Chapitre 12 : L'importun (1/2)

6 minutes de lecture

Perchée sur de légères hauteurs, une grande tour resplendissait dans les faubourgs de Parmow Dil. D’une roche sombre elle fut bâtie, de multiples fenêtres quadrangulaires la perçaient à chaque étage, et ses interstices étaient marbrées d’incarnadin. Plusieurs habitations cerclaient l’édifice même si elle était isolée du reste des importantes bâtisses de la capitale.

C’était là que Guvinor avait choisi résidence, là où les machinations politiques trouvaient leur répit. En ce moment, il occupait son bureau, installé à mi-hauteur de la tour. Un amas de lettres trônait de part et d’autre d’une table incurvée, dont les rebords brillaient tel du cristal par-dessus une douzaine de tiroirs. Des dizaines de livres s’y accumulaient, si nombreux que les étagères paraissaient craquer sous leur nombre, quelques-uns ouverts et saturés d’annotations. Le politicien les consultait de temps en temps, mais se focalisait surtout sur une autre lecture.

Guvinor s’adossa sur son siège, une main volant à son menton, l’autre effleurant son accoudoir ciselé de métal. Il prit un peu de recul, et opina vers Akhème lorsque celle-ci se tourna vers lui.

— Intéressantes découvertes ? demanda-t-elle. Ou bien encore l’habituel bureaucratie de vos camarades de parlement ?

— Il y a de cela, admit Guvinor. C’est surtout une lettre d’une personnalité importante, mais dont l’affiliation est académique, cette fois-ci.

Akhème leva les sourcils et, suite à un rapide coup d’œil à la porte, se positionna à hauteur du Guvinor, qui parcourut de nouveau le courrier.

— Signée par Ferenji Yaren, déclara-t-il. Surprenant, n’est-ce pas ?

— Vous vous êtes déjà entretenu avec elle, se souvint Akhème. Mais c’était il y a fort longtemps. Quel est le motif de cette lettre ?

— Fort simple, en réalité. Ferenji a pris sous sa coupe un nouveau chercheur en histoire du nom de Kavel Frayam. Ce jeune homme est fraîchement débarqué de Skelurnie, un pays du nord de Hurisdas, où il a obtenu son diplôme. Elle lui a accordé un financement pour les explorations des ruines de Dargath et l’a envoyé aux côtés de Héliandri. Accompagné de son frère aîné Adelris, guerrier et forgeron. Lui aussi ne manque pas d’ambition, semble-t-il.

— Alors nos intérêts convergent ! Mais Ferenji a aussi pris un risque. Pense-t-elle pouvoir protéger Kavel d’ici ?

— Ils voyagent ensemble, désormais. Avoir une alliée au sein de ces murs est bienvenu. Tu as toutefois raison, Akhème. J’espère que Ferenji est consciente des implications. Un esprit malveillant aurait pu intercepter cette lettre.

— Et si vous organisiez une rencontre ? Une discussion privée, à l’abri des regards. Vous pourriez coopérer sur la meilleure manière de gérer les retombées.

— Excellente suggestion, Akhème. D’aucuns affirmeraient qu’une académicienne ne doit pas s’enchevêtrer dans les affaires politiques. Ferenji n’a cure de ces conseils, et c’est notre meilleur atout. Peut-être pourrait-elle même convaincre ces bornés du parlement de l’importance de cette quête.

— Vous êtes optimiste, Guvinor.

— J’ai envie d’y croire. J’ai attendu si longtemps... Une opportunité comme celle-ci ne se reproduira avant plusieurs décennies. Et je mise tout sur les épaules d’une aventurière au cœur déchiré… Puisse-t-elle me pardonner.

Il conclut d’un soupir avant de se murer dans ses pensées. Pianotant de l’index sur la table, Guvinor se renfrogna comme la lettre lui échappa des mains. Akhème la saisit et la consulta ce faisant. À mesure que les phrases s’imbriquaient dans son esprit, et que les courbes se traduisaient en élégantes notes, un sourire embellit ses traits.

Lesquels se durcirent sitôt qu’on frappa à la porte. Prax entra d’une démarche énergique, rythmée du long silence que ses hôtes lui gratifiaient. Le parlementaire ne cessa de fixer son homologue pendant que Akhème le foudroyait des yeux.

— Raison de votre venue ? assaillit-elle.

— J’aimerais m’adresser à Guvinor, répliqua-t-elle. Pas à sa protectrice. Quelle persistance de vouloir s’entourer de gardes du corps… Je n’en possède pas et jamais quiconque n’a planté un couteau sur ma poitrine ! Où est l’autre, d’ailleurs ?

— Pas que ça vous regarde, mais Guvinor a envoyé Turon prendre congé auprès de sa famille.

— Un garde du corps est toujours mieux que deux, j’imagine.

Akhème jura entre ses dents, laissant Prax s’installer sur une chaise en face du bureau. Jamais ses yeux ne quittèrent son homologue, même si Guvinor redoublait d’intensité en le dévisageant.

— Je ne pense pas t’avoir donné l’autorisation de t’asseoir, lança-t-il.

— Mon pauvre dos en a besoin, répondit Prax sur un ton léger. Attends une dizaine d’années et tu me comprendras.

— Nous avons assez tergiversé. Si tu désires t’entretenir avec moi, Prax, sois franc et direct.

Un court rire s’empara de Prax, bien que son visage s’assombrît peu après.

— Longtemps tu t’es cru séditieux, attaqua-t-il. Le parlementaire si différent de l’élite politique, comme pour s’attirer la sympathie du peuple. Il serait temps de répondre de tes actes.

— Je n’ai rien commis de mal, se défendit Guvinor. Tes opinions, insensées au passage, ternissent ton jugement.

— Nul n’a oublié ton comportement durant le procès ! Certes, de nombreux parlementaires soutenaient la cause de cette pathétique aventurière. Mais tu as été le seul à clairement discourir en sa faveur, influençant le verdict final.

— Si le discours avait été uniquement orienté contre elle, ce n’aurait pas été un procès, plutôt un lynchage.

— Le brave Guvinor était-il donc juste concerné par l’équilibre du débat ? Foutaises, tu cherchais juste à la protéger, et tu as réussi.

— Hélas non. Parmow Dil est sa prison, désormais. Il n’y a pas pire châtiment pour une exploratrice de sa trempe.

Le crissement gronda, perturba la relative sérénité de la pièce. Lorsque la chaise collisionna contre les vantaux de la porte, les plis sillonnaient déjà le faciès de Prax. Akhème voulut intervenir, mais Guvinor l’en dissuada. À son tour il se leva, l’impavidité gravé sur ses traits.

— La vieillesse aurait-elle raison de ton sang-froid ? tança-t-il.

— Maintenant je te comprends, lâcha Prax. Tu t’es identifié à cette aventurière. Héliandri te ressemble beaucoup : toujours prompte à se moquer des règles bien qu’elles soient indispensables pour vivre dans une société saine. Et une partie de toi doit l’envier. Ta jeunesse où tu parcourais le monde est depuis longtemps révolue.

— Vos provocations doivent cesser, avertit Akhème.

— Et de quelle autorité se prononce une garde du corps ? Tu accordes plus de respect aux aventuriers et aux gardes qu’à tes propres collègues, Guvinor.

— Merci de lui donner raison par votre conduite.

Prax éluda le commentaire d’Akhème tant il était focalisé sur son homologue. Guvinor joignit ses mains derrière le dos, se raidit et inspira lentement. Il était résolu à rester insensible aux attaques de son adversaire.

— Je suis accoutumé aux critiques infondées, dit-il. Si tu n’as rien de nouveau à proposer, Prax, la sortie se situe juste derrière toi.

— Je m’opiniâtre comme toi ! s’écria son rival. Penses-tu t’en tirer sans conséquence ? Si, après avoir commis pareil crime, Héliandri gagne le droit de se biturer à la plus proche taverne, quel message le parlement nirelais envoie-t-il ? Combien d’explorateurs téméraires perdront la vie au sein de ces ruines ?

— Beaucoup y ont déjà laissé leur peau, malheureusement. Ce qui aurait pu être évité si un tel tabou n’enveloppait pas ces lieux.

— C’est de notre faute, maintenant ? Tu es un maître des mots, Guvinor, et habile manipulateur. Quelque chose se trame derrière tes beaux discours. Tu ne pourras pas toujours dissimuler ton passé. La question se pose alors : seras-tu prêt au moment où il refera surface ?

D’un air impérieux, Prax fixa Guvinor des dizaines de secondes durant. Il prit ensuite congé en refermant brutalement la porte derrière lui.

Des foulées modérées comblèrent le mutisme. Effleurant la poignée, Guvinor s’assura que la porte avait résisté, puis chercha du soutien auprès d’Akhème. La garde s’était cabrée, quoique ses lèvres s’entrouvrirent dans un soupir.

— On apprécie d’autant plus le silence, murmura-t-elle. Heureusement qu’il ne se rend pas souvent ici. Cette tour doit être trop distante du centre pour lui.

— Je crains cependant que Prax n’abandonnera pas, déplora Guvinor. Il se doute de quelque chose.

— Quelles sont vos recommandations, Guvinor ?

— Pour l’instant, redoublons de vigilance. Il vaut mieux qu’ils aient l’œil orienté sur nous que vers les explorateurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0