Piégé, la main dans le sac

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 Pénélope courait aussi vite que ses Docs à talons le lui permettaient. Elle avait un peu de mal à maintenir son équilibre entre sa sacoche qui contenait son ordinateur et tous ses livres de cours, et son sac de sport avec son linge sale de la semaine. Si seulement elle n'avait pas raté le dernier métro. Et ça s'était joué d'à peine une minute ! Elle avait entendu la grille se fermer alors qu'elle posait le pied dans l'escalier. Elle avait dévalé les marches en criant, mais l'employé s'était éloigné sans répondre. Elle l'avait supplié en secouant les grilles, mais il s'était contenté de lui adresser un sourire sadique avant de disparaître au détour du couloir. Elle lui aurait volontiers fait sauter toutes les dents à ce chefaillon de gare pitoyable.

 Résultat, elle avait dû venir à pied depuis sa fac jusqu'à " la vingt-quatre quatre ". Heureusement ce n'était pas très loin. Elle avait peu de risques de faire une rencontre désagréable. C'était surtout par flemme qu'elle prenait d'ordinaire le métro. Par flemme, et aussi pour être sûre d'arriver à l'heure. Son ami Cassius, qui travaillait à la laverie, s'était souvent gentiment moqué d'elle pour ça. Après tout, il était là toute la nuit, et la boutique elle-même, comme son néon cassé ne l'indiquait plus, était ouverte sans interruption. Alors pourquoi fallait-il qu'elle passe absolument cette porte et qu'elle fasse tinter la petite cloche désuète à une heure six minutes très précise ?

 Tout simplement parce que c'était l'heure qu'il était la première fois qu'elle était rentrée dans cette laverie en ce jeudi de la mi-octobre. Qu'elle avait réussi à revenir à la même heure la semaine d'après. Ainsi que toutes les suivantes. Et depuis elle se devait de suivre le rituel. Elle aimait ses habitudes. Certains disaient ses obsessions. Certains que ça dérangeait.

 C'était en grande partie pour ça qu'elle aimait vivre la nuit. Cela lui évitait de côtoyer trop de gens. Pénélope pouvait très bien ne parler à personne pendant une semaine, à part à ses étudiants, et cela lui allait très bien. Pourquoi alors faisait-elle une exception pour Cassius, avec qui elle passait plusieurs heures tous les jeudis ? Pourquoi ne l'avait-elle pas repoussé, comme beaucoup d'autres, quand il était venu lui parler ? Pourquoi n'avait-elle pas changé de laverie, pour être sûre de ne pas le revoir ? Elle aurait pu en trouver une plus près de son appartement par exemple, ce qui lui aurait évité un sacré trajet les semaines où elle ne dispensait pas ses cours.

 Malgré ses questionnements, qu’elle avait déjà ressassés cent fois, elle savait en réalité très bien pourquoi. Elle s’était longtemps voilé la face. Elle avait tenté de rationaliser, de garder ses distances. Mais il y avait une vérité qu’elle ne pouvait pas se cacher. Au delà de son évidente gentillesse, de son côté serviable, et de ses discussions intéressantes, Cassius avait un charisme certain.

 Alors qu'elle ralentissait l'allure en haletant, la jeune femme repensa à la semaine précédente. Il s'était passé un petit quelque chose. Son ami avait fait une remarque qui semblait anodine, mais ces quelques petits mots lui avaient fait très plaisir et elle avait senti son cœur s'emballer. Elle y aurait probablement pensé toute la semaine s'il n'y avait pas eu cet autre incident le même soir. Un client très étrange, à l'aspect menaçant, était venu à la boutique, et Cassius l'avait pratiquement mise dehors. Elle lui avait alors donné son numéro, et comme promis il l'avait appelée un peu plus tard pour la rassurer. Il lui avait également envoyé dans le week-end une photo de la chaussette qu'il lui avait volée, mais elle n'avait pas répondu. Cette sensation avec cet autre client la travaillait. Maintenant qu’elle avait son numéro, elle aurait pu appeler son ami pour en discuter avec lui, mais elle avait préféré attendre pour en parler de vive voix.

 En remontant la rue, elle consulta sa montre. Une heure et cinq minutes. Elle allait être à l'heure. Elle savait que Cassius l'attendait. Avait-il lui aussi repensé à leur échange ? Était-il vexé qu'elle n'ait pas répondu à son message ? Triturant les cordons de son hoodie rouge, elle s'impatientait de leurs retrouvailles autant qu'elle les redoutait. Elle retira sa capuche et arrangea ses cheveux multicolores avant de rentrer dans la boutique.

 Quand elle passa la porte, elle constata qu'un autre client était présent. Elle les salua Cassius et lui d'une voix mal assurée et elle vit un éclair de terreur passer dans les yeux de son ami. Le client attrapa quelque chose sur le comptoir et tenta de le fourrer sous son manteau de laine, mais il poussa un cri de douleur et la chose lui échappa. Sous les yeux stupéfaits de Pénélope, un lutin à la peau bleue électrique et aux immenses oreilles pointues s'envola en caquetant à travers la laverie.

 Ni Cassius ni son client ne semblaient étonnés par cette apparition. Ils étaient à l'évidence contrariés que Pénélope les ait surpris. La jeune femme avait envisagé des dizaines de scénarios pour cette soirée, mais ce qui l’attendait était bien différent ce tout ce qu’elle aurait pu imaginer.

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