Un vieux râleur - Partie 2

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 Joël revint une bonne dizaine de minutes plus tard, les cheveux plaqués en arrière et de l'eau plein la barbe.

« - J'en ai profité pour me passer un petit coup, annonça-t-il en frottant ses mains mouillées. Merde gamin chez toi non plus il fait pas très chaud, râla-t-il.

- Faut dire que tu es à moitié à poil aussi, répliqua le jeune employé.

- Ouais c'est pas faux aussi.

- Dis donc Joël, tu as mangé quelque chose aujourd'hui ?

- Rien de solide. Qu'est-ce que ça peut te faire ? T'es pas ma mère ! L'avait pas franchement la même tête que toi, tu vois, » s'esclaffa le vieil homme.

 Cassius se braqua un peu. Le sans-abri ne pensait probablement pas à mal, mais ce genre de remarques le dérangeaient. Il décida de laisser couler.

« - Tu veux un truc ? J'ai un client qui m'a ramené une boîte du traiteur tout à l'heure, mais j'ai déjà ma gamelle.

- De chez le bridé du coin de la rue ? Parce qu'il est bon cet enculé. »

 Cette fois-ci le jeune homme le reprit :

« - J'aime pas quand tu parles comme ça.

- Bah quoi ? J'ai dit qu'il était bon.

- Tu sais ce que je veux dire, le rembarra aussitôt Cassius.

- Faut pas le prendre pour toi, tu vois ? Tu sais que je t'aime bien toi.

- C'est pas une raison.

- T'as peut-être raison. Peut-être bien que je suis qu'un vieux connard. »

 Cassius savait que c'était ce qu'il obtiendrait de plus proche de paroles d'excuses. Il s'en contenta pour ce soir-là, parce qu'il savait qu'il ne pourrait pas refaire l'éducation du vieil homme en deux minutes.

« - Bon, tu la veux cette boîte ou pas ?

- Bah ouais carrément. Mais toi tu manges pas ?

- J'ai pas faim pour l'instant, il est trop tôt pour moi. »

 Le jeune homme réchauffa la gamelle au micro-onde dans l'arrière-boutique, puis la déposa sur le comptoir devant son convive. Tandis que ce dernier attaquait son repas, Cassius se chargea de mettre ses vêtements au sèche-linge. Il retourna ensuite s'asseoir avec le vieil homme, et ils discutèrent tout en faisant des parties de morpion sur son carnet. Quand ses affaires furent sèches, le vieil homme se rhabilla et remballa ses maigres trésors dans son chariot. Il ajusta ses gants et son bonnet et tira la porte en faisant tinter la petite cloche.

« - Bon bah merci encore pour le repas gamin. Et excuse-moi pour… Tu vois ?

- Ouais. Essaie de faire gaffe, lui conseilla Cassius.

- Ouais. Ah merde ! s'exclama le sans-abri en frappant sa paume avec son poing. J'ai oublié de te rembourser les jetons !

- T'inquiète pas je le note sur ton ardoise. Comme ça je sais que tu es obligé de revenir me voir.

- Ouais c'est pas con. Allez bonne soirée gamin. Laisse pas rentrer n'importe qui putain. »

 Cassius le salua d'un signe de main et secoua la tête d'un air un peu désolé. Il ressentait un petit pincement au cœur à chaque fois que Joël passait à la boutique, parce qu'il ne savait pas où le vieil homme allait passer la nuit, où même s'il le reverrait vraiment un jour. Il ne pouvait pas se permettre de le garder avec lui à la boutique toute la nuit, car il avait déjà importuné des clients sans vraiment le vouloir, et le patron avait reçu des plaintes. Cumulées aux ragots du quartier, cela avait forcé le patron à interdire à Cassius d'accueillir Joël. Pourtant le vieil homme s'était assagi au contact du jeune employé.

 Mais Cassius ne pouvait pas risquer sa place.

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