Chapitre un : Le pacte.

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24 décembre 1820

-GUILLAUME ! GUILLAUME !!

L'homme aux longs cheveux bruns retenus par un lien en cuir sur sa nuque, courait à travers les bois en criant le nom de son amant. Il courait, courait et parfois même, tombait rudement sur le sol. Mais il se relevait toujours et reprenait son chemin dans un grand affolement. Au village, Michel, son proche ami, lui avait dit que des hommes étaient venus chercher Guillaume sur son lieu de travail. Guillaume, l'homme qu'il aimait...

Enfin, il aperçut un corps allongé dans l'herbe. Son cœur rata un battement et il se figea l'espace d'une seconde avant de courir vers lui. On distinguait à peine ses beaux cheveux blonds tant ils se trouvaient emmêlés dans la terre et le sang. Ses yeux étaient clos. Et son si joli visage aux doux traits était devenu insaisissable. Mais il le reconnaissait à sa corpulence, ses vêtements et surtout, le médaillon qu'il lui avait offert et qu'il cachait toujours sous sa chemise. La chaîne semblait avoir été arrachée... Face à cette cruelle vision, il se laissa tomber à genoux près du corps immobile.

-André... gémit soudainement le jeune homme grièvement blessé.

-Ho, mon amour ! Je suis là, je suis là ! s'écria-t-il en attrapant doucement sa main glacée par l'air hivernal. Je vais t'emmener chez moi, ma mère te soignera ! Accroche-toi, je t'en supplie, mon amour ! Accroche-toi !

Son corps était couvert de sang et de coups. Ses yeux étaient gonflés et sa tempe saignait. Ce fut avec plein de précautions et de délicatesse que l'homme aux cheveux bruns glissa ses bras sous son corps blessé et le souleva. Il marcha et marcha encore à travers les arbres qui lui paraissaient si gigantesques en ce moment, l'éloignant de la demeure familiale. Mais il ne se laissa pas déstabilisé ni même fatigué. Il ne fit aucune pause et ce fut en sueur malgré le froid glacial, qu'il arriva enfin sur le terrain rempli d'animaux qui devançait la grande maison.

-MÈRE ! MÈRE !

Une femme d'une cinquantaine d'années aux traits marqués par la fatigue et aux très longs cheveux bruns laissés libres sur ses minces épaules sortit de la maison. Son regard surpris se posa sur son fils puis sur celui qu'il portait. Elle le reconnut et affolée, courut vers eux.

-Il faut que vous m'aidiez !

-Vite ! Amène-le au chaud ! ordonna-t-elle.

Il se dépêcha de se diriger jusqu'à l'entrée et mena son amant dans la pièce principale. Il le déposa avec douceur sur le sol devant le grand feu de cheminée qui brûlait. Sa mère arriva avec un oreiller et des couvertures, et l'installa plus confortablement.

-Qu'est-ce qui s'est passé ? Que lui est-il arrivé ?

-La famille Roussel ! Voilà ce qui s'est passé ! dit-il d'une voix pleine de colère en serrant les poings. La semaine dernière, l'aîné nous a surpris nous enlaçant au lac ! Mais je ne pensais pas qu'il répliquerait et surtout pas de cette manière si lâche ! Lui et ses frères sont venus chercher Guillaume... C'est Michel qui m'a prévenu ! Mais le temps que j'arrive, il était trop tard... Je l'ai trouvé inconscient sur le sol dans les bois...

Il regardait l'homme qu'il aimait plus que tout. Il était dans un tel état... Comment pouvait-on faire une chose pareille ?! Guillaume était quelqu'un de si doux, de si gentil ! Mais c'était sans doute pour cette raison qu'ils s'en étaient pris à lui ! Et certainement à cause du nom noble que lui-même portait grâce à son père. Il allait les tuer ! Les massacrer ! Il n'en avait rien à faire de ce qui lui arriverait après !

Une main se posa sur son bras et le sortit de ses pensées.

-Mon fils, ne fais rien. Je vois la colère s'emparer de toi mais si tu fais quoi que ce soit, si tu tues ces hommes, tu seras guillotiné ! Je refuse cela ! J'ai besoin de toi ! Tu es mon fils, mon précieux fils... dit-elle, les larmes envahissant ses yeux.

-Mère... S'il vous plaît, soignez-le !

-Je ferai ce que je peux, dit-elle en hochant la tête.

Les heures passèrent dans l'inquiétude. André ne quittait pas le chevet de son amant, lui tenant la main, l'embrassant, l'encourageant à ne pas le laisser dans ce monde cruel, à résister de toute ses forces. Il lui disait qu'il le protègerait et que ce qui s'était passé, n'arriverait plus.

Sa mère nettoya ses blessures et lui prépara une concoction à base de plantes. Elle lui prépara également une pâte qu'elle appliqua sur ses nombreuses plaies mais certaines étaient si profondes qu'elle ne savait pas si son onguent allait agir. Combien d'heures était-il resté à même le sol dans le froid, les vêtements arrachés ? Il semblait si affaibli... Le temps passait et il ne s'était toujours pas réveillé. Elle savait que ce n'était pas bon signe.

-André... appela-t-elle tristement.

-Non... Il va bientôt ouvrir les yeux. Ne dites rien, mère.

Elle s'approcha doucement et posa sa main sur son épaule. Des larmes coulaient sur le beau visage de son fils et de le voir, lui étreignait le cœur. Il restait une solution. La seule... Mais elle ne pensait pas qu'un jour, le moment arriverait où elle devrait lui en parler car il existait un prix trop grand à payer. Elle l'avait elle-même expérimenté...

-Je suis si désolée, mon fils... Mais il est de mon devoir de me montrer honnête. L'onguent et la concoction auraient déjà dû avoir de l'effet et je n'en observe aucun. Son souffle est de plus en plus faible... Il faut te rendre à l'évidence...

-NON ! JAMAIS ! cria-t-il en se dégageant durement de l'étreinte de sa mère.

Puis il sembla se calmer d'un seul coup.

-Alors... S'il s'agit de la fin... Il ne partira pas seul. Je mourrai avec lui.

Un frisson d'effroi traversa sa mère qui se recula. Il s'agissait d'une affirmation. Aucun doute ne subsistait dans sa voix. Elle savait ce qu'il lui restait à faire.

-Non ! Il existe un autre moyen...

Surpris, André se tourna vers elle, en ne lâchant pas la main de celui qu'il aimait.

-Il faut faire vite. Il ne reste plus beaucoup de temps, dit-elle en sortant de la pièce et se dirigeant à l'étage où se trouvait sa chambre.

Elle revint quelques instants après. Dans ses mains reposait un objet recouvert d'un tissu blanc. Une fois devant les deux hommes, elle le découvrit et apparut alors, une coupe sertie de petites pierres vertes et brillantes.

-De quoi s'agit-il ?

André ne comprenait rien. Il vivait le pire moment de sa vie. Il se sentait si perdu... Ça ne pouvait être réel ! Non ! Il était sans doute encore endormi et en plein cauchemar dont il voulait terriblement se réveiller...

Sa mère s'agenouilla à leurs côtés devant le feu qui crépitait.

-Comme tu le sais, le mariage entre ton père et moi était désapprouvé par sa famille, mes origines n'étant pas nobles comme l'étaient celles de ton père. Mais il m'aimait tant qu'il a accepté d'être déshérité et nous sommes partis. Avec ce qu'il avait mis de côté, nous avons acheté cette ferme, nous nous sommes mariés et avons vécu trois merveilleuses années.

Des larmes roulèrent sur ses joues. Son époux lui manquait tant. Il était douloureux de se rappeler ces souvenirs. Mais elle se le devait. Pour son fils.

-Je suis descendante d'une famille particulière... Ma mère... était soigneuse, les plantes n'avaient aucun secret pour elle et elle m'a transmis son savoir. Mais pas seulement...

Elle regarda la coupe qu'elle tenait.

-Cet objet est singulier. Il s'agit d'un calice qui a été forgé par nos ancêtres, il y a fort longtemps. Je ne croyais pas en ses pouvoirs jusqu'à ce que je l'utilise moi-même... Il y a maintenant plus de trente années, ton père et moi essayions absolument d'avoir un fils. Mais... Après trois ans de notre union, je n'étais toujours pas enceinte... dit-elle d'une voix cassée. Tu sais à quel point il est important d'avoir un héritier lorsque l'on porte le nom de ton père. Et même s'il était renié par sa famille, il sentait comme étant son devoir de donner un petit-fils à ses parents. Il espérait ainsi refonder les liens avec eux. Alors... J'ai fait ce que j'avais à faire. Je n'avais rien à perdre à essayer. Enfin... C'est ce que je croyais...

Elle posa le calice sur le sol, à côté de la main de Guillaume, celle qu'André ne tenait pas. Sous le regard perdu de son fils, elle sortit un poignard qui était caché dans le tissu qu'elle tenait et sans prévenir, attrapa la main du jeune homme inerte et lui trancha le poignet d'un geste vif.

-QU'EST-CE QUE VOUS FAITES ? cria André en se redressant.

Elle prit le calice et fit couler le sang à l'intérieur, avant de bander le poignet de l'homme inconscient.

-Donne-moi ta main. Je dois mélanger votre sang. Le calice reconnaîtra ton sang comme étant le mien et celui de tes ancêtres.

Il ne comprenait pas mais se laissa faire lorsque sa mère attrapa son poignet et qu'elle l'entailla. Il réagit à peine. Son cœur saignait bien plus que son corps...

Il regarda sa mère qui fit tournoyer le calice afin que les fluides se mélangent. Elle le porta ensuite aux lèvres de Guillaume dont elle avait soulevé la tête afin que le liquide coule plus facilement dans sa bouche. Les lèvres si pâles de son bien-aimé se colorèrent de rouge.

-Bois, ordonna-t-elle ensuite à son fils en lui tendant le calice.

Il aurait pu obéir à n'importe quel ordre, tant il se sentait vide, sans plus aucune volonté. Alors, il but deux grandes gorgées de son sang et de celui de son amant. Une fois fait, sa mère lui reprit l'objet dont il lui sembla que les pierres brillaient encore plus, désormais.

-Par votre sang, votre union est consommée. Que désires-tu le plus au monde, mon fils ?

-Je veux... Tout ce que je désire le plus est de vivre auprès de l'homme que j'aime. Je veux que Guillaume soit à mes côtés pour toujours !

Sa mère prit le poignard et s'entailla à son tour le poignet. Le fluide pourpre coula et se mélangea aux autres. Puis elle souleva la coupe qu'elle tenait fortement entre ses deux mains dont les doigts étaient croisés comme cela était le cas lorsqu'elle priait.

-Que ma famille en soit témoin ! Qu'elle exauce ma prière ! Sit is amor durare aeternum* !

André entendit Guillaume gémir. Il se pencha aussitôt vers lui.

-Mon amour ! Mon amour ! Je suis là ! C'est moi, ton André !

C'est alors qu'il vit son bien-aimé expirer son dernier souffle avant que sa poitrine ne donne plus aucun signe de vie.

-Non... Non ! GUILLAUME ! NON ! NE ME LAISSE PAS ! Mon amour... dit-il d'une voix brisée en éclatant en sanglot.

-Je suis désolée... murmura sa mère.

-QU'AVEZ-VOUS FAIT ?! cria-t-il en la regardant avec haine.

Il n'attendit pas sa réponse. À quoi bon ? Le sort avait décidé de son destin. Il savait ce qu'il lui restait à faire. Alors, il attrapa le poignard qui gisait sur le sol. Sans hésitation, il leva les bras, et de toute sa force et avec rapidité, les dirigea jusqu'à sa poitrine qu'il transperça dans un cri de douleur, avant de s'effondrer sur le sol... Il entendit à peine le hurlement de détresse que poussa sa mère et qui se fit entendre à travers l'obscurité de la nuit...

*= Que cet amour perdure pour l'éternité !

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