Désert

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 Tournant le dos à son client, Cassius fit un pas vers son amie, se mordit la lèvre et bafouilla :

« - Pénélope je... Il n'est... Bonjour.

- Bonjour ? » répéta mécaniquement la jeune femme incrédule.

 Un blanc pesant se prolongea dans la laverie, seulement perturbé par la voix nasillarde du lutin qui continuait de chanter à tue-tête. L'homme au manteau de laine tapota maladroitement l'épaule de Cassius et lui demanda en pointant le plafond :

« - Voulez-vous que j'essaie de... »

 Le jeune employé hocha rapidement la tête en silence. L'homme se hissa pesamment sur le comptoir de bois et tendit les bras au-dessus de sa tête pour tenter de rattraper la créature. Ce fut comme un signal pour Pénélope, qui parvint enfin à bouger à son tour. Elle déposa au sol sa sacoche et son sac qui commençaient à peser lourdement sur ses épaules, se prit la tête dans les mains un instant, puis engloba la scène de ses bras ouverts en disant d'une voix forte :

« - Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?!

- Je peux tout t'expliquer.

- Nan, nan, le coupa-t-elle en secouant son index. Épargne-moi les phrases clichés de comédie romantique et répond-moi simplement. Qu'est-ce. Que. C'est ?

- Un lutin.

- Un netun en fait , précisa l'homme sur le comptoir.

- Ce n'est pas vraiment important, répliqua Cassius.

- Ça l'est si vous devez le soigner ! Les disparités entre les gnomidés...

- Elle n'est pas au courant, l'interrompit le jeune homme en haussant le ton.

- Au courant de quoi ? » questionnèrent les deux autres en même temps.

 Ils échangèrent un regard surpris, et Pénélope ne put s'empêcher de pouffer de rire. Le netun rit à son tour par mimétisme, et son maître profita de son inattention pour le plaquer contre le mur. En redescendant du comptoir avec la créature dans la main, il redemanda :

« - Pas au courant de quoi ?

- De ce que je fais ici, répondit Cassius les dents serrées.

- Alors pourquoi l'avez-vous laissée entrer ?

- Qu'est-ce que tu fais ici exactement ?

- Je ne savais pas qu'elle allait venir.

- Bien sûr que tu le savais ! Je viens toujours à la même heure ! s'exclama la jeune femme.

- Vous l'avez fait exprès ? s'alarma le client.

- Bien sûr que non, lui répondit-il, avant de se tourner vers son amie. Je n'ai pas vu l'heure qu'il était. »

 Il avait bien du mal à jongler entre les deux conversations, et ses interlocuteurs ne lui facilitaient pas la tâche. L'homme au manteau de laine rassembla ses affaires nerveusement.

« - Je croyais que nous serions en sécurité ici.

- Et vous l'êtes ! Je ne m'attendais pas à ce qu'elle débarque... »

 Pénélope lâcha un nouveau rire nerveux.

« - Excuse-moi d’être venue laver mon linge ! Mais c’est sûrement moi qui me suis trompée, railla-t-elle avec une pointe d’agressivité. Je suis vraiment trop conne d’avoir cru en voyant toutes ces machines que je rentrais dans la laverie de mon ami et de ne pas avoir pensé que j’allais te déranger en pleine transaction dans ta petite boutique des horreurs !

- Non, non, je vois bien que c'est moi qui suis de trop, répliqua le client. Votre prédécesseur m'avait habitué à plus de professionnalisme. Ne vous dérangez pas, je connais le chemin. »

 Il se dirigea vers le fond de la laverie et s'approcha de la plus grosse machine de la boutique. Après avoir fouillé ses poches quelques instants, il en sortit un jeton qui brillait d'une lueur étrange.

« - Ne faites pas ça ! C'est moi qui dois... » commença Cassius, mais il était déjà trop tard.

 L'homme avait introduit son jeton dans la machine et tourné plusieurs fois les boutons. L'énorme bloc de métal se mit à trembler et vrombir. Le tambour tourbillonna à toute vitesse jusqu'à ce qu'une éclatante lumière jaune en jaillisse.

« - Oh non, ce n'est pas bon. » se lamenta le jeune caissier.

 Le hublot de la machine s'ouvrit subitement dans une explosion silencieuse qui éclaira toute la pièce, une violente bourrasque les déséquilibra tous les trois, puis il y eut un appel d'air vers l'ouverture dans la machine. Cassius saisit fermement la main de son amie avant qu'ils ne s'envolent tous les deux et ne soient aspirés par le trou de lumière.

 L'instant d'après, Pénélope se sentit atterrir sur un sol meuble. Elle enfonça ses mains et ses genoux dans du sable doux alors qu’elle tentait de se relever. Elle était si déboussolée qu'elle accepta sans réfléchir la main tendue de son ami, l'exaspération qu'il lui inspirait quelques secondes auparavant s’étant envolée. Elle regarda autour d'elle et ne vit que des dunes à perte de vue. Un soleil caniculaire lui brûlait déjà la peau et l'aveuglait presque, alors qu'elle traversait la ville de nuit à peine quelques minutes plus tôt.

« - Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Nous avons traversé le portail, expliqua Cassius.

- Le ..? Mais où sommes nous ?

- Apparemment, pas au bon endroit. On aurait dû atterrir dans un endroit avec beaucoup d'eau avec la tessère du netun. J'étais sûr que cet imbécile s'était trompé avec les boutons. »

 La jeune femme sentit les larmes lui monter aux yeux.

« - Mais de quoi tu parles ? Pourquoi est-ce qu'on n’est plus à la laverie ? Pourquoi est-ce que je ne comprends rien à ce qui nous arrive ?

- Je suis désolé, je promets de tout t'expliquer. Et je te promets que nous ne resterons pas longtemps dans ce désert. Je suis désolé que tu aies été impliquée dans tout ça. »

 Pénélope ne lut que de la sincérité dans le regard de son ami. Elle esquissa un sourire timide. Sa vie routinière et bien calibrée était de plus en plus chamboulée par cet étrange garçon.

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