Chapitre 12 : L'importun (2/2)

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Guvinor dormait. Au sein de la plus opaque obscurité, il était allongé dans son large lit, dont le sommier incurvé était d’un bois laqué. Plusieurs de ses longues mèches dépassaient de son bonnet en lin blanc, tandis que son ample et simple tunique le protégeait du froid. Ronflements après ronflements, il se fondait dans la profondeur de ses rêves. Son diaphragme s’étendait et se réduisait au rythme de ses péripéties nocturnes, que les rares sifflements nocturnes ne menaçaient guère de perturber.

Dans cette chambre se mouvait pourtant une autre âme.

Les rideaux anthracites filtraient la lueur de la lune se projetant sur son ombre. Chaque foulée, plus lente que la précédente, le rapprochait de sa cible. Lorsque la silhouette parvint à hauteur du guéridon, il dégaina une paire de dagues dentelées, scintillant d’une lueur argentée. Doucement, posément, l’individu leva ses bras, cibla la poitrine du politicien. Il s’assura que le sommeil berçait Guvinor, que ses expirations s’étouffaient dans son masque mordoré.

Les lames sifflèrent au cœur de la sorgue, fusèrent en un battement de cils.

Et ne transpercèrent que la couverture finement brodée.

Il jaillit d’un saut, son bonnet chutant sur son geste. Guvinor flanqua un coup de coude à l’épigastre de son adversaire qui fléchit aussitôt. Mais ses mains restèrent enfermées sur ses poignées ciselées. Un pivot et le tueur se rétablit, ses dagues étincelant à la cadence de ses mouvements. Le parlementaire s’était mis en garde, mais aucune arme n’était à sa portée, aussi un sourire révéla une partie du visage encapuchonné de son adversaire.

Le tueur s’élança derechef. De justesse, Guvinor esquiva le coup, non sans qu’une lame effleurât son épaule. Il pantela tandis que son cœur battait à haute vélocité. Il restait en posture défensive, surveillant les attaques de son adversaire, mais ce dernier s’approchait et virevoltait avec fluidité. Une unique erreur et la pointe pénètrerait dans son organe vital, alors Guvinor se suspendait à l’allure du tueur. Aux respirations précédant ses coups. À son regard incisif, terrible éclat de la nuit, alors que ses dagues traçaient de parfaites courbes.

Guvinor s’arrêta, fixant son adversaire avec intensité. Un sifflement strident déchira alors la quiétude. Mais le parlementaire évita d’un pas de biais, et le désarma d’une torsion. Il attrapa la dague avant qu’elle heurtât le dallage, sauf que son attaque échouât, car son ennemi se déroba d’une pirouette.

Les dagues s’entrechoquèrent dans une myriade d’étincelles. À chaque collision, les adversaires reculèrent pour mieux frapper, de discrets râles achevant leur assaut. Tant de cliquetis rythmèrent la danse des deux silhouettes. Rien ne les ralentit malgré leurs halètements. Alors que leur vue s’adaptait à l’obscurité, que les contours en rapide mouvement s’esquissaient, les lames persistèrent à briller tels des torches.

Guvinor se courba, s’accrocha au rebord du guéridon. À ce moment fusa le tueur, sa dague plus véloce encore. Le politicien la projeta d’une estocade millimétrée, avant de lui ciseler le cou.

Du liquide vermeil coula en abondance sans que le tueur n’émît un son. Toutefois ses yeux se dilatèrent et son visage se figea lors d’une ultime chute. Il succomba en une poignée de spasmes lors desquelles le sang forma une mare s’infiltrant dans les interstices.

À peine Guvinor contempla-t-il sa victoire, à bout de souffle, que des cris percèrent par-delà le seuil. Il se hâta vers la porte malgré la pointe à sa poitrine, mais elle s’ouvrit avant même qu’il eût frôlé la poignée.

Il se cala devant la silhouette ahanante d’Akhème, ses deux lames rougeoyantes à bout de bras.

— Par la Créatrice, vous êtes sain et sauf ! s’écria-t-elle.

— Il s’en est fallu de peu, dit Guvinor en s’épongeant le front. Peut-être que Prax avait raison, après tout… la vieillesse me rattrape. Jamais un tel adversaire ne m’aurait posé de telles difficultés il y a encore quelques années.

— L’essentiel, c’est que vous ne souffriez d’aucune blessure ! Comment ça s’est produit ?

— Je me pose la même question, Akhème. Je ne veux pas te blâmer, mais où étais-tu lorsque…

Guvinor observa le couloir s’étendre derrière l’imposante stature de la garde. Seulement alors il remarqua les deux cadavres étendus à quelques mètres, dont la tenue ressemblait à celle de son propre adversaire.

— Mes excuses, murmura-t-il en s’appuyant contre le battant. Tu as risqué ta vie pour moi.

— Tel est mon rôle ! affirma Akhème. Mais ces assassins étaient rapides. Ils m’auraient même ignoré si je ne les avais pas aperçus. De vrais professionnels, pour sûr.

— Et ils étaient trois… La situation s’avère plus grave qu’anticipé.

Il enjoignit sa protectrice à le talonner. Tous deux s’orientèrent alors vers le lieu de la débâcle, où la brillance de la lune révélait le cadavre. C’était un ludram à la complexion ivoirine et aux iris ambrés, doté d’un sec gabarit. Découvrir ses traits juvéniles, inertes à jamais, serra les lèvres du parlementaire.

Guvinor posa un genou à terre et l’étudia de plus près. Si un médaillon cristallin pendait à son cou, et que sa tunique noirâtre veinée de marron révélait déjà son affiliation, il prêta surtout son œil au symbole gravé sur sa poitrine. Il s’agissait d’une fleur courbée, dont la moitié des petits pétales vermillions tombaient à hauteur de la tige.

— Une fleur de synsis, reconnut-elle. Coquette au premier coup d’œil, mais dotée d’un poison arrêtant le cœur de la cible en trois jours. Pas de doute possible. La guilde des assassins de Nirelas est de retour.

Aussitôt Akhème plaqua sa main contre sa poitrine comme sa gorge se noua.

— Impossible ! s’exclama-t-elle. Leur précédente maîtresse a été incarcérée à perpétuité, et leur repaire démantelé il y a plus de vingt ans.

— Et toujours elle renaît de ses cendres, déplora Guvinor. Autrefois, leur fleur de synsis luisait d’un intense pourpre. Ils se sont trouvés un nouveau meneur.

— Comme si nous n’avions pas assez d’ennemis…

— Les implications sont d’autant plus terrifiantes. Une personne souhaite tellement ma mort qu’elle est prête à engager les membres d’une guilde dont la simple évocation entraîne des cauchemars.

— Quelle est la liste des suspects ? Des gens sans scrupule, ce n’est pas ce qui manque. — Prax est le candidat idéal. Mais ce serait trop facile, et il ne s’abaisserait pas à de tels méthodes. Je crains qu’il nous faille enquêter.

— Je vous protègerai, Guvinor, plus encore qu’auparavant !

Guvinor se releva et observa Akhème d’une volte-face. Il y eut un discret hochement de tête, suite auquel la garda tâta son fourreau avec conviction. Rien ne la prépara néanmoins aux tressaillements du parlementaire, quoiqu’il s’efforçât de les réfréner.

— Je vais devoir engager un autre garde du corps, décida-t-il, et quelqu’un de confiance. Quelle que soit l’individu ayant engagé ces assassins, il devait être avisé de l’absence de Turon. Quelqu’un de très renseigné…

— Guvinor ? s’enquit Akhème. Vous avez l’air… inquiet. Perturbé, même. Voilà qui sort de l’ordinaire…

— Plus la quête progresse et plus les propos de Héliandri résonnent. Notre présence à Parmow Dil sera capitale pour les mois à venir. Car si quelqu’un est aussi déterminé à me faire tomber, cela signifie qu’une chose. Les ruines de Dargath révèleront des secrets plus enfouis encore qu’anticipés.

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