Indiscrets - Partie 2

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 Le pilier central, clé de voûte de la caverne, n’était pas plein comme ils l’avaient cru. Il était creusé de larges ouvertures semi-circulaire lui donnant l’aspect d’un kiosque à musique. Cependant ces trous avaient tous été obstrués par des tentures de tissu, ou peut-être de cuir tanné.

 Surpris de voir une telle installation dans une fourmilière, Cassius posa son index sur ses lèvres pour que Pénélope ne fasse pas de bruit. Il déposa son butin au sol le plus silencieusement possible et s’avança à pas feutrés. La jeune femme l’imita et sentit un frisson lui parcourir l’échine tandis qu’ils avançaient lentement. Sa sensation de malaise augmenta lorsqu’elle entendit une voix humaine s’élever derrière les rideaux. Les deux amis se baissèrent instinctivement et se glissèrent en silence près d’un des poteaux du kiosque. Ils soulevèrent une des tentures de quelques centimètres pour regarder à l’intérieur.

 Au centre de la pièce, une fourmi monstrueuse, plus grosse qu’un cheval, occupait presque tout l’espace. Sa tête hideuse bougeait frénétiquement de droite à gauche en répandant sa bave laiteuse, ses pattes recouvertes de poils et de piquants s’agitaient en creusant le sol sous elle, et son abdomen boursouflé tressaillait comme si elle était prise de convulsion. Paradoxalement, la créature n’était pas la chose la plus étrange qu’ils avaient sous les yeux. À ses côtés se tenait un homme hirsute, dont la nudité n’était cachée que par ses longs cheveux et quelques morceaux de carapace de fourmis. Il tournait autour de la pièce en marmottant, en frottant ses mains, tantôt s’approchant, tantôt s’éloignant de la créature, se stoppant pour regarder vers le plafond quelques instants, avant de reprendre sa marche saccadée.

« - Pas possible. Non, ça ne peut pas. Ils n’oseraient jamais… D’ailleurs qui pourrait ? Qui saurait ? Ils savent ? Non, pas possible, ils ne savent pas. »

 L’homme se répétait les mêmes phrases, de moins en moins distinctement. Puis il s’approcha de la fourmi et parla d’une voix plus claire :

« - Je ne peux pas croire ce que tu me dis. Tu dis qu’ils viennent pour moi ? Qui sont ces fous qui oseraient affronter le fils de Zeus ? Pas possible. Ou alors ils ne savent pas. Mais toi tu sais, n’est-ce pas, ma reine bien-aimée ? Tu sais ce dont je suis capable. »

 Tandis qu’il passait près de la créature, cette dernière frotta ses antennes sur son visage. L’homme s’avança, prit la tête de la fourmi dans ses mains, et sembla lui donner un long baiser. Les mandibules de la bête claquèrent et l’homme se recula d’un bond, avant de cracher du sang en riant.

« - Tu n’as rien perdu de ta fougue ma reine ! Mais ne teste pas ma patience. Tu sais ce dont je suis capable ! » répéta-t-il en hurlant.

 La reine se ramassa sur elle-même en émettant un sifflement plaintif.

« - Après tout, nous ne sommes pas ennemis. Nous nous aimons toi et moi. As-tu oublié tous les bienfaits que le fils de Zeus t’a octroyés ? Tu ne m’es donc pas reconnaissante pour tous ces magnifiques enfants, pour toute cette colonie que je t’ai offerte ? »

 Cassius n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait. Il ne savait pas si ce que cet homme racontait était possible ou s’il délirait complètement, mais il n’avait pas envie d’en savoir plus. Sa nature empathique lui permettait de discerner tout ce qu’il y avait de mauvais chez cet homme, et il n’éprouvait que de l’aversion pour lui. Un rapide coup d’œil sur l’expression horrifiée de son amie lui confirma qu’elle ressentait la même chose que lui. Il aurait voulu pouvoir faire demi-tour et l’emmener loin d’ici, mais il se rappela que sa boussole lui avait indiqué cette pièce, et que le portail pour rentrer chez eux ne pouvait que se trouver là. Prenant mille précautions, Cassius fit le tour du kiosque en gardant un œil sur la flèche lumineuse dans sa paume. Celle-ci indiquait distinctement le centre de la pièce. En revenant aux côtés de Pénélope, il lui murmura :

« - On va devoir trouver un moyen de les faire sortir tous les deux. Je suis quasiment sûr que ce qu’on cherche se trouve sous la fourmi.

- Tu crois que tu arriverais à parlementer avec ce gros taré pour qu’il nous laisse partir ?

- Peut-être qu’on peut les attirer de l’autre côté en faisant une diversion... »

 Le jeune homme s’interrompit, car il avait perçu un bruissement non loin. En tournant la tête, il constata que les fourmis de la colonie les avaient finalement retrouvés, et qu’elles s’approchaient, glissant rapidement sur tous les ponts dans leur direction, les encerclant à toute vitesse. Sans réfléchir, Cassius s’élança en courant vers leurs sacs pleins d’or. Son amie lui cria de revenir. Soudain l’homme nu surgit devant elle et la menaça avec une épée fabriquée à partir d’une patte de fourmi.

« - Je savais que j’avais entendu mes enfants ! Voyons donc ce qu’ils m’ont ramené. »

 Toujours accroupie au sol, Pénélope leva les mains en signe de reddition et, des larmes de peur au coin des yeux, tenta de calmer l’homme :

« - Je vous en prie, ne me faites pas de mal.

- Intruse. Intrigante. Es-tu folle de braver ainsi le fils de Zeus ?

- Je ne voulais pas… Je vous jure que je ne savais pas…

- Menteuse ! Pour ma colonie ! » hurla-t-il en brandissant son épée au-dessus de sa tête.

 Au même moment, il fut percuté à la tête par une grosse masse violette qui le déséquilibra et lui fit lâcher son arme. C’était Cassius qui lui avait lancé son t-shirt bourré d’or. Arrivant en courant vers son amie, il lui donna son t-shirt à elle et ramassa la patte de fourmi géante. Il lui tendit la main et la tira à l’intérieur du kiosque en vitesse. La jeune femme poussa un cri en se trouvant nez à nez avec la fourmi géante, et Cassius se plaça devant elle en brandissant son épée, prêt à la défendre. La reine poussa un long sifflement, mais ne les attaqua pas. En l’observant une seconde, Cassius constata qu’elle était couverte de blessures. Ses ailes semblaient avoir été arrachées et avaient laissé des cicatrices purulentes sur son thorax. Des cloques de brûlures parsemaient sa carapace, et sa patte manquante était sûrement celle qu’il tenait dans les mains en ce moment. Il comprit aussi qu’elle était retenue par des cordes, et au vu des escarres et des traces de liens sur son abdomen comprimé, cela devait faire très longtemps.

 L’homme hirsute les rejoignit en sautant à travers la tenture.

« - Ne t’approche pas d’elle ! »

 Pénélope lui lança son sac plein d’or, qu’il parvint cette fois à éviter en ricanant. Profitant de cette seconde d’inattention, Cassius abattit sa lame et trancha les liens qui retenaient la fourmi géante. Celle-ci eut un mouvement de recul, agita ses pattes et pointa ses antennes en direction de Cassius. Le jeune homme déposa son épée au sol et recula d’un pas en courbant le dos.

« - Ma reine, protège notre colonie ! » hurla l’homme avec des yeux exorbités.

 La créature les domina de toute sa hauteur en agitant ses pattes avant et en faisant claquer ses mandibules. Puis elle sauta par dessus les deux amis pour fondre sur son tortionnaire. Voyant un glyphe gravé au sol là où se tenait la fourmi une seconde auparavant, Cassius fit scintiller son tatouage magique, attrapa la main de Pénélope et activa le portail qui allait les ramener chez eux. Tandis qu’ils étaient aspirés par le puits de lumière, ils n’eurent que le temps de voir la reine fourmi saisir son bourreau de son énorme gueule et l’emmener à l’extérieur, où ses hurlements se mêlèrent aux sifflements de la colonie.

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