Chapitre 1 : Le nouveau départ (2/2)

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Une vague de fascination se répandit au sein du groupe sitôt qu’ils remarquèrent les petits orbes piquetant les environs. Un constant flux magique imprégnait la cité, brillait sur les rainures des dalles, cascadait depuis le sommet des arbres. Cette lumière spiralait davantage autour des ludrams, mais chacun en bénéficiait, telle une toile de fond inscrite dans un ensemble déjà complexe.

Souvent les nouveaux migrants ralentissaient pour admirer les alentours, mais Celdwam avançait à allure constante. À chaque occasion, cependant, il désignait les temples à même les monticules, se déployant dans un entrelacement d’immenses salles desquelles prières et encens se répandaient. En-deçà d’embrasures circulaires, des colonnes s’érigèrent, à travers lesquelles on discernait les accès de l’édifice. Une multitude de personnes y entraient et sortaient, vêtues de robes longues et chamarrées, dans un mutisme presque cérémonial.

D’autres lieux de culte montrées par le guide s’avéraient moins étendus quoiqu’ils compensaient par leur hauteur. Çà et là s’imposaient des tours au sommet pointu, alignées avec des arbres : des plantes grimpantes s’enroulaient autour de leurs murs et brillaient d’un smaragdin inouï. D’ici les habitants profitaient du chant de ses occupants, seulement égalés par celui des ménestrels perchés au sommet de leurs caravanes.

Car si Celdwam s’y consacrait moins, Parmow Dil recelait de boutiques, d’auberges, et même de musées, dont les fondations cylindriques s’agençaient esthétiquement avec l’organisation des rues. Il n’y avait pas de marché, du moins en ce jour, mais de nombreux divertissements brisaient la monotonie de la journée. Adelris et Kavel repérèrent même plusieurs bâtiments ornés des blasons d’armes, de magie et d’outils qu’ils reconnurent comme des guildes. Commerçants, artisans, forgerons, mages, dresseurs et gardes constituaient tout autant d’occupations que de modes de vie à Parmow Dil.

À mesure que le groupe progressait dans la cité, les rues s’élargissaient, les dalles s’éclaircissaient et la fréquentation augmentait. Moins d’arbres et de ghusnes se profilaient néanmoins. Les nouveaux venus rejoignirent une allée où des canaux avaient été creusées des deux côtés. Depuis des fontaines incarnates coulaient une eau d’un bleu parfait, illuminée d’une profonde magie, sur laquelle des citadins déposaient des pétales de temps à autre. C’était là, sous un grand arceau, par-delà une série de statues de ludrams, que la plus grande place de Parmow Dil s’offrit à eux.

— Le cœur historique de notre ville ! annonça Celdwam. Et, par la même occasion, un lieu où vous vous rendrez régulièrement lors de vos premiers mois ici.

Ledit cœur s’érigeait en forme d’ellipse auxquels s’adjoignaient les rues avoisinantes tels des bras tentaculaires. Autour d’un plat relief, hormis le renfoncement central, des édifices jalonnaient à perte de vue. La pierre noirâtre et grisâtre s’imposait sans équivoque, inscrivait ces bâtiments dans l’histoire.

Celdwam pointa le bâtiment central. Par-delà une série d’escaliers s’échelonnaient des colonnes en triangle, si grandes que leur ombre se projetait jusqu’à eux. Un revêtement de plâtre surmontait les doubles portes boisées, sur lesquelles des écritures avaient été gravés. Des châssis se croisaient sur de vaste fenêtres, lustrées quoique poussiéreuses, tandis que des ornements agrémentaient le toit semblable à une voûte.

— Et c’est à l’intérieur que les plus importantes intrigues se déroulent, révéla Celdwam. Voici le parlement nirelais ! Maintes fois détruit, maintes fois reconstruit, il est un immense symbole de fierté. Les écrits révèlent qu’il était déjà présent il y a trois mille ans, lorsque les monarchies et empires envenimaient notre continent… et toujours le vôtre.

Immobile, les bras déployés, Celdwam ne cessa de désigner chaque contour de cet édifice historique. Kavel s’était pourtant déjà retourné, et bientôt succéda le reste du groupe. Celdwam les mena aussitôt vers la statue de pierre dressée à même l’arbre central de la place.

La sculpture symbolisait une jeune femme au visage fier et au regard impavide, fixé sur l’horizon. Elle était habillée d’une ample chemise, où se distinguaient des motifs pigmentés, tandis que ses épaules soutenaient une cape qui descendait jusqu’à ses sandales à bout pointus. Un serre-tête rabattait sa chevelure mi-longue vers l’arrière. Ce pourquoi Kavel la détailla si longuement, outre son aura et sa stature, était l’absence totale d’armes attaché à sa ceinture.

— Est-ce que vous la reconnaissez ? demanda Celdwam en parcourant le groupe d’un œil insistant.

Quelques bras se levèrent, y compris celui de Kavel. C’était encore trop peu pour satisfaire le guide dont les sourcils se froncèrent.

— Même une humaine, cela ne vous dit rien ? s’agaça-t-il. Son nom est pourtant inscrit à ses pieds ! Sudnarat Ajendri.

— Bien sûr que je la connais, se défendit Kavel.

— Je n’en doutais pas moins de quelqu’un qui ne quitte jamais son carnet de notes. Tes camarades, en revanche, auraient besoin d’une leçon d’histoire. N’oubliez pas que notre paix est plus fragile qu’elle ne le laisse paraître. Oubliez votre passé et vous le reproduirez.

Puisque des dizaines d’yeux se braquèrent sur lui, Kavel s’éclaircit la gorge avant de s’exprimer.

— Sudnarat Ajendri était une capitaine et exploratrice du Nimiyu. Elle s’aventura plus loin que tous ces prédécesseurs, et conduisit la première expédition humaine établissant un contact avec les ludrams, sur les îles Farith, il y a environ deux cents cinquante ans. Mieux que cela, elle chercha à apprendre leur langue et leurs coutumes. Une véritable pionnière, et nous sommes flattés que vous l’honoriez.

— Elle n’a pas toujours eu bonne réputation parmi les humains, contrasta Celdwam. Sudnarat se joignit aux ludrams lorsque des coalitions de soldats humains déclarèrent la guerre aux ludrams, prétextant que nous étions trop avancés et finirions par vous envahir. Rien de tout cela ne s’est déroulé… mais le conflit fit des centaines de milliers de morts dans chaque peuple.

— Oui, je suis aussi informé de cette partie de l’histoire… Sudnarat fut capturée après la guerre et exécutée après un simulacre de procès. Les protestations de la foule n’y changèrent rien. Il fallut attendre près de quarante années d’isolationnisme avant que les deux peuples se rencontrent de nouveau officiellement, et que s’entame la période des grandes migrations.

— Et la solidité de cette statue n’a d’égal que le courage de cette humaine. Rappelez-vous de son nom ! L’avenir lui a certes donné raison, mais il y a certaines plaies que le temps peine à cicatriser. Puisse la Créatrice veiller sur Sudnarat Ajendri.

Celdwam accorda quelques instants supplémentaires au groupe. Les uns contemplèrent la réalisation, les autres murmurèrent, et l’on discernait de discrets sanglots au milieu du silence. Assuré de leur attention, le guide désigna finalement un bâtiment rectangulaire bâti de matériau plus moderne, quoique austère, situé de l’autre côté de la place.

— Votre route ne dépend plus que vous, dit-il. Apprenez le nirelais, suivez votre passion, et vous vous intégrerez facilement ici. Bien sûr, il existe une vaste société par-delà les murs de Parmow Dil, mais ludrams comme humains doivent débuter dans un environnement familier, n’est-ce pas ? La prochaine étape consiste à se diriger au bureau des recensements. De pénibles heures, mais ce doit être fait.

Ce fut le dernier lieu vers lequel Celdwam se dirigea comme guide. Et alors qu’il disparut dans la densité de l’affluence, Kavel se surprit de voir Adelris aux pieds de la statue. Il s’était agenouillé et priait en skelurnois, la voix basse et les paupières closes. Kavel se tint à ses côtés des minutes durant et fixa son aîné seulement lorsque ses yeux s’ouvrirent.

— Un hommage à cette figure historique ? demanda-t-il.

— Et même davantage, précisa Adelris. Des mois de voyage et je n’ai pas ouvert un seul livre pour me renseigner sur notre histoire commune. J’espère qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur.

— Ils se sont montrés très accueillants jusqu’à présent.

— J’aurai l’occasion de me rattraper. Je souhaite juste que la prophétesse Zinhéra veille sur Sudnarat, désormais. Sudnarat ne croyait peut-être qu’elle eût atteint un statut divin… Elle ne connaissait peut-être même pas son existence. Mais c’est le geste qui compte.

D’un long coup d’œil Adelris paya son ultime tribut puis, se redressant, il chemina en direction du bureau des recensements. Un vent de fraîcheur le vivifiait, l’assurait un rythme soutenu.

Il s’arrêta toutefois aux sollicitations de son cadet.

— C’est tout ? demanda Kavel. Nous reprenons notre vie comme si rien ne s’était passé ?

Adelris osa à peine croiser le regard réprobateur de son petit frère.

— Il vaut mieux ainsi, assura-t-il. Laissons le passé derrière nous. Je suis sûr que beaucoup débutent une nouvelle vie ici pour les mêmes raisons que nous.

— Tu me dois au moins une explication ! Des mois de silence, et pourquoi ? Nous sommes partis dans une telle précipitation ! Nous n’avons même pas pu dire à adieu à nos amis… Nous n’avons même pas su nous rendre aux funérailles de nos parents.

Une larme roula sur la joue d’Adelris. Il eut beau la sécher, il la dissimula fort mal aux yeux de Kavel, qui se rapprocha alors.

— Un jour je trouverai les mots, confessa l’aîné. En attendant, j’espère avoir mérité ta confiance. J’ai promis de veiller sur toi.

— Donc, tu me caches la vérité pour me protéger ? s’étonna le cadet.

— Oui. Plus tard tu la connaîtras et mieux ce sera. Nous pouvons tracer des chemins différents, comme ce fut le cas dans notre ancien foyer. Je resterai toujours proche au cas où tu aurais besoin de moi.

Sur ces mots, Adelris accéléra le pas, soucieux de garder le dos tourné. Mais ce dernier atteignit vite sa hauteur, aussi son grand frère ne put se résoudre à l’éviter. Tous deux marchèrent avec promptitude dans les frayeurs administratives.

Dès qu’ils eurent franchi le seuil, Adelris récita une ultime prière.

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