elle interpella ses camarades une fois encore, passé un compact regroupement d’arbres, tous s’arrêtèrent.

— Compagnons, déclara-t-elle, nous avons atteint une nouvelle étape cruciale de notre voyage !

Sur ces mots, Héliandri se plaça au-devant de ses camarades, et déploya ses bras afin de mieux recevoir le rayonnement solaire. Elle baignait dans une vague de chaleur locale, quoique contrastée par l’affleurement de rafales. Elle profita de ce moment, paupières closes, pendant que le reste du groupe se pâmait face à la grandeur du panorama.

Une élévation centrale s’érigeait par-dessus toute perspective. Autour triomphaient plusieurs sommets, modestes en comparaison, piliers de roche d’un gris éclatant. Sur certains de leurs flancs colossaux, leur névé miroitait de plus belle, épaisses couches dressées à même les pics montagnards. Il s’agissait d’un éminent décor, uniforme après un coup d’œil initial, mais dont les subtiles gradations croquaient les nuances.

Des murmures ébahis se répandirent parmi le groupe. Exempt de réaction, Turon rejoignit Héliandri et, observant ses compagnons, leur désigna l’horizon de toute son envergure, un sourire glorieux suspendu à ses traits.

— Indéniablement, affirma-t-il, les monts Puzneh font partie des plus grandes merveilles de Menistas. Frontière naturelle pour d’aucuns, elle représente surtout un important foyer.

— Guvinor a mentionné qu’il était originaire d’ici, rapporta Héliandri. J’ai traversé ces monts à plusieurs reprises au cours de mes explorations, mais même moi, j’ai parfois du mal à appréhender leurs richesses.

— Pas que lui, Akhème et moi appartenions aussi à la tribu Kothan, dans le village de Rizthin. Et oui, il faut y avoir vécu pour comprendre les cultures uniques qui s’y sont développées. La plupart des sociétés ont abandonné les structures claniques, et les termes « vunour » et « vuzaros » sont considérés désuets aujourd’hui.

— Tu ressens sûrement de la nostalgie en admirant ces sommets.

— Un peu, je te l’accorde. Et j’admets aussi être tenté de revoir mes proches, comme l’était Mélude. Mais je suis plus fort que ces sentiments intrusifs. Nous avons un objectif à accomplir, et rien ne doit nous en détourner.

Turon restait stoïque pendant que Héliandri le lorgnait, tête inclinée. Ses lèvres s’ouvrirent un court instant, mais aucun son n’en jaillit. Elle remarqua alors Kavel griffonner frénétiquement son carnet. Mais sitôt qu’il releva les yeux, il rattrapa son aîné avec hâte, lequel marchait déjà vers le contrebas de la pente.

— Tant d’empressement, jugea l’aventurière. Peut-on avoir un semblant de conversation avec ce guerrier ?

— Ta dernière tentative a été infructueuse, persiffla Turon. Il s’est renfermé sur lui-même depuis.

— J’ai regretté aussitôt ! Comment faire pour obtenir son pardon ?

— Inutile de forcer, cela n’aboutira à rien. Laisse le temps faire son œuvre.

— Ha, non seulement tu es un garde du corps, mais tu conseilles aussi en relations amicales. Tes suggestions auraient plus de poids si tu te comportais mieux avec ces pauvres bardes.

— Il faut croire que nous devons tous deux faire des efforts.

Héliandri et Turon humèrent l’air un moment durant, s’octroyèrent une pause improvisée. Ils savourèrent l’intensification du vent ondulant leurs vêtements, contemplèrent les impénétrables montagnes ce faisant. Mais quand l’appel se faisait constant, que les musiciens les interpellaient assidûment, leur devoir les convoqua sans équivoque.

Entre les rochers massifs et les ruisseaux sillonnait la route fendant les monts Puzneh. Étroit amas de terre délimitée par les fétuques et le pâturage, elle était tantôt bâtie de dalles carrées et bistrées, surtout quand la compagnie traversait des villages. Souvent des ponts incurvés, garnis de petites colonnes tubulaires, connectaient des demeures bâties de pierre et de bois noirci. Quelques-unes, incrustées à même les flancs pétrés, s’invisibilisaient dans les hauteurs, par-dessus les boqueteaux et les rivières si azurés qu’elles détonnaient dans la pénombre.

Une population discrète résidait dans ces hameaux. Éleveurs ou pêcheurs, mineurs ou forgeurs, ils étaient vunours et vunopas pour la plupart, quoique d’autres ludrams et même des humains vivaient parmi eux. Peu prêtèrent un coup d’œil circonspect à l’intention des voyageurs, au lieu de quoi vaquaient-ils à leur besogne. Parmi ces hauteurs, où un vent mordant fouettait constamment des contadins emmitouflés de lourds manteaux multicolores, le travail manuel réchauffait davantage que n’importe quel feu installé au croisement des artères.

Le long d’un même cours d’eau, les villages suivaient une tendance cohérente, à laquelle la compagnie s’adapta vite. Plusieurs membres ralentirent cependant chaque fois qu’une nuance inédite se singularisait dans la compacité forestière. De temps en temps, elle se matérialisait sous la forme d’une caverne béante, dont les parois humides reflétaient l’éclat d’une pléthore d’orbes magiques. Parfois, elle apparaissait sur les étangs, à la surface desquels des voûtes surplombaient des faïences émaillées de béryl ou de grenat. Et rarement, elle adoptait une forme plus unique encore. À la base de deux sommets, devançant des flancs anthracites, s’élevait un géant crâne en pierre, ses orbites lestés d’orichalques. Deux bras courbés saillaient de la roche et enveloppaient une bassine argentée, d’où s’élevait une émanation blanchâtre.

— Il a dû s’y dérouler de sinistres choses, soupçonna Makrine. Indescriptibles, et pourtant dignes d’êtres narrées.

— Nous ne voulons pas savoir ! rejeta Zekan. Laissons ces histoires pour de sombres contes destinés à effrayer les chérubins.

— La curiosité ne te pique pas, Zekan ? s’étonna Mélude. À coup sûr, il devait s’agir d’un repère d’un souverain des ténèbres.

— La réalité n’est pas si terrible, rectifia Turon. La légende raconte que des clans locaux cherchaient à offrir un lieu de repos pour les membres les plus âgés. Ce qui expliquerait la présence d’eau chaude, servant d’ablution. Le crâne était censé effrayer les intrus, et ainsi assurer leur tranquillité à coup de superstitions. Seulement, les autorités nirelaises et ygnolaises, désireuses de relier leurs pays, érigèrent une route passant par ici. Au mépris des croyances locales, devrais-je préciser. Depuis, les lieux ont été abandonnés, mais les rumeurs circulent encore.

Un soupir déçu emplit la vacuité des lieux. Quelques instants encore, les bardes s’efforcèrent de déceler d’inextricables détails, mais leur quête fut vaine. D’un rire goguenard, Turon les invita à les suivre, et bientôt la compagnie poursuivit son trajet.

Traverser les monts Puzneh, fût-ce par le biais d’une route directe, leur nécessita plus d’une semaine de trajet. À mesure qu’ils progressaient en direction du sud, les habitations se parèrent d’une teinte plus claire, tout comme les landes vernissées de minerais. La déclivité devint aussi moins raide, jusqu’à atteindre un faible relief quand ils franchirent la frontière d’Ygnolas.

Seuls quelques gardes surveillaient les allées et venues de voyageurs, perchés sur de basses tours. Une fois assuré que Héliandri avait dissimulé son identité, Turon conversa courtement avec eux, puis un nouveau territoire se déploya au grand bonheur de la compagnie. La prochaine étape de leur voyage s’inscrivit dans une resplendissante aurore, teintée d’une agréable brise. Plusieurs notes de musique rythmèrent alors la nouvelle journée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0