Chapitre 1 : Le nouveau départ (1/2)

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Elle trônait sur la table basse de la cabine, stable en dépit des bringuebalements du navire. D’une pierre lisse et quelque peu luisante, la statuette représentait une femme svelte et à la chevelure filandreuse, un orbe s’élevant par-dessus sa main tendue. Des éclairs de détermination avaient été gravés sur son visage.

— Prophétesse Zinhéra, sollicita une voix grave et lente. Puissiez-vous nous apporter fortune pour notre destination comme vous l’avez fait lors de notre voyage. J’ignore les épreuves qui m’attendent, mais avec votre bénédiction, je suis prêt à les affronter. Car je sais que votre lumière guidera mes pas et m’aidera lors de mes plus ardues décisions.

Seuls ses majeurs s’effleuraient comme il avait placé ses bras à l’horizontal. Ses paumes étaient orientées vers la statuette. Il récitait ses psaumes avec lenteur, les yeux fermés, baignant dans une tranquillité que l’océan offrait peu souvent. Nul tremblement ne perturbait sa méditation. L’équilibre le comblait, les projections mentales tourbillonnaient. Il se rapprochait de la prophétesse à chaque instant, sentait sa présence, s’enrichissait de sa puissance.

Puis le navire pencha avec fracas et rapidité. Le temps de retrouver l’équilibre, Adelris basculait déjà dans la réalité. Tant ses longs cheveux garnis de tresses que sa barbe blonde, çà et là incrustée d’anneaux argentés, furent soufflés. L’éclat de ses iris émeraudes et la profondeur de ses traits inscrits sur son visage carré à la peau blanche n’en devinrent que plus apparents. Il se redressa avec aisance malgré le poids de sa cuirasse lamellaire en cuir, laquelle soulignait sa carrure sèche, quoiqu’il dût empêcher son pendentif cristallin d’osciller.

Au seuil de la porte surgit une ombre qu’un grincement accompagna.

— Pourquoi cette apparition si soudaine ? lança Adelris.

— À ton avis ? Les côtes se découpent à l’horizon. Nous y sommes enfin !

Adelris rangea aussitôt sa statuette dans sa besace. Il saisit sa hache en acier à double tranchant, sur lesquelles des courbes avaient été creusées, et rejoignit son trépignant cadet à l’extérieur.

À peine Adelris l’avait rejoint, s’imprégnant de l’air marin, que son frère trottait déjà sur la passerelle. Kavel n’égalait pas la musculature et la taille de son aîné, mais une lueur comparable chatoyait dans ses iris. Il avait rabattu sa chevelure blonde vers l’arrière, et portait un bouc pointu par-dessous sa moustache. Sur son faciès juvénile s’affichait une expression éblouie tandis qu’il se frayait un chemin sur le pont. Quelques gouttes de sueur exsudaient de son front, pourtant il ne déboutonna pas son pourpoint carminé.

Kavel se hissa sur le bastingage bien qu’ils fussent des dizaines à s’y agglutiner. Dans l’attente de son aîné, à qui il partagea de l’espace, il prit le carnet de notes et la plume accrochés à sa ceinture à double boucle.

— Adelris, immortalisons ce moment ! s’écria-t-il. Profitons de cette chance unique dans notre vie.

L’aîné entama un murmure mais les paroles s’étouffèrent dans sa gorge. Déjà Kavel s’était détourné de lui pour s’appuyer davantage sur la rambarde et contempler les rivages.

Le port s’esquissait à l’horizon et s’ouvrait tel un croissant de lune. D’innombrables navires allaient et venaient au gré de la marée. Des lignes parallèles de sphères lumineuses flottaient jusqu’au littoral, et leur propre caravelle emprunta ce chemin balisé pour achever leur voyage transcontinental.

Sur la digue s’étiraient d’imposantes habitations. Percées de fenêtres elliptiques, couronnées d’un toit en demi-cercle, elles étincelaient d’un ensemble harmonique de nuances, bâties d’une matière plus solide encore que la brique. Elles n’atteignaient toutefois qu’un tiers de la hauteur des arbres dont le dense feuillage s’amoncelait tel une cime. D’autres maisons s’érigeaient près de leur sommet, reliées par de grands ponts du même bois sombre dont leurs fondations avaient été échafaudées. Tours et escaliers en spirale assuraient la jonction avec le sol, néanmoins, des claquements réguliers dévoilèrent le rythme de la cité.

Des créatures volaient tout autour de la ville, transportaient ses résidents à vive allure. De multiples nervures sillonnaient leurs ailes qui leur proféraient une envergure sans pareille, tandis que leurs griffes arrière miroitaient d’une teinte ambrée. Mais ce qui pâma leur visiteur, outre leur taille, était leur épais plumage où des sillons argentés seyait au blanc dominant. Un bec arqué pointait sous leurs petits yeux leurs cris pénétrants jamais ne vrillaient les tympans. Des proéminences pointaient de leur dos entre lesquels leurs cavaliers avaient fixé selle et boucles.

— Je dois vite l’inscrire ! s’enthousiasma Kavel. Tu te souviens de leur nom, Adelris ?

— Non, répondit son aîné. Je n’en ai jamais vu auparavant.

— Moi non plus, car peu d’entre eux ont quitté Menistas, même avec leurs maîtresses et maîtres. Ce sont des ghusnes !

Les passagers s’émerveillèrent aux envols et atterrissages des créatures. Seule une minorité, dont les frères, se focalisaient sur leurs cavaliers.

Car ces derniers, pour la plupart, étaient des ludrams.

Ils étaient un peuple bipède, partageant maintes caractéristiques avec les humains. Au premier coup d’œil, néanmoins, Kavel et Adelris remarquèrent les six doigts de leurs mains et l’éclat dont s’illuminaient parfois leurs yeux. Beaucoup d’entre eux semblaient égaler ou dépasser les deux mètres, voire davantage pour les femmes. Même si une pluralité avait la peau verte, il existait une grande variété de complexions chez les ludrams, parmi lesquelles se dénotaient les couleurs grises, ivoirines et dorées. Quelques-uns avaient aussi une carnation azure, mais Kavel constata rapidement que ce groupe privilégiait les navires au lieu de la terre ferme.

— Je n’en reviens pas ! s’exclama Kavel. Tant de détails à noter, je ne dois en manquer aucun !

— Hâte-toi, nous allons bientôt embarquer ! fit Adelris. Ou au pire, tu pourras encore rédiger tes notes quand nous nous serons installés.

— Au risque d’oublier certaines choses ?

— Aie confiance en ta mémoire ! Et puis, comment omettre quoi que ce soit ici ?

— C’est sûr. Par où commencer ? Il y a tant à faire, tant à apprendre.

— Nous serons guidés. Bien d’autres humains se sont installés ici avant nous : au besoin, ils nous aideront. Je te le promets, petit frère : nous ne serons plus seuls encore longtemps.

Souriant, opinant du chef, Adelris s’apprêta à poser sa main sur l’épaule de son cadet, toutefois une voix forte retentit :

— Débarquement ! Dépêchez-vous, le recensement doit être rapide !

Ils reconnurent l’emploi du carônien, commune parmi les langues humaines, bien que l’accent fût très prononcé. Adelris et Kavel cheminèrent à ras du bastingage et avisèrent le ludram autour duquel les passagers s’étaient rassemblés sur la plateforme. Des boucles anthracites cascadaient autour de son faciès au teint doré. Des premières rides y creusaient des sillons, mais il avait le regard et l’allure ardents, dévisageant les frères avec intensité.

— Nous n’attendions que vous, dit-il en fronçant les sourcils. Ne vous inquiétez pas, avec moi, vous aurez tout le loisir d’admirer notre cité. Je m’appelle Celdwam Noveba et je serai votre guide.

Le ludram effectua une rotation du poignet, ce que les frères ne saisirent guère. D’aucuns grommelèrent alors et incitèrent les frères à s’empresser sur la plateforme. Un air sain cumulé aux rayons de soleil adoucit leur arrivée. Les deux frères accordèrent un ultime coup d’œil à leur bateau avant de saluer le guide.

— Je m’appelle Kavel Frayam, se présenta le cadet. Et voici mon grand frère Adelris. Comme nos camarades de bord présents, nous avons fait un long voyage jusqu’à Menistas. Nous espérons trouver un nouveau foyer ici.

— Je ne reconnais pas votre accent, fit Celdwam. Plus de soixante ans comme guide, pourtant ! Vos affaires ne regardent que vous, mais vous devrez le rapporter au bureau des recensements de tout manière. Donc si je puis demander, de quel pays venez-vous ?

— De la région de Baevadan, en Skelurnie.

— Oh ! J’ai un peu honte, mais cela ne me dit rien.

Le sourire d’Adelris s’effaça à cette remarque, au contraire de Kavel qui se gaussa.

— Même par chez nous, commenta ce dernier, peu le connaissent. Il se situe tout au nord du continent, au-delà de la Mer Glaciale. C’est…

— Très intéressant, interrompit Celdwam, mais vos camarades s’impatientent.

À son tour Kavel eut un rictus que son interlocuteur ignora. Celdwam étudia d’abord plus longuement la tenue d’Adelris : plus il observait sa hache, et plus des plis suspicieux déparaient son faciès.

— Le port d’armes n’est pas interdit ici, dit-il. Cependant, il n’est pas non plus conseillé, et seuls les gardes en portent en grand nombre. Si vous vouliez éviter de vous faire remarquer, c’est raté.

— Je suis un guerrier, se justifia Adelris. Je ne me sépare jamais de ma hache. Ni de ma cuirasse, même si elle m’alourdit.

— Un guerrier ? Il n’y a pas de guerre en ces lieux. Mais soit. Tout le monde est le bienvenu, après tout.

Un bref sourire étira ses lèvres, et déjà Celdwam cheminait vers la digue, hélant les passagers.

— Bienvenue à Parmow Dil, capitale de Nirelas ! L’un des plus précieux joyaux de notre civilisation, à mon humble avis. Je vais vous montrer sa splendeur avant que les démarches administratives ne vous submergent.

Ainsi un large groupe s’immisça au sein d’une foule compacte. Tous se murent au rythme des taroles disposées pour les accueillir. Bien que les citadins s’écartassent pour les nouveaux venus, ils leur prêtèrent à peine attention, vaquant prestement à leurs habitudes.

Entre ces affluences se déroula un complexe réseau d’artères. Parmow Dil se déployait jusqu’au-delà même de l’horizon, en largeur comme hauteur. Des rues droites s’alternaient à merveille avec des sinuosités. Bâties entre renfoncements de la terre et les reliefs des coteaux environnants, les dalles en pierre polie tantôt chatoyante s’enchevêtraient en vastitude. Des demeures fourmillaient dans chaque direction, riches d’une myriade de styles architecturaux. Structures, proportions, matériaux et nuances variaient sans jamais jurer avec le décor. Dominaient encore les toits courbes et les façades proéminentes tantôt surplombées d’oriels, mais peu de balcons. Des clôtures éburnéennes isolaient les tours et les racines des arbres. Tant leur feuillage que la plateforme et les ponts projetaient des ombres jusqu’au seuil des venelles. Beaucoup d’espace était octroyé aux habitants malgré la courte distance entre les maisons.

L’on circulait aisément dans ces allées, aussi Kavel et Adelris purent détailler les résidents. Très vite, ils s’aperçurent combien Parmow Dil constituait un ensemble hétérogène. Autour d’eux cheminaient autant d’humains que de ludrams. Ils étaient issus de nombreux horizons, se fondaient dans un flot continu. Jamais la marée ne dissonait, car leurs propres nuances se reflétaient sous le zénith de la cité. Du tumulte résultant se distinguaient des dizaines de langues, et davantage encore de dialectes. Kavel n’en saisit pas beaucoup, encore moins Adelris, aussi se focalisèrent-ils la vivacité de la foule.

— Vous n’êtes pas des pionniers, dit Celdwam à son groupe. Vous n’entrerez pas dans l’histoire, mais au moins, vous ne subirez pas les difficultés de vos prédécesseurs. Profitez et contemplez !

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