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Le lendemain matin, dès que la décence me le permit, je me précipitai chez les Sœurs de la Charité pour consulter les registres. Comme j’étais déjà venu la veille, la Mère Supérieure me regarda d’un air soupçonneux, se demandant visiblement ce que je venais faire réellement dans ce lieu. L’affaire de mœurs qui avait secouée son couvent le mois dernier était encore frais dans les esprits et il n’eût plus manqué qu’un prêtre vienne séduire l’une des religieuses pour que le scandale fût à son comble. Mais mon air sérieux et fermé sembla la rassurer de sorte qu’elle me conduisit dans la grande salle où je m’installais exactement au même endroit que la veille.

J’avais apporté avec moi quelques feuilles de papier ainsi que ma plume et mon encre afin de noter tous les noms des personnes que je devrais visiter : cela commençait à faire beaucoup. Afin de rentabiliser mon temps, je les regroupai par villages et ceux-ci par zones. Mes objectifs étaient clairs : savoir qui avait payé quoi en termes de casuel, et savoir si le Recteur avait fait des visites durant les six mois terribles que nous avions vécus.

J’écrivais rapidement car je voulais perdre le moins de temps possible mais mes gestes étaient nerveux et, à plusieurs reprises, je fis couler de l’encre sur le papier, ce qui eut le don de m’agacer et de rendre mes gestes encore plus fébriles. Je dus m’enjoindre de me calmer sous peine de voir ma liste de nom devenir illisible par endroits en raison des taches d’encre.

Au bout d’une heure environ, j’avais terminé. Tout en écrivant, j’avais réfléchi sur l’organisation de mes journées et il m’était apparu que je devais être rigoureux dans la planification de mes visites pour ne pas perdre de temps en allées et venues inutiles. Comme je l’ai dit plus haut, j’avais regroupé les villages par zones et comme la veille j’avais parcouru la route de Boistrudan, il me sembla logique de poursuivre par celle de Moulins qui partait elle aussi de l’église juste à côté de la précédente ; ce faisant, j’irai dans le sens contraire des aiguilles d’une horloge.

Je me dépêchai de ramasser tout mon matériel d’écriture et prit la route aussitôt. Il me faudrait presqu’une heure pour aller jusqu’aux confins de la paroisse sur ce chemin sans m’arrêter ; or, j’espérais bien au contraire faire plusieurs arrêts au gré de mes rencontres afin d’interroger les gens, ce qui signifiait que le temps m’était compté.

La route de Moulins était celle qui menait à la chapelle de la Croix Boüessée ; je passais devant celle-ci puis poursuivit en légère descente jusqu’à un pont : la Quincampoix que j’avais franchie la veille sur la route de Boistrudan, croisait à nouveau mon chemin. Sur le trajet que je m’étais fixé pour ce jour-là, il y avait de nombreux villages que je parcourus consciencieusement. Je rencontrais les habitants, tantôt dans leur maison, tantôt dans les champs et accumulais les témoignages.

Pour mon repas du midi, j’avais pris soin d’emporter dans ma besace un morceau de pain et de lard que je dégustai assis contre un tronc d’arbre. Je commençai à être las de marcher et me serai volontiers assoupi pour une petite sieste mais je me ressaisis. J’avais pour objectif de remonter le chemin de Moulins à Saint Aubin du Pavail jusqu’au village du Ballon où je bifurquerai pour rentrer au bourg de Piré, décrivant ainsi, à partir de mon point de départ du matin, un grand triangle qui englobait tout l’est de la paroisse. Le terrain y était relativement plat et dégagé de sorte que les chemins se révélaient à peu près praticables et que je finis ma tournée en fin d’après-midi, plus tôt que je ne l’avais imaginé.

Pour cette première journée de collecte d’informations, j’avais bénéficié d’un temps clément car de nombreux nuages blancs masquaient le soleil et en atténuaient la chaleur. Malgré tout, à mon arrivée au presbytère, je procédai à quelques ablutions car le temps sec des derniers jours avait transformé la terre des chemins en poussière et la marche soutenue que j’avais effectuée depuis le matin m’avait couvert de sueur. Ainsi rafraîchi, je pris le temps le faire le point sur les informations que j’avais glanées : si tous les jours ressemblaient à celui-ci, j’aurais de quoi constituer un dossier épais et solide avant la mi-août.

Le lendemain, je poursuivis ma ronde en repartant par la même route que la veille mais en me concentrant sur les villages situés sur ma gauche alors que le jour précédent j’avais fait l’autre côté. Puis, arrivé à nouveau au Ballon, je récupérai la route de Saint Aubin jusqu’au village de la Haltière où je tournai pour rentrer au presbytère. Le temps s’était à nouveau dégradé et il se mit à pleuvoir dès le milieu de matinée, pas grand-chose, juste un petit crachin. Cependant, ces fines gouttelettes se posaient délicatement sur les vêtements qui les absorbaient aussitôt et, tranquillement mais sûrement, le tissu se gorgeait d’humidité. Bientôt ma soutane fut trempée et me colla à la peau. A chaque pas, la toile devenue collante entravait mes enjambées si bien qu’au bout d’une heure, ma volonté devenant défaillante, je commençais à ruminer sur l’utilité de ma démarche. J’étais presque décidé à abandonner. Je sillonnais alors les villages les plus meurtris par l’épidémie et ce fut la douleur encore inscrite sur les visages des paroissiens qui me poussa à poursuivre ma quête. Leurs témoignages affirmaient tous que le Recteur n’avait jamais mis les pieds dans ce coin durant le drame : j’avais été le seul religieux à leur apporter soutien et réconfort et ma colère à l’égard de mon supérieur allait en s’amplifiant.

Le troisième jour, je pris la direction de Chaumeré et rentrai par les nombreux chemins qui parcouraient la paroisse à cet endroit-là. C’est à mon retour au presbytère, alors que j’étais bien fatigué de mes déambulations, qu’une vive altercation eut lieu entre le Père Hubert et moi-même.

Il m’avait convoqué dans son bureau et à peine y avais-je pénétré que l’orage éclata :

- Père Julien, on me rapporte que vous interrogez les paroissiens à mon sujet. Vous vous rendez compte de la gravité de votre comportement ? Comment osez-vous ? Allons, qu’avez-vous à répondre ?

- Père Hubert, ce n’est certes pas de gaieté de cœur que je me suis décidé à poser quelques questions mais il m’est apparu que vous n’aviez pas une attitude exemplaire : de nombreux témoignages spontanés m’ont poussé à m’interroger vous concernant et à vouloir rechercher la vérité

- Comment osez-vous me juger ainsi ! explosa t’il. Pour qui vous prenez-vous ! Vous n’êtes qu’un petit sacristain et sans la bonté de votre parrain, vous seriez même resté un misérable journalier, à peine mieux qu’un vagabond ! Alors je vous interdis de me juger vous entendez ? Et vous allez arrêter tout de suite de questionner les fidèles !

- Sinon ?

Tout en le défiant ainsi, j’avais redressé les épaules et je le regardai bien en face ayant réussi à capter son regard. Une fois de plus, nos prunelles se battirent en silence dans une lutte de volonté.

- Je suis prêt à écrire un courrier pour me plaindre de votre insolence à Monseigneur l’Evêque de Rennes et demander votre exclusion du clergé ; il ne tient qu’à vous que je le garde en ma possession

- Il y a peu vous disiez vouloir lui écrire mes louanges ; et maintenant, vous voulez vous plaindre : vous changez d’avis bien facilement, fis-je remarquer. En ce qui me concerne, je ne suis pas aussi versatile : je continuerai à agir selon ma conscience

- Je vous préviens, si vous persistez, ne venez pas vous plaindre de ce qui vous arrivera, vous l’aurez cherché et mérité !

- Serait-ce des menaces ?

- Prenez-le comme vous voulez, je vous aurai prévenu, c’est tout. Et songez à ce que vous deviendrez si vous ne faîtes plus partie du clergé : vous ne savez rien faire de vos mains, vous ne connaissez rien au travail des champs, vous avez peur des chevaux et ce n’est pas avec votre carrure ridicule que vous pourrez faire des travaux exigeant un minimum de force !

Tandis que nos regards continuaient à s’affronter ce que je lus dans le sien était bien loin de la bonté : à l’image des paroles odieuses qu’il avait prononcées concernant mon origine et mon physique, ses yeux brillaient de mépris. Ne pouvant en supporter plus, j’interrompis l’échange en lui souhaitant le bonsoir et en me retirant, profondément choqué, blessé, et humilié. Qu’il se plaigne de mon comportement à son égard, il avait raison car je portais atteinte à son autorité mais qu’il critiquât mes origines et mon physique auxquels je ne pouvais rien était inadmissible ; et, au lieu de me faire hésiter à poursuivre mes investigations, ces propos ne firent qu’attiser mon désir de compléter au plus vite mon rapport. Une haine viscérale montait du plus profond de moi avec l’envie de le voir réduit à rien, lui qui se sentait si visiblement supérieur à moi !

Ses paroles ignobles faisaient ressortir d’autres humiliations subies durant mon enfance que j’avais enfouies profondément : trop petit, trop menu, trop pauvre, trop gentil pour se défendre. Mon parrain, lui-même prêtre, avait cependant détecté ma capacité d’écoute et de compréhension et m’avait dirigé vers la voie religieuse qui pouvait me donner la place que je méritais. Mais aujourd’hui, les évènements me poussaient à agir selon ma conscience, peut-être au détriment de cette même place : l’avenir le dirait…

Fortement décidé à poursuivre, je me levai le lendemain, après une mauvaise nuit durant laquelle je n’avais cessé de me réveiller, les paroles du Recteur en permanence gravées dans ma mémoire et refaisant surface dès mon réveil.

Dans mes pérégrinations, j’en étais rendu au nord de la paroisse dont j’arpentai sans relâche les chemins, multipliant les témoignages. Tout se passa bien durant la matinée mais, à partir du début d’après-midi, je crus à plusieurs reprises que quelqu’un marchait plus loin derrière moi car il me semblait entendre comme un écho à mes pas. Cependant, à chaque fois que je m’étais retourné je n’avais vu personne. Le chemin était désert et tout semblait immobile aux alentours. Je tentai de me persuader que les paroles menaçantes du Recteur créaient une peur chez moi qui me faisait imaginer le pire mais cela ne me permit pas d’atténuer cette impression d’être épié et suivi.

D’abord ressenti comme une légère gêne, ce sentiment gonfla au fur et à mesure de l’après-midi et s’amplifia au point de me créer une boule au creux de l’estomac : j’avais peur. Mes jambes se mirent à trembler et mon cœur à s’accélérer au point que je dus faire une pause car j’étais incapable de continuer à avancer. Je choisis un talus contre lequel je pris place et fermai les yeux pour tenter de recouvrer mon calme mais j’obtins le résultat inverse car l’idée de ne pas voir ce qui se passait amplifia mon angoisse. Je rouvris aussitôt les yeux et jetai des regards affolés de tous les côtés : mais il n’y avait rien d’autre que le calme de la campagne. A droite comme à gauche, le chemin était désert : les herbes sauvages se balançaient mollement au gré de la brise et c’était le seul mouvement que l’on pouvait observer. Ce constat m’apaisa un peu. Dans le châtaignier au-dessus de moi, quelques moineaux chantaient, se répondant les uns aux autres. Levant la tête pour tenter de les apercevoir, je ne pus distinguer que le léger feuillage qui s’agitait lui aussi à la brise légère et sur lequel les rayons de la lumière du jour parsemaient des petites taches blanchâtres. L’ensemble respirait la paix et je commençai à me calmer.

C’est alors que j’entendis une détonation et presqu’aussitôt je ressentis une violente douleur à l’épaule gauche. Portant instinctivement la main à cet endroit, je la vis se couvrir de sang. L’idée qu’on m’avait tiré dessus émergea et je levai les yeux dans la direction d’où je croyais avoir entendu le coup partir et, alors que sous la douleur ma vue commençait à se brouiller, je distinguai nettement un regard brun et intense qui me scrutait, attentif à mes gestes ; puis l’individu disparut et j’entendis peu après un cheval partir au galop. Ensuite, terrassé par le mal, je m’écroulai.

Je restai ainsi un moment, incapable de bouger tant l’incrédulité de la situation et la douleur que je ressentais dans toute mon épaule me clouaient sur place. Puis, peu à peu, je tentai de recouvrer mes esprits : je ne pouvais pas rester comme cela ; il fallait que je me remette debout et que j’essaie d’arriver jusqu’à une habitation. Je n’étais pas très loin de chez Nicolas et je pouvais certainement y parvenir car, à l’endroit où j’avais été atteint, la balle n’avait pu toucher aucun organe vital. Il me fallait juste être un peu courageux, aller au-delà de la douleur et me forcer à me relever puis marcher cinq minutes, peut-être dix…

Je me remis debout en serrant les dents : une sensation de brûlure me déchirait l’épaule, accompagnée de lancements effrénés et, devant l’impression de vertige que je ressentis, je patientai quelques secondes, le temps que cela passe ; puis, je commençai à mettre un pas devant l’autre, puis un autre et un autre encore… Les oreilles bourdonnantes, la mâchoire serrée, les larmes aux yeux, tenant mon épaule meurtrie de ma main droite, je parcourus ainsi en sanglotant plus d’une toise avant d’arriver enfin dans la cour de la Chatterie. Là, une servante qui étendait du linge, me voyant arriver titubant et ensanglanté, se mit à hurler et alerta tous les habitants de la ferme : propriétaires et employés accoururent et stoppèrent net en me voyant.

J’imagine bien que voir un prêtre arriver dans mon état les choqua profondément ! Nicolas se détacha du groupe et vint vers moi, interloqué :

- Père Julien ? Mais que vous arrive t’il ? Vous êtes blessé ?

Incapable de lui répondre dans un premier temps, je lui tendis ma main droite pour qu’il voit tout le sang qui la maculait, puis je parvins enfin à balbutier :

- On m’a tiré… dessus…

- Quoi ? Tiré sur un prêtre ? Mais…

Il allait dire je crois « c’est impossible », mais il se rendit compte en même temps que c’était la vérité et il laissa sa phrase en suspend pour en commencer une autre, plus directive :

- Vite, Jean va chercher le chirurgien ; Louis, vient m’aider, on va l’emmener dans une chambre ; Renée, apporte de l’eau chaude pour nettoyer un peu le sang !

Me sentant enfin pris en charge, je m’abandonnai à leurs soins attentionnés, me laissant conduire jusqu’à un lit bienfaisant où des mains féminines déboutonnèrent le haut de ma soutane pour mettre la plaie à découvert et nettoyer le sang qui me recouvrait de l’épaule jusqu’au milieu de la poitrine ; on me fit m’allonger ; on me posa un linge humide sur le front, et je sombrai dans l’inconscient, épuisé par les efforts que j’avais fournis pour arriver jusque là.

Lorsque je me réveillai, je ne reconnus pas ma chambre et j’eus du mal à me rappeler où j’étais ; puis la douleur lancinante de mon épaule ramena mes souvenirs. Je voulus bouger mais aussitôt une sensation de déchirure me traversa et j’étouffai un cri de souffrance. Ma tête me lançait aussi, des coups sourds et réguliers. J’entendis bouger quelque part sur ma droite et l’on vint porter un verre à mes lèvres. L’eau fraîche et bienfaisante coula dans ma gorge.

- Reposez-vous encore un peu, Père Julien, c’est la nuit de toute façon

C’était la douce voix de Renée, la femme de Nicolas. Je fus obéissant et je me rendormis aussitôt.

A mon réveil le lendemain, j’avais les idées un peu plus claires. Bien que ressentant à intervalles réguliers des élancements qui partaient de mon épaule et se répercutaient jusqu’à mes doigts, je me sentais déjà mieux. Une servante m’apporta un bol de soupe épaisse que je bus lentement mais je m’interrompis bientôt car je sentais son regard posé sur moi. Je levai les yeux vers elle et je me rendis compte qu’elle me fixait, l’œil intéressé comme si elle n’avait jamais vu un homme boire une soupe puis, baissant à nouveau mes yeux sur le bol que je tenais de ma main valide, je m’aperçus que j’étais torse nu. Bien que le bandage qui enserrait mon épaule me barrât aussi toute la poitrine, mon autre épaule et une petite partie de mon ventre étaient nues et à découvert et sans doute cette pauvre servante n’avait elle jamais pensé que, sous ma soutane, il y avait un être en chair et en os : tout d’un coup face à elle, je n’étais plus un prêtre, j’étais un homme comme les autres et cela l’ébahissait. Je finis par en être gêné et lui tendis le bol sans le finir afin qu’elle s’en aille rapidement.

Peu après, c’est Nicolas qui arriva.

- Claudine m’a dit que vous alliez mieux, me fit-il en entrant. Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé ?

Je le lui expliquais : la dispute avec le Recteur, la sensation d’être épié, la détonation et la douleur, le regard attentif que j’avais surpris dans la végétation puis le départ d’un cheval au galop.

- Vous pensez que celui qui vous regardait est le même qui vous a tiré dessus ?

- Comment pourrait-il en être autrement ? S’il n’était pas coupable pourquoi ne pas m’avoir aidé ?

- L’avez-vous reconnu ?

- Je connais ce regard mais pour le moment je ne parviens pas à y associer un visage

- Vous croyez…

Il ne termina pas sa phrase, hésitant, mais je suivais parfaitement le cheminement de sa pensée et je répondis :

- C’est difficile de croire qu’il y a un lien entre ma dispute avec le Père Hubert mais, en même temps, quelle raison aurait-on de me tirer dessus ?

- Peut-être était-ce un accident ?

- Alors même question que plus haut, pourquoi ne pas venir me secourir ?

- Par peur, sans doute. Quand il s’est aperçu qu’il avait tiré sur un prêtre mais que vous n’étiez pas mort, il a pris peur de crainte qu’on le condamne ; la justice n’est pas toujours exemplaire, vous le savez…

- Peut-être, peut-être…

- Vous n’y croyez pas

Je soupirai

- Je ne sais pas Nicolas, il y a tellement de choses bizarres autour du Père Hubert. Et comment un accident serait-il possible en pleine campagne ? Il est interdis de chasser sur les terres à part pour le Marquis, donc comment peut-on tirer par erreur ? Et puis, il y a ce sentiment que j’ai éprouvé d’être suivi et épié

- Pour l’instant, je n’ai pas prévenu les autorités. Voulez-vous que je fasse appeler le Sénéchal et le sergent de la maréchaussée pour porter plainte ?

Tout d’un coup, à l’énoncé de ces deux personnes, je sus à qui appartenait le regard qui m’avait observé alors que j’étais blessé. C’était le même qui m’avait regardé enterré la tête et les ossements : le sergent d’armes !

- Non, ne les prévenez pas. C’est le sergent qui m’épiait, j’en suis sûr maintenant.

C’était très logique d’ailleurs : il faisait partie intégrante du groupe. Je commençais à avoir une idée précise de ce qui s’était passé pour l’individu dont on avait retrouvé la tête. Il avait surpris une messe noire où le Recteur, le Sénéchal et le sergent figuraient. Ayant été découvert, il avait tenté de fuir mais le sergent l’avait poursuivi et assassiné pour l’empêcher de parler. Quelques semaines plus tard, celui-ci était retourné chercher le corps dont il ne restait plus que quelques ossements puis le trio avait étouffé l’affaire : je me souvenais comme le Père Hubert m’avait dit qu’il n’y avait rien de plus à faire pour cet inconnu ; la façon aussi dont le sergent m’avait rétorqué, pour justifier l’enterrement à la va-vite de ce pauvre homme, que le Sénéchal avait pris note de tout ce dont il avait besoin pour une éventuelle enquête ; enquête qui n’avait jamais eu lieu.

Tout ceci m’apparaissait clairement ; il ne me manquait plus qu’à comprendre pourquoi le Père Hubert récoltait illégalement de l’argent sur les sacrements, bien que je supposais que ce fût pour acheter ce dont il avait besoin pour pratiquer les rites sataniques ; et aussi et surtout, le lien avec Marie l’accoucheuse et le décès de jumeaux que je ne parvenais pas à saisir. Et pour m’éviter de poursuivre mes investigations, on venait de me tirer dessus, soit pour me tuer, soit juste pour me faire peur puisque les menaces du Recteur ne m’avaient pas arrêté.

Tirer sur un prêtre ! Le mal les possédait bel et bien et rien ne semblait limiter leurs actes. Quelles autres atrocités pourraient-ils commettre si je n’arrivais pas à mettre fin à leurs pratiques ? Je devais à tout prix obtenir le retrait du Père Hubert !

Hanté par cette certitude, je n’acceptais l’hospitalité de Nicolas que quelques jours, pressé de me remettre à la poursuite des preuves. Il me raccompagna en charrette jusqu’au presbytère où les autres prêtres m’accueillirent avec effusion. Je sentis toutefois qu’ils étaient mal à l’aise : le conflit entre le Père Hubert et moi, dont ils avaient entendu la dispute quelques jours plus tôt, les dérangeait car ils ne savaient pas quel parti prendre ne sachant pas de quoi il retournait, à part le Père Ménard qui ne tarda d’ailleurs pas à venir me rejoindre dans ma chambre. Je lui fis part de mes derniers raisonnements :

- Mon dieu, fit-il, cela va trop loin

- Je suis tout à fait d’accord avec vous, c’est pourquoi je dois poursuivre mes efforts pour mettre un terme à tout cela

- Mais on a failli vous tuer !

- Je ne crois pas. Plus j’y pense, plus je suis persuadé qu’on a juste voulu me faire peur en me blessant.

- Et la prochaine fois, puisque cela ne suffit pas à vous arrêter, que croyez-vous qu’ils feront ?

Il avait raison, la prochaine fois, on essaierait de me tuer pour me faire taire… Je frissonnai à l’idée qu’on pourrait me trancher la tête à moi aussi mais je ne pouvais pas abandonner : des paroissiens croyaient en moi, attendaient de moi que j’éloigne les forces du mal ; c’était mon devoir de prêtre de lutter contre les idées de Satan ; prêcher le bien ne suffisait plus, il fallait arracher la gangrène pour que Piré retrouve la sérénité. Mes pensées allaient plus précisément vers Georgette Hamelin et Julienne Raboteux si douloureusement touchées.

Etant affaibli par ma blessure, j’avais obtenu de Nicolas le prêt d’une charrette et d’un cheval qui me permettrait de continuer mes allées et venues sans avoir besoin de marcher pendant des heures durant chaque jour. Je repris mes démarches le lendemain.

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