Une noctambule amicale - Partie 2

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 Après avoir fini leur repas, les deux jeunes gens avaient repris leurs études chacun dans leur coin. Cassius s'était installé mi-assis mi-allongé sur la rangée de sièges métalliques et avait repris son carnet sur ses genoux et son casque sur les oreilles, tandis que Pénélope avait pris possession de son fauteuil et avait étalé plusieurs livres et classeurs sur son bureau. Cette tranquillité studieuse fut troublée après un moment par l'arrivée d'un nouveau client. Ils le virent arriver avant même qu'il ne rentre dans la boutique, car il cacha la lumière des réverbères en passant devant la vitrine. Pénélope lâcha un petit cri de surprise quand elle vit son immense silhouette sombre apparaître dans l'encadrement de la porte. Il portait un long pardessus noir semblable à une cape, des gants en cuir noirs, et une écharpe lui couvrait le visage malgré le temps clément. Il était si grand que, quand il passa le seuil de la laverie, son chapeau vint frapper la clochette à l'entrée. Il se stoppa au milieu de la pièce et tourna lentement sur lui-même. Il étudia longuement les deux jeunes et leur adressa à chacun un salut de tête appuyé. Cassius se releva prestement et se plaça aux côtés de son amie derrière le comptoir.

« - Bonsoir monsieur, dit-il sur un ton qui se voulait professionnel. Avez-vous besoin de jetons ? J'en ai juste ici. »

 L'homme le toisa de toute sa hauteur pendant un long moment avant de sortir un tas de pièces de sa poche et de les poser sur le comptoir. Le jeune employé lui donna un jeton en échange, et l'homme se dirigea vers une machine dans le fond de la salle. Il retira simplement ses gants, révélant des mains puissantes à la peau tannée et aux doigts noueux. Il jeta les gants dans la machine et ferma doucement le hublot. Tout en le regardant faire du coin de l’œil, Cassius murmura à son amie :

« - Je crois que tu devrais y aller.

- Je n'ai pas envie de te laisser seul avec lui. Tu as vu ses mains ? demanda-t-elle d'une voix plus aiguë qu'à l'accoutumée.

- Ne t'inquiète pas tout ira bien. Prends tes affaires et rentre chez toi, s'il te plaît.

- D'accord, si tu promets de m'appeler plus tard.

- Je n'ai pas ton numéro, » lui fit remarquer Cassius.

 Pénélope lui saisit le poignet et lui inscrivit une série de chiffres dans la paume avec le feutre qu'elle avait à la main.

« - Très bien. Je t'appellerai demain matin.

- Non tu m'appelles dès qu'il est parti, ordonna la jeune femme. Ou si tu as le moindre problème.

- Je pourrais aussi t'appeler pour le simple plaisir d'entendre ta voix ? » demanda Cassius pour détendre l'atmosphère.

 La jeune femme le regarda en souriant, mais cela ne suffit pas à la rassurer. Néanmoins elle remit tous ses livres dans sa sacoche, rassembla ses vêtements dans son sac de sport, rabattit sa capuche sur sa tête et recula jusqu'à la sortie. Elle salua les deux hommes poliment, secoua la main à l'adresse de Cassius, et lui mima un téléphone avec le pouce et l'auriculaire en remuant ses lèvres silencieusement. Quand elle se fut éloignée dans la nuit, le jeune homme alla jusqu'à la porte et la verrouilla. Il se tourna ensuite vers son client et lui dit d'un ton agacé :

« - Vous êtes content de vous ? Vous l'avez effrayée ! »

 L'homme se contenta de grogner et de tourner la tête.

« - Non c'est trop facile ! s'emporta Cassius. Et regardez-moi en face quand je vous parle ! »

 L'homme tourna son visage vers le jeune homme, et ce dernier put voir que ses yeux étaient jaunes avec des pupilles rectangulaires.

« - Vous connaissez les règles pourtant ! Vous devez attendre qu'il n'y ait personne dans la boutique pour vous montrer. »

 L'homme grogna à nouveau et se leva de son siège. Il domina Cassius de toute sa hauteur et fit craquer ses mains calleuses aux ongles longs et sales. Puis il ôta son chapeau, découvrant ainsi deux cornes recourbées dont l'une avait été sectionnée au bout. Il fit également tomber son long manteau sur le sol, faisant apparaître un corps massif au dos voûté et recouvert d'une épaisse toison brune, de puissantes pattes arquées et une barbe brune fournie derrière laquelle on apercevait une paire de crocs acérés. Malgré son aspect imposant et terrifiant, la créature présentait des coupures et des griffures un peu partout sur le corps, et certaines semblaient très récentes.

« - Qui vous a fait ça ? C'est un des chasseurs de la guilde ? » questionna Cassius.

 La créature acquiesça d'un mouvement de tête qui lui arracha une grimace de douleur.

« - Vous êtes un krampus c'est ça ? Je dois pouvoir faire quelque chose pour vous. Vous avez votre tessère ? »

 La créature serra fermement son poing et quand elle le rouvrit, un jeton était apparu dans sa paume. Il avait la taille d'un jeton de lavage, mais il paraissait très ancien et semblait luire d'une aura étrange. Bien que son métal soit patiné, on pouvait encore deviner d'étranges glyphes sur chacune de ses faces. Cassius l'étudia un instant et répéta à voix basse, plus pour lui-même que pour la créature :

« - Un krampus c'est bien ça. Suivez-moi. »

 Le jeune homme se dirigea vers le fond de la laverie, le monstre sur ses talons, en direction de la plus grosse machine de la boutique. Il introduisit le jeton de la créature dans la fente et tourna les boutons selon une séquence bien précise. La machine se mit en route en grinçant et le tambour tourna de plus en plus vite. En quelques instants, c'est tout le bloc de métal qui vibrait et tremblait sur le sol. Soudain une intense lumière verte apparut à l'intérieur de la machine. Le hublot s'ouvrit d'un coup sec et la machine s'immobilisa aussi vite qu'elle s'était mise en route. La créature s'avança péniblement dans la pièce, se pencha en avant et quand elle passa sa tête dans le hublot, elle fut aspirée par le trou de lumière. Cassius jeta un regard en arrière vers la porte de la boutique, puis sur l'horloge au mur.

« - La nuit est loin d'être finie, » soupira-t-il avant de disparaître à son tour dans le halo lumineux.

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