Amour éphémère - Partie 1

5 minutes de lecture

 Affalé dans le canapé, enroulé dans une couverture de laine recouverte de miettes de chips, Cassius regardait sans la voir la télévision allumée sur un programme inconnu. Il était là depuis plusieurs heures, à réfléchir et ressasser les évènements de la veille. Une pensée en particulier revenait toujours. Pénélope. Pénélope qui l’avait serré dans ses bras. Ça s’était passé au petit matin, alors qu’ils venaient de rentrer à la laverie. Soulagés et heureux d’être revenus sains et saufs. Pénélope lui avait quasiment sauté dessus en riant. D’abord surpris, il lui avait rendu son étreinte, partageant son hilarité. Puis leurs regards s’étaient croisés et ils étaient devenus étrangement silencieux. C’est à ce moment que Cassius avait été frappé par la beauté de Pénélope.

 Bien sûr, il la savait objectivement jolie depuis la première fois qu’il l’avait vue. Mais elle n’était alors qu’une cliente, un peu timide de surcroît, et il avait donc gardé ses distances pour ne pas l’importuner. Il avait rapidement senti qu’elle avait l’habitude de rester seule, et que cela lui convenait. Mais contrairement à ce qu’il avait pu croire en la voyant quitter la laverie cette première nuit, Pénélope était revenue. À la même heure, très précisément. Il avait été un peu étonné de s’être trompé à son sujet, lui qui d’habitude cernait très rapidement le caractère des gens. Il l’avait saluée et s’était amusé de sa ponctualité. Elle s’était légèrement figée sur le pas de la porte, et Cassius avait compris que sa réflexion l’avait gênée. Certains clients n’aiment pas être reconnus et préfèrent que leur relation avec les commerçants ne dépasse pas la simple politesse. Il s’était excusé, mais Pénélope l’avait rassuré et lui avait expliqué qu’elle avait quelques petites manies. Cassius s’était montré très curieux, et contrairement à la première nuit, Pénélope lui avait parlé aisément, pendant plus d’une heure. Puis ce fut deux heures le jeudi suivant, et elle avait partagé le dessert de Cassius en lui expliquant son travail et ses études. Depuis, ils partageaient leur repas toutes les semaines et passaient plusieurs heures ensemble, en discutant ou en lisant chacun de leur côté. Ils étaient rapidement devenus amis et le jeune homme n’avait jamais pensé à leur relation autrement.

 Jusqu’à ce regard. Jusqu’à ce silence. Jusqu’à ce que Pénélope se penche presque imperceptiblement vers lui. Il était alors resté figé. Assailli par un tourbillon de sentiments contradictoires. Des dizaines de pensées différentes lui avaient traversé l’esprit en un instant. Cet instant qui s’étirait comme de longues minutes n’avait pas dû durer plus d’une seconde en réalité, mais cette seconde avait été suffisante pour que Pénélope recule son visage et s’écarte de lui. Avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, elle avait ramassé ses affaires en s’excusant et était sortie en vitesse de la laverie.

 Anesthésié par la surprise et la fatigue, Cassius était rentré chez ses parents à pied, sans se rendre compte qu’il était toujours torse nu. Il s’était écroulé de fatigue dans le canapé et n’avait même pas été réveillé par le tumulte habituel provoqué par ses petits frères qui se préparaient pour l’école. En ouvrant les yeux en début d’après-midi il avait constaté que quelqu'un, sûrement sa mère, lui avait ôté ses baskets et l’avait bordé avec la couverture du canapé. Il s’était levé pour un passage nécessaire par la salle de bain, avait bu au moins deux litres d’eau en se souvenant du soleil du désert, s’était préparé un plateau repas avec des restes de poulet froid et un énorme paquet de chips et était retourné se vautrer dans le canapé.

 Il y avait passé tout l’après-midi, avec toujours la même pensée en tête. Pénélope. Avait-elle vraiment voulu l’embrasser ? Il n’arrivait pas à croire que ce soit possible. Ils étaient amis, rien de plus. Et pourtant, quand il l’avait regardée, il avait bien senti… Pénélope. Elle ? Lui ! Seulement amis ? Et pourtant, quand ils étaient dans ces tunnels, elle avait dit… Ou juste sous-entendu peut-être ? Pénélope. Pénélope était dans ces tunnels avec lui. Il grimaça en se passant les mains sur le visage. Il l’avait mise en danger. Pénélope avait tout découvert et ça changeait absolument tout. Ou peut-être pas, après tout ? Au final, elle avait plutôt bien pris les choses. Elle s’était remarquablement adaptée à ces révélations. Tout son monde avait été chamboulé, elle l’avait dit elle-même. Avait-il le droit de lui faire ça ? De lui imposer ce mode de vie si étrange ? De lui faire courir de nouveaux risques ? Même si ce n’était pas lui directement qui l’avait mise en danger la veille. Au contraire il avait fait tout son possible pour la protéger du danger. Et elle avait fait preuve d’incroyables compétences de son côté. Il n’aurait pas cru ça d’une citadine pure souche comme elle. Il sourit en y repensant, avec une pointe d’admiration. Il se demanda s’il pourrait l’emmener dans un endroit plus accueillant la prochaine fois. Puis il se demanda s’il avait le droit d’utiliser les portails de cette manière. Le fait que Pénélope l’accompagne, le simple fait qu’elle soit au courant ne risquait-il pas de lui faire perdre sa place ? Personne n’avait jamais évoqué de sanctions, mais il était évidemment tenu au secret. Allait-il devoir choisir entre son emploi à la laverie et Pénélope ?

 Il regarda autour de lui. Que dirait-il à ses parents s’il perdait sa place ? Pourrait-il vraiment chercher un autre emploi, vivre une vie normale, sans plus avoir de contacts avec l’autre monde ? Puis il réalisa qu’il se posait les mauvaises questions. Il prévoyait déjà une vie avec Pénélope. Mais ils n’étaient pas ensemble. Il ne s’était même pas demandé s’il voulait être avec Pénélope. Il était sûr qu’il tenait à elle, énormément. Il ne voulait pas la perdre. D’une certaine manière, il était soulagé de ne plus avoir à lui mentir. Mais voulait-il être en couple avec elle ? Il repensa pour la millième fois à toutes ces choses qu’elle lui avait dites, en les analysant sous un angle différent. Pensait-elle toutes ces choses qu’elle avait dites sur lui, sur eux ? Il avait pris tout ça pour des plaisanteries entre amis. Mais il ne croyait pas que Pénélope soit du genre à retirer ses vêtements devant un garçon juste pour blaguer. L’image de la jeune femme en jupe et soutien-gorge domina l’esprit de Cassius pendant de longues secondes, avant d’être remplacée par celle de son visage penché vers lui, de sa peau pâle rehaussée par ses joues empourprées, de ses narines dilatées, de ses yeux mi-clos et de ses lèvres entrouvertes...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0