Amour éphémère - Partie 2

5 minutes de lecture

 Cassius se leva d’un bond en écartant la couverture. Il se prit la tête dans les mains et poussa un râle avant de dire à voix haute :

« - Je suis vraiment trop con ! »

 Il était évident que Pénélope avait voulu l’embrasser ! Il n’avait pas su saisir l’occasion, et elle avait dû croire qu’il n’avait pas envie, ou pire, qu’elle ne lui plaisait pas. Il courut jusqu’à sa chambre, revint sur ses pas, retourna le canapé et fouilla la couverture par terre à la recherche de son téléphone. Il lâcha un nouveau juron en réalisant qu’il l’avait oublié à la laverie. Il passa par la cuisine pour consulter l’horloge du four. Il avait un peu de temps avant de devoir aller au travail. Il pouvait peut-être aller directement chez Pénélope pour lui faire part de ses sentiments. C’était bien mieux qu’un SMS. Il fila à la salle de bain, se fit une toilette rapide, prit garde de ne pas mettre trop de déodorant, se brossa consciencieusement les dents et retourna en hâte vers sa chambre pour sélectionner la meilleure tenue. Puis il se rappela qu’il ne savait pas où habitait la jeune femme. Il fit deux tours inutiles sur lui-même, cherchant vainement une solution du regard dans ses affaires éparpillées au sol et sur son lit. Que pouvait-il faire ? Aller à l’université ? Pénélope n’y était que les jeudis. Quelqu’un pourrait peut-être lui donner son adresse ? Pourquoi le feraient-ils ? À la réflexion, Cassius préférait se dire que personne à l’université ne dévoilerait l’adresse d’une jeune femme à un inconnu juste parce qu’il la demande. Il n’avait pas d’autre choix que d’aller à la laverie récupérer son téléphone pour appeler son amie.

 Le jeune homme estima plus rapide de prendre le métro pour traverser les deux quartiers qui le séparaient de son travail, mais il était trop fébrile pour rester assis. Dès que la rame se stoppa à sa station, il malmena le bouton d’ouverture, s’engouffra entre les portes qui s’ouvraient et bouscula les personnes qui gênaient la sortie. Il grimpa quatre à quatre les marches pour remonter à l’air libre et courut jusqu’à la laverie. Son collègue de la journée leva des yeux étonnés sur l’horloge en le voyant passer la porte.

« - Qu’est-ce que tu fais déjà là ? Tu ne commences que dans…

- Mon téléphone, le coupa Cassius.

- Quoi ?

- Mon téléphone, s’il te plaît ! Je crois que je l’ai laissé ici. Tu l’as trouvé ?

- Ah oui, je l’ai mis derrière. »

 Cassius passa en vitesse dans l’arrière-boutique et faillit faire tomber son portable de la table tant il était impatient. Il voulait appeler Pénélope immédiatement, mais il vit au milieu des notifications de météo et de réseaux sociaux qu’il avait un appel manqué de sa part. Sur son répondeur, il n’entendait que la respiration de la jeune femme pendant quelques secondes, avant qu’elle ne raccroche. Il tenta de la rappeler, mais elle ne décrocha pas.

« - Pénélope ! commença-t-il avant de se rendre compte qu’il ne voulait pas exposer ses sentiments sur un répondeur. Je ne voulais pas… Je n’avais... pas compris… Il faut que je te voie. »

 En coupant la communication, il se rendit compte que son amie lui avait envoyé un SMS pendant qu’il parlait. Elle disait simplement :

Je ne peux pas parler pour le moment. J’ai besoin de réfléchir.

 En lisant ces mots, Cassius sentit toute son énergie le quitter. Il s’adossa au mur et se laissa glisser au sol. Il relut le message encore et encore. Il avait l’impression que Pénélope s’éloignait de plus en plus. C’était fini, il l’avait perdue. Il aurait voulu lui expliquer son hésitation, lui dire à quel point il tenait à elle, qu’il ne souhaitait rien de plus en cet instant que de l’embrasser et de la serrer dans ses bras. Mais il ne pouvait pas lui confier tout ça si elle refusait toute communication. Il hésita à lui demander son adresse pour en parler de vive voix, mais il ne souhaitait pas lui forcer la main. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était lui accorder le temps et l’espace dont elle avait besoin.

 Il était encore par terre quand son collègue le rejoignit quarante-cinq minutes plus tard pour lui annoncer qu’il avait fini son service et qu’il lui confiait la boutique. Il se releva mécaniquement et alla s’asseoir derrière le comptoir sans dire un mot. Son collègue lui souhaita une bonne nuit et il se contenta d’un signe de la main sans lever les yeux. Il resta immobile jusqu’à l’arrivée de son premier client. Il tenta d’engager la conversation avec ce dernier, mais après quelques mots échangés, il comprit qu’il n'y arriverait pas ce soir-là. Il était trop désemparé pour parler de choses anodines et futiles. Une seule pensée tournait en boucle dans sa tête. Pénélope. Il avait perdu Pénélope. Il s’assura machinalement que le client n’avait besoin de rien et retourna à sa place. Il prit ses écouteurs qui traînaient sur le bureau et se coupa avec soulagement du monde extérieur. Il n’avait pas la tête à suivre ses podcasts et sélectionna une playlist au hasard sur son téléphone. Il n’entendait pas vraiment la musique, mais elle atténuait un peu le vacarme de ses pensées.

 La soirée s’écoula ainsi. Cassius ne retirait son casque que quand c’était nécessaire et le remettait dès que possible. Aucun client ne s’attarda et il ne vit plus personne après vingt-trois heures. Il resta sur son fauteuil toute la soirée, ne se levant ni pour vérifier les machines ni pour laver le sol ou la vitrine. Il ne souhaitait qu’une chose, finir son service et rentrer chez lui. Il leva les yeux vers l’horloge au mur. Une heure cinq minutes. Le jeune homme sentit son ventre se contracter. Était-ce son inconscient qui lui avait fait regarder l’horloge à l’heure habituelle où son amie venait lui rendre visite ? Mais c’était inutile d’espérer. Pénélope lui avait clairement dit qu’elle avait besoin de temps. Et de toute façon, elle ne venait à la laverie que les jeudis. Il savait que rien n’était plus important pour elle que ses rituels.

 Et pourtant elle était là. Derrière la vitre opaque et l’enseigne incomplète, Cassius reconnut distinctement sa silhouette. Elle ouvrit la porte au moment précis où la grande aiguille de l’horloge passait du cinq au six, et Cassius se leva précipitamment en jetant ses écouteurs sur le bureau. La clochette au-dessus de la porte tinta et Pénélope entama un petit pas de danse en levant les poings devant son visage. Cassius sentit son cœur se gonfler et son estomac se nouer. Une vague de chaleur parcourut son corps et un frisson lui glaça l’échine. Pénélope. Pénélope était là. Elle était là, mais elle se comportait comme d’habitude. Il ne l’avait pas perdue. Elle était toujours son amie. Il ne l’avait pas perdue. Mais elle était toujours son amie. Il lui sourit, fit le tour du comptoir et s’avança vers elle, les poings levés lui aussi. Il lui sembla que chaque pas était plus difficile que le précédent tandis qu’il s’approchait d’elle et récitait rituellement :

« - Vole comme le papillon, pique comme l’abeille… »

 La jeune femme lui allongea un direct du droit dans l'épaule avant de conclure avec lui :

« - Et cogne mon gars, cogne ! »

 Puis elle lui lança un regard étrange, desserra son poing et l’attrapa derrière l’épaule avant de lui dire avec un sourire enjôleur :

« - J’ai une meilleure idée. »

 Elle l’attira contre elle et déposa ses lèvres sur les siennes dans un langoureux et voluptueux premier baiser.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0