3 — La Jouvencelle (1)

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Elle reçut un maigre pécule pour son labeur, à peine quatre lys d'argent et une dizaine d'aquil. Alessia se dirigeait vers la sortie quand tout à coup une voix l'interpella dans son dos. Elle se retourna, il s'agissait du cadet Castellan. Il était flanqué de deux gardes du corps armés jusqu'aux dents.

— Ne t'en vas pas si vite, belle guerrière ! C’est un très beau combat que tu nous as livré tout à l'heure ! Tu n'as fait qu'une bouchée de ce malheureux légionnaire.

Elle ne lui répondit pas, le dévisageant du regard, une expression de défi au visage. Elle n’appréciait guère son ton familier, juste bon à charmer les jouvencelles. Ce qu’elle n’était guère. Il poursuivit sa tirade.

— Vu de loin, tu n'as pas l'air des plus commodes ! Mais ça fera tout de même l'affaire. — Il gratta sa barbiche — Méliacus m'a fait savoir que tu étais une mercenarii à la recherche d'un travail. Tu as parlé à beaucoup de gens aujourd’hui, des personnes qui sont déjà en relation avec ma famille. Justement, j'aurais besoin d'une nouvelle lame pour renforcer la garnison de notre domaine. Je suis Arenius de Castell, enchanté, déclara-t-il en avançant une poignée de main amicale.

Elle déclina cette dernière mais prit la peine de lui répondre cette fois-ci, l'occasion bien trop belle. Pouvait-elle s’attendre à une meilleure opportunité dans une cité telle que Dalata ?

— Alessia Cœurfroid, enchantée. J’espère que vous payez mieux que le gérant de cette arène…

— En effet, fit-il avant d’ajouter plus bas après s’être rapprocher — je ne suis pas aussi radin que ce cher Méliacus. Et pour un travail bien moins périlleux, tu seras logé et nourris. Je m’apprêtai à regagner ma loge, tu peux te joindre à nous pour les premiers combats professionnels si tu le désires, l’invita-t-il d’un sourire charmeur.

— Ça aurait été avec plaisir messire mais je crains de devoir refuser. Ces combats m’ont exténué, je ne suis guère présentable. Je ne voudrais pas porter préjudice à votre réputation, Messire De Castel.

La réponse de la jeune femme ne le décontenança même pas. Un homme si influent, il n’avait qu’à claquer des doigts pour obtenir le moindre de ses désirs. Les grandes dames voulant s’attirer ses faveurs ne devaient pas manquer, veuves éplorées ou délaissées, jeunes intrigantes…

— C’est dommage mais je comprends… Surtout après un tel coup d’éclat. Repose-toi et viens me voir demain matin à mon domaine. Il se situe à l'extérieur de Dalata, sur la gauche après le pont de le Doline. Montre ceci à l'entrée – Il lui tendit un écusson en forme de losange, un cercle concentrique enfermé en son sein – Mes gardes te laisseront passer.

Il prit ensuite congé, se fendant d'un signe de la main. Une fois ce dernier éloigné, Alessia quitta l'arène. Les ténèbres commençaient à doucement gagner les ruelles de la cité. Elle se mit en tête d’aller jeter un œil à l’établissement qu’elle avait remarqué lors de son arrivée ce midi.

Elle déambula dans les rues tortueuses du centre de Dalata, passant devant plusieurs enseignes bien trop miteuses pour son confort personnel, et sa bourse revigorée. Elle se sentait sale, encrassée, comme si les relents nauséabonds de l'arène avaient imprégné sa chair. Des grains de sables s'étaient immiscés sous ses vêtements, provoquant des démangeaisons intenses.

Un bon bain ne serait guère de trop. La mercenarii songea tout d'abord à se rendre aux fameux Thermes de Frajan, puis se rappela que les baignades du soir étaient encore un privilège masculin en Korvalys contrairement en Nérev et en Arthédas. Au diable les ménagères, qu’elles s’y rendent le matin, le soir les hommes s’y réunissent, y parlent de politique, de leurs maîtresses et du business. Alessia devrait se contenter d'un baquet d'eau chaude.

La jeune femme tourna à droite pour regagner la ruelle principale, au même moment une silhouette déboula en face d’elle. Percutée à l’épaule, elle manqua de chanceler.

— Par le Trône, faites attention ! jura Alessia avant de se retourner.

De son agresseur elle n’aperçut que le bout d’une cape noire. Elle jeta un œil dans la travée. Personne. La mercenarii reprit son chemin.

Elle finit par se retrouver devant l’établissement qu’elle recherchait. Derrière la porte se dévoila une grande pièce éclairée de nombreux chandeliers, la chaleur de l’âtre trônant tout au fond l’atteignant dès le seuil franchi. Un brouhaha joyeux régnait au sein de l’auberge, commérages de marchands et de citadins attablés autour de plats alléchants et copieux. Près de la cheminée, elle remarqua même un ménestrel à la livré coloré, occupé à accorder son luth.

Sur sa droite, un imposant escalier en bois massif menait à l’étage supérieur et aux chambres, supposa-t-elle, et juste en dessous se trouvait le bar. Alessia fila vers celui-ci afin de réserver la meilleure chambre à disposition. N’y trouvant personne pour répondre à sa requête, elle dût se résoudre à faire tinter la petite clochette mise à disposition sur le comptoir. L’aubergiste à la moustache sombre et hirsute émergea de la porte des cuisines quelques instants plus tard, laissant échapper un léger grognement tout en essuyant ses mains grasses sur son tablier tâché à maintes reprises.

— Pour la chambre ça sr’a pas possible ce soir, madame, lança-t-il en s’humectant les lèvres après avoir entendu la requête d’Alessia. On est complet. Mais je peux toujours vous servir à manger.

Il la regarda à peine, bien trop occupé par ses modestes besognes de tavernier.

— Entendu pour le repas. Y a-t-il la moindre chance que je trouve le moindre logis à une heure si tardive ? — Elle soupesa sa bourse pour accentuer son propos — J’ai les moyens.

— Ce n’est pas une question d’argent, ma p'tite dame, rétorqua l’aubergiste. Nombreux sont les marchands à s’être rendu à Dalata pour le marché. La plupart des auberges sont complètes depuis la méridiem. Hormis peut-être un bouge ou deux en dehors de la cité. Mais les portes sont déjà fermées à cette heure et la garde veille au grain. On n’aime pas trop les voleurs ici !

En fin de compte, peut-être aurait-elle dû accepter la proposition d’Arenius de Castell, erreur stratégique manifeste de sa part. Un tel patronyme pouvait ouvrir bien des portes inaccessibles au commun de la plèbe.

— Essayez-vous de me faire comprendre que je vais devoir me résoudre à dormir dans une ruelle comme un vulgaire mendiant ? lui asséna Alessia.

— Non, la garde urbaine vous jetterait au cachot. Directive du Prætor. Je peux mettre un banc à votre disposition près de l’âtre si vous êtes toujours ici à la fin du service. – Il s’arrêta, s’appuyant sur le comptoir et gratta sa moustache – Sinon vous pouvez essayer à la Jouvencelle.

— Et où se trouve cette fameuse Jouvencelle ? Loin d’ici, j’imagine ?

— Oh non ! Bien plus proche que vous ne le pensez. Vous voyez là-bas – Il pointa du doigt une porte dans le fond de la pièce principale, à la droite de l’âtre – Il y a une cour intérieure décorée d’une jolie fontaine. Juste à côté, un escalier vous y emmènera.

Alessia remercia l’aubergiste pour l’information et commanda ensuite un repas chaud, cuissot de porc accompagné d'une jardinière de légumes, ainsi qu'une chope d'hydromel. La serveuse roula des yeux quand elle réclama une pinte de la boisson orangée une fois installée à table. Les autres clients ne firent guère mieux, les œillades intéressées se muant en regards noirs.

Une femme non accompagnée qui consommait de l'alcool, ce n'était guère au goût des bonnes gens arriérés de Dalata, la femme soumise et docile étant l'apanage de la tradition Korvalienne. Une dame convenable ne pouvait occuper que trois rôles au cours de son existence, la fille docile devient épouse servile puis se change en mère attentionnée envers sa progéniture. Alessia termina sans se presser, engloutissant au passage une seconde choppe d'hydromel sous les yeux médusés de la populace. Ce fut son meilleur repas depuis des lustres. Elle se décida enfin à quérir la fameuse Jouvencelle après avoir réglée la note auprès de l'aubergiste tandis que les soûlards ne la lâchaient plus du regard.

Vaut mieux ne pas pousser la patience de ces gueux à bout, l'un d'entre eux finirait par s'enhardir assez pour essayer de me faire sortir de force, ou pour me faire des propositions obscènes.

Alessia traversa l’auberge jusqu’au fond de la grande pièce sans se défiler du moindre regard. À la moindre de ses foulées, aucun des clients de la taverne ne pouvait prétendre de ne pas avoir remarqué la présence des lames jumelles accrochées dans le dos de la mercenarii. Elle franchit le seuil et l’air frais de la nuit remplaça rapidement la tiédeur de l’âtre. La cour intérieure se trouvait bien ici, entourée d’une rangée de colonnes formant un préau et décoré d’un parterre de verdure et de fleurs visiblement entretenus avec soin. Mais le clou du spectacle consistait en l’élégante statue qui dominait la fontaine, très certainement originaire d’un atelier Illyro, une jeune femme à la peau de nacre, cheveux noirs flottant dans le vent, revêtus d’une tunique longue d’un azur pâle resserrés à la taille par une ceinture. Sa posture, telle une invitation, suggérait de suivre son regard.

La mercenarii fit ainsi et elle ne tarda pas à découvrir entre les lueurs des torches, la présence de deux battants en bois encastrés dans un mur sous le préau. Elle les ouvrit et découvrit un escalier aux marches grossières qui s’enfonçait dans les entrailles de la bâtisse voisine.

S’il ne s’agit pas d’un guet-apens alors je ne suis pas une mercenarii digne de ce nom. Alessia glissa une main jusqu’à la dague accrochée à sa ceinture. J’imagine qu’ils ne tarderont pas à sortir de l’auberge. S’ils veulent m’acculer dans les ténèbres alors à moi de les prendre à leur propre jeu. Alessia s’engouffra dans l’escalier qui menait au sous-terrain. Une fois les marches franchies, elle déambula dans un boyau tortueux à peine éclairé par la lumière lointaine de l’extérieur. Elle se retrouva face à une porte et la poignée tourna dans sa main, à sa grande surprise. Peut-être ne s’agissait-il pas d’un piège en fin de compte ?

L’odeur d’humidité et de crasse de l’escalier se déroba instantanément à la faveur d’une flagrance d’encens aux douces pointes florales. Alessia pénétra dans un long couloir garnis d'arc-boutants qui culminaient à moins de deux mètres du sol, éclairé par la lueur tamisée de quelques bougies. Sur les côtés des ouvertures régulières donnaient sur des cellules, leur entrée à peine camouflée par des rideaux cramoisies. Les râles de plaisir qui en émanaient ne leurraient personne quant à la véritable nature des lieux. Une cave reconvertie en bordel clandestin, tout à fait charmant. Cet aubergiste a le sens de l’humour. La mercenarii poursuivit sa route sans trop se préoccuper de la besogne des clients du soir jusqu’à arriver au séjour. Deux lustres accrochés au plafond éclairaient la pièce d’une lueur froide tandis que quelques individus se prélassaient sur les rangées de canapés rouges. Capuchon rabattu pour préserver leur identité, ils ne se préoccupèrent nullement de l’arrivée d’Alessia, bien trop captivés par le spectacle qui se déroulait devant eux. La mercenarii se rapprocha d’un comptoir miteux tout en y jetant un regard curieux.

Juchée sur un promontoire en bois, une jeune femme au teint de bronze et à la chevelure d’or ondulait son bassin avec grâce et sensualité tandis que les multiples bijoux qui parsemait sa peau nue émettaient un léger tintement. Et tandis qu’elle poursuivait sa danse lascive, le python qui s’était glissé hors de son antre poursuivit son chemin. Avec lenteur il s’enroula autour des cuisses de la courtisane, effleura son nombril de son museau triangulaire avant de glisser contre son dos. Et les tâches brunâtres s’ajoutèrent à la parure d’or et d’argent scintillante de la danseuse. Le reptile surgit derrière son épaule avant de descendre de son cou pour aller se nicher dans sa poitrine opulente. S’agissait-il de la fameuse jouvencelle, se questionna Alessia, et le serpent une simple fantaisie locale ? La courtisane poursuivit son œuvre, doucement elle s’assit sur le promontoire. Ainsi positionnée, elle se mit à ouvrir ses cuisses, dévoila le moindre détail de son intimité au spectateur tandis que le serpent recommençait à se mouvoir. La mercenarii détourna le regard, laissa tout loisir aux débauchés réunis en ces lieux de profiter eux-mêmes de la performance.

— Oui peut-être après tout… Peut-être que cela pourrait convenir.

Alessia releva le chef, surpris par la voix de rombière de la tenancière qui venait de s’avancer derrière le comptoir. Elle l’observait, revêtue d’une robe d’un rouge écarlate profond, sa taille rehaussée par un corset lacé. De grande taille pour une femme, un ample chapeau coloré siégeait sur sa longue chevelure noir de jais, et malgré le sourire qu’elle adressa à la mercenarii entre ses lèvres rosées, Alessia lu dans son regard perçant, les prunelles froides d’une prédatrice sur ses gardes.

— Le charme de ton visage en séduirait plus d’un et cette crinière de flammes est des plus exotiques dans notre contrée, ajouta la maquerelle d’un ton sévère. Tu te déplaces avec une grâce féline, cependant tu es bien trop musclée et athlétique. Il faudra remédier à cela.

— Laissez-moi vous prévenir de suite, je ne suis pas venu ici pour vendre mon corps contre une poignée d'aquil, rétorqua Alessia sans se laisser intimider.

— Je m’en doutais vu la teneur de ton accoutrement. Alors que fais-tu ici ? lança la tenancière, sourcils arqués. Serais-tu cliente ? Nous offrons ce genre de service, même si la chose demeure plutôt rare de nos jours.

— Non, c'est votre ami l’aubergiste qui m’a envoyé ici. J’étais à la recherche d’une chambre pour la nuit mais je ne pense pas que vous fournissez ce genre de services. Je crois qu’il souhaitait simplement se débarrasser de ma personne.

La maquerelle attrapa une coupe du dessous de son comptoir puis l’approcha du tonnelet qui trônait de l’autre côté du comptoir afin d’en verser le contenant à l’intérieur

— C’est fort possible en effet. Pour le déplacement, chaton – Elle lui tendit la coupe remplie de l’élixir pourpre – Cadeau de la maison.

Alessia accepta l’offre de bonne grâce et prit place sur un siège. Elle sirota le vin épicé tandis que les râles de la danseuse gagnaient en intensité derrière elle à l’approche du bouquet final. Du marché au bordel en passant par l’arène, venait-elle d’accomplir la journée du parfait Dalatien ?

— Depuis combien de temps les filles de joies doivent se terrer dans les profondeurs pour exercer leur métier ? questionna Alessia pour poursuivre la conversation. J’avais connaissance des mœurs puritaines du Haut-Korvalys mais pas à ce point…

— Ton arrivée à Dalata est récente, je me trompe ? Sache qu’ici les doctrines de l’Ecclésia sont respectés à la lettre. L’auguste abée de notre sainte église a déclaré que notre cité devait se repentir de ses péchés. Comme il est bon ami avec le Prætor, la garde respecte les principes à la lettre. Mes filles ne sont plus les bienvenues à l’intérieur de l’enceinte.

— Le Korvalys a toujours été l’un des Saints-Royaumes les plus pieux de l’Imperatora d’Aëlrys. Un jour, L’Ecclésia y aura autant d’influence qu’en Nérev.

— Prends garde à tes propos, chaton. Ici les murs ont des oreilles, bien plus qu’ailleurs. Je ne peux te proposer de chambre pour la nuit mais peut-être qu’autre chose te siérait ?

— Un baquet d’eau chaude, cela serait possible ?

— Bien sûr, chaton. Souhaites-tu de la compagnie ? Je peux demander à Alcibad, il en aura fini avec son client d’ici à ce que l’eau soit bien chaude. Il préfère les hommes mais il fera bien une exception pour toi – Alessia signifia son refus d’un hochement de tête – Comme tu voudras. L’une de mes filles viendra te quérir une fois que tout sera prêt.

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