Les interminables embouteillages étaient pour le moins inhabituels à une heure aussi tardive. D'après la radio, il s'agissait d'un accident s'étant produit quelque part en aval, un chauffard s'étant endormi au volant et provoqué un carambolage. Jules imaginait sans peine l'auteur de ce désastre comme étant ivre. Après tout, Jules lui-même n'était pour ainsi dire pas à son premier coup sous le nez. Une beuverie entre potes, tant pour célébrer l'anniversaire de l'un d'entre eux que pour Jules célébrant son divorce. Débarassé des deux fardeaux qui s'étaient accaparé de sa vie sociale, Jules avait enfin pu se réconcilier avec l'idée du temps libre, et ses vieux potes avaient été plus qu'heureux de l'accueillir chaleureusement à la fête, leur vieux comparse perdu aux méandres sinueux du mariage.
Maintenant, Jules se réconciliait avec la liberté salvatrice de la solitude. Pouvoir fumer une clope au volant sans le jacassement de sa femme enceinte, écouter la musique à fond, ou au contraire, l'éteindre pour plonger son regard au plus profond de l'abîme et s'offrir un moment d'introspection, laisser le silence s'installer, régner. Pas de "je peux conduire si t'es fatigué" ou de "tu peux t'arrêter à la prochaine aire d'autoroute ? J'ai envie de faire pipi." Seulement Jules, seul, avec la compagnie de lui-même, et personne d'autre.
Jules était seul. Enfin seul. Quand il y réfléchissait, cet enchevêtrement d'automobiles et de poids lourds s'apparentait à la cavalcade d'espoirs et de déceptions qu'avait été son mariage. Pendant toutes ces années, il lui avait paru que sa vie était arrivée à son point de stagnation, qu'il ne connaitraît plus jamais la joie, la fête, l'adrénaline de rouler à vive allure avec personne pour le sermonner sur cette vie qu'il avait choisi. Puis, un beau jour, elle avait enfin suggéré qu'ils n'étaient peut-être pas fait l'un pour l'autre. Et ainsi, en un seul instant, la circulation était repartie comme de rien, comme cette route se désengorgeant sous ses yeux.
Jules appuya sur l'accélérateur lorsque l'automobiliste devant lui se remit à avancer. Enfin, il était seul dans son Audi, libre d'aller où bon lui semblait, le monde pour itinéraire, un moteur rempli à ras-bord et personne sur le dos. Grelotant, Jules monta un peu le chauffage et accéléra.
Quand soudain.
"-Prend à droite à la prochaine intersection.
-AAAAAAHHHH !!!!!"