1 — La Prisonnière

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La froideur des pavés humides, les ténèbres qui l'entouraient, seulement contrecarrées par un maigre rayon de soleil qui parvenait à se frayer un chemin jusqu'ici. Le bruit de l'eau qui ruisselait timidement par la lucarne de la cellule, à plusieurs mètres de hauteur. Une à une, les gouttelettes s'amoncelèrent, formèrent une flaque qui finit par l'atteindre.

La femme se réveilla, prostrée en position fœtale, sur le sol dur et froid. Un frisson s'empara de son échine endolorie. Son corps n'était que douleur.

Où suis-je ? s'empressa-t-elle de s'interroger. Et tandis qu'elle tentait de percer les ténèbres de ses paupières encore endormies, une autre question se fraya un chemin jusqu'à son esprit engourdi.

Quel est mon nom ?

Elle réalisa bien vite qu'elle était toute aussi incapable de répondre à cette interrogation. Quasi nue, blessée, affamée et enfermée dans un cachot obscur. De ses longs doigts, elle progressa à tâtons en quête de réponses. Elle parcourut son visage, remarqua une cicatrice sous son œil gauche. Au toucher, elle ne put déterminer si elle était récente ou ancienne. Elle ne raviva en elle aucun souvenir. Elle poursuivit son exploration et découvrit un bandage sanguinolent sur son flanc. Une blessure douloureuse, terriblement douloureuse, sa chair à peine refermée. De même, son épaule droite la faisait atrocement souffrir. Tellement fort qu'elle tomba dans l'inconscience.


2


Son esprit divagua, alterna entre sommeil et éveil bref. Plusieurs heures passèrent ainsi, la lumière issue de la lucarne croissant puis décroissant petit à petit. Cette fois-ci, aucun cauchemar ne troubla son repos. Le répit fut bien maigre. À un moment, elle sentit de grandes ombres venir à elle, elles s'invitèrent dans sa cellule. Aux contours flous, les ombres la touchèrent, palpèrent sa chair recouverte d’haillons troués. Elle essaya de se débattre, en vain. Son corps trop faible. Les ombres, elles, se contentèrent de ricaner. Des rires gras et grossiers. Dans cette lutte inégale, cacophonie à l'issue déjà décidée, la prisonnière discerna les paroles de ses agresseurs.

— Alors, on fait moins la maligne, sale traînée ? vociféra le premier incapable de réprimer son excitation.

— De toute façon, tu l'as bien mérité ! Après ce que tu as fait subir à nos frères, ce n’est que justice, poursuivit le second. Tu vas savoir ce que ça fait de sentir un vrai homme !

Tandis qu’elle essayait de s’échapper à l’autre bout de sa cellule, l'une des deux brutes l'attrapa pour de bon. De sa main calleuse, il la força à se tenir tranquille. Du coin de l’œil, elle aperçut l’éclat de la lame d’une dague effilée. Il la posa contre la joue de la prisonnière en guise d’avertissement avant de la remettre dans son fourreau.

— Ne bouges pas, on n’a peut-être pas le droit de te tuer mais personne ne s’en plaindra si on ajoute quelques cicatrices sur ton joli minois, lui chuchota-t-il à l'oreille tout en l'étreignant tandis que le deuxième larron se rapprochait.

Bien qu'incapable de discerner ses traits, elle comprit à son regard lubrique ce qui l'attendait. Il passa sa langue sur ses chicots pourris avant de rapprocher ses lèvres de sa gorge. Il exhalait d’une haleine putride aux relents d’alcools. Le premier à mourir, se promit-elle. D’un geste sec, il déchira ses haillons et tandis que sa dextre commençait à descendre le long de son ventre pour atteindre son intimité. De l’autre, il se saisit de l’un de ses seins.

— Cela n’a pas l’air de te déranger plus que ça, siffla-t-il après avoir retiré sa dextre de l’entrejambe de la prisonnière. Aller, maintenant tourne-toi que l’on passe aux choses sérieuses !

Et tandis que l’homme posait l’une de ses mains sur ses hanches pour la forcer à s'exécuter, elle sentit une énergie nouvelle se répandre en elle. L’instant qui suivit, la torpeur qui l’étreignait disparue. Elle attrapa le poignet de son agresseur.

— Je t’avais prévenu, sale catin ! éructa-t-il avant de retirer sa main avec brutalité. Je vais t’apprendre à mieux obéir.

L’homme serra le poing et le projeta avec violence en direction de son visage. Sans même y penser, la prisonnière se déporta et esquiva d’un pas sur le côté. D’instinct, comme si son corps agissait de sa propre volonté, elle se glissa derrière son agresseur pour le déposséder du poignard à sa ceinture. Alors qu’il se retournait pour essayer de l’attraper, la pointe de la lame transperça le dessous de sa mâchoire d’un coup geste. Chairs, muscles et tendons se déchirèrent sans moindre difficulté. L’homme tituba en arrière tandis qu’un flot abondant de sang inondait la cellule.

Toujours l’arme en sa possession, elle se retourna en direction de son second agresseur. Ses braies sous les genoux, son excitation se transforma en terreur alors qu'il prenait conscience de la gravité des événements. Son regard porcin s’attarda sur la dague recouverte de fluide sanguin avant de fixer la porte entrouverte de la cellule. Il tourna les talons pour s’enfuir. La prisonnière se jeta sur lui d’un bond félin. La tête de l’homme percuta de plein fouet le sol en dalles de pierre. À moitié assommé, ses yeux s’étrécirent de terreur tandis qu’elle remplissait sa bouche de ses guenilles. Assise à califourchon sur son tortionnaire, un besoin impérieux s'empara de la prisonnière. Elle leva sa dague. D’un geste précis, elle perfora sa panse d’une large entaille. L’homme laissa échapper un cri de douleur étouffé et essaya de se débattre sans pour autant se soustraire à l’étreinte de la prisonnière.

Cette dernière ne fit montre d'aucune clémence, refusant d'accorder le moindre répit à son tortionnaire. Elle fixa du regard l’homme et se nourrit de la peur et de la douleur qu’elle venait de lui infliger. Elle enfonça davantage son poignard, plongea avec allégresse sa main dans les entrailles grouillantes. Et tandis qu’elle tâchait de retirer avec méthode chacun des organes de la panse éventrée, l’homme se tut à jamais. Une légère déception gagna la prisonnière tandis qu’elle se relevait. Elle aurait aimé que son calvaire dure un peu plus longtemps. Peut-être que son camarade lui offrirait davantage de plaisir ? Elle se retourna pour s’enquérir de son état. Un autre cadavre noyé dans une mare de sang, en conclut-elle avec dépit. Elle s’accroupit et constata que le corps s’était déjà refroidi. S’était-elle attardée bien plus longtemps qu’elle ne l’avait cru sur sa seconde victime ?

La prisonnière observa ses mains recouvertes de sang. Un électrochoc se produit dans son esprit et elle recula avec dégoût du cadavre. Pourquoi ai-je agi ainsi ? Son estomac se souleva, pris dans un tourbillon de nausée. Une bête sauvage… Que se cache-t-il en moi pour être capable de se délecter d’un tel massacre ? Elle se recroquevilla contre l’un des murs de sa cellule alors qu’une puissante douleur assaillait ses tempes.

Et rapidement la prisonnière sentit l'inconscience de nouveau la gagner.

3

La prisonnière se réveilla à nouveau. Cette fois-ci son esprit lui parut bien moins embrumé qu'auparavant. Les formes devinrent nettes et compréhensibles, la lumière maintenant suffisante pour distinguer ce qui l'entourait. Cependant, ses souvenirs manquaient toujours à l'appel. Le torrent de sang et les cadavres avaient disparu, comme s’il n’avait s'agit que d’un vulgaire cauchemar. Elle examina son flanc blessé, constata le bandage propre, récemment changé. La douleur s'était atténuée.

À l'affût du moindre indice, elle se mit à tâtonner autour d'elle. Elle ne tarda pas à découvrir la longue chaîne qui retenait sa cheville, accrochée au mur de la cellule. Elle tira dessus sans vraiment y croire. Nul homme ne pourrait briser une telle chose de sa seule force et une lime requérait bien des jours d'efforts pour ne serait-ce que l'ébrécher. Découragée, elle reporta son attention sur le reste de sa geôle.

De taille modeste, de solides barreaux en fer forgé l'encerclaient de toute part. Sans sa chaîne, elle aurait pu s'y faufiler avec un peu de pratique. La lucarne, elle, ne lui apporterait aucun secours, trop haute et petite pour lui permettre de s'échapper.

Soudain une porte par-delà les ténèbres du corridor s'ouvrit et se referma. L'écho d'un pas précipité vint rapidement à ses oreilles. Aussitôt la femme cessa ses observations et se colla au mur du fond, les genoux repliés sur sa poitrine. Elle fit mine de dormir pour leurrer son futur visiteur. Elle n'eut pas longtemps à attendre.

Une lampe à huile à la main, la silhouette passa devant les barreaux et poursuivit son chemin. Les ténèbres de l'au-delà se dissipèrent enfin quand l'homme alluma une à une les lampes de la pièce garnies tour à tour de flammèches pâles et orangés. Une alcôve pourvue de quelques meubles, une table et des chaises, un vieux coffre en bois et une commode. Les murs lézardés de plantes grimpantes. Ce qui aurait dû lui paraître évident lui vint soudain à l'esprit. Elle se trouvait sous terre.

— Hé ! Tu es réveillée ? fit l’étranger en tapant les barres de fer pour attirer son attention.

Une voix juvénile, un freluquet. Est-ce que je le connais ? s'interrogea la prisonnière. Elle releva la tête avec lenteur pour examiner celui qui s'adressait à elle. Des traits jeunes, presque gracieux aux deux orbes noisette. Une chevelure blonde foncée, coupée ras à la nuque. Revêtu d'une cuirasse en cuir matelassé trop grande pour lui, un arc de chasse accompagné d'un carquois accroché dans son dos.

— Approche-toi. Je t'ai rapporté de l'eau et de la nourriture saine. Les décotions d'Harbard sont puissantes mais non sans quelques effets secondaires. Tu dois avoir l'impression d'avoir une vilaine gueule de bois.

S'agit-il de l'origine de ma mystérieuse amnésie ? s'interrogea la femme en pensée. Le jeune blond glissa une coupe et un quignon de pain entre les barreaux.

Étrangement la prisonnière s'exécuta. Quelque chose en elle lui disait de faire confiance à son visiteur. Était-ce l'instinct ? Ou des réminiscences de son passé oublié. Elle s'empara de la nourriture et bu tout son saoul. Le visiteur se releva et lui tourna le dos

— Dans quel pétrin t'es-tu encore fourré, ma pauvre... Tu imagines bien qu'ils ont réclamé ta tête a l'instant même ou nous t'avons retrouvé. Vu le nombre de cadavres que tu as laissé dans ton sillage. Sans parler de la tentative d'assassinat.... Sache que je m'en moque. Tu m'as sauvé la vie à plus d'une reprise et je ne te remercierais jamais assez. Ceci malgré mes fourberies.

La prisonnière avala une dernière bouchée de pain. Il semble me connaître. Ou s’agit-il d’une ruse pour me faire baisser ma garde ? Cependant malgré ses doutes, dans le regard du jeune blond, elle ne constatait pas la même lueur que chez les deux individus qui lui avaient rendu visite auparavant. Juste une inquiétude sincère et désintéressée.

— Ces hommes qui se sont introduits dans ma cellule… Je les ai tués n’est-ce pas ? glissa en douceur la femme en finissant sa coupe.

— Donc tu t’en souviens bel et bien, soupira-t-il. Harbard m’avait pourtant certifié que les décotions seraient assez fortes pour te soulager de ce malheureux souvenir, ajouta-t-il avant de s'asseoir, dos aux barres. Ne t’inquiète pas, personne ne pleurera ces deux imbéciles. Ils ont désobéi et volé les clés de ta cellule pour accomplir leur petite vengeance. Notre chef déteste les têtes brûlées. Néanmoins, il a fallu beaucoup d'efforts pour nettoyer tout ce bazar.

— Je suis désolée, soupira la prisonnière avant d’adopter la même position que son interlocuteur.

— Ne le sois pas. Ils ont mérité leur sort. Je n’imagine même pas les sévices qu’ils ont du t’infliger…

Si la légitime défense plaidait en faveur de la prisonnière cela n’excusait en rien la sauvagerie dont elle avait fait preuve. Le souvenir de sa jubilation face à la souffrance de ses deux victimes demeurait encore vif dans son esprit.

— Depuis combien de temps suis-je ici ? L'interrogea-t-elle pour passer à un autre sujet.

— J'avais oublié, on perd facilement la notion du temps quand on passe son temps enfermé. Tu es en plein milieu du troisième jour. Quatre si l'on compte ton passage à l'infirmerie. Malgré le siège du fort, Sire Gerald tenait absolument à t'emprisonner dans les cachots une fois tes blessures soignées.

— Le siège du fort ? fit la femme hésitante.

— Tu t'es cogné la tête ? Pardon, un autre effet secondaire des potions, j'imagine. Nous sommes en état de siège depuis une semaine. Ces salauds de la Legio Imperatorii sont devant nos murs. Pas une véritable armée, mais assez pour s'occuper d'une bande telle que nous. Remercions-les Saints-Royaumes d'avoir fait bâtir cette forteresse. Sur terrain découvert, ils nous auraient massacrés. C'est pour cela que je suis ici. Ils ont besoin de tous les Foudres de guerre disponibles sur les remparts. Le gringalet que je suis n'y serait pas vraiment utile. Quoique je me débrouille bien avec un arc.

— Attends, tu disais que l’on tenait expressément à guérir mes blessures avant de m'enfermer. Pourquoi ne pas m'avoir laissé mourir s'il me sait coupable ?

— Tu es sûr que tu vas bien ? Tu connais notre chef. Il est certain que tu as trahi et avoir raison ne lui suffit pas. Il veut t'arracher la vérité de la bouche. Il veut que tu avoues tous tes petits secrets.

— Mes petits secrets, répéta la prisonnière avant de se mettre à rire à grands éclats. Quelle triste ironie !

— Es-tu devenue folle ma parole ? Ce n'est pas drôle ! Une fois que les légionnaires se seront repliés, Ivar ne manquera pas de venir te rendre visite. C'est un boucher, il te fera cracher le morceau.

— Je ne me souviens de rien. Je me suis réveillé dans cette cellule sans savoir où je me trouvais ni pour quelle raison. Même mon propre nom m'échappe.

— Par la grâce d’Améthiel... — Il se retourna, perplexe — Te voilà dans de beaux draps. Vraiment rien ? Les Foudres de guerre ? La vie au fort ? — Il hésita — Mon secret ?

— Le néant, fit-elle en opinant le chef. Même voir mon visage dans le reflet d'un miroir me ferait l'effet d'une parfaite étrangère.

— C'est vrai que tu me sembles différente. Je comprends mieux. Cela ne va pas plaire à Ivar... Peut-être pourrais-je t'aider à te remémorer tes souvenirs ? Rien ne presse. Personne ne viendra nous déranger avant un petit moment avec ce foutu siège.

— Je ne risque pas de bouger d'ici de toute façon.

— Toujours le sens de l'humour. Enfin quelque chose que je reconnais.

— Quel est mon nom ?

Le jeune blond s'exécuta. Trois syllabes sortirent de sa bouche. L'espace d'un instant, elles raisonnèrent dans l'esprit de la prisonnière. Oui il s'agissait bien de cela. Trois syllabes.

— Maintenant parle-moi de la dernière chose dont tu te souviens.

La prisonnière répéta à voix haute son propre nom, puis tout à coup, telle une formule magique, de fines gouttelettes commencèrent à pleuvoir dans le désert de ses souvenirs. Des images, des sons, des odeurs et des sensations se mirent à le peupler et y donner vie. De la crevasse asséchée naquit une oasis luxuriante. C'est ainsi qu'elle débuta son récit.

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