Une noctambule amicale - Partie 1

5 minutes de lecture

 Une nouvelle fois, le jeune homme reprit son balai et fit le tour de la boutique. Il remplit même un seau d’eau et de produit détergent et passa la serpillière. D’habitude il ne le faisait qu’à la fin de son service, quand il y avait eu beaucoup de passage, mais Joël traînait son chariot dans les pires endroits possibles et il avait laissé des traces qu’il valait mieux récurer tout de suite. Il s’appliqua d’autant plus qu’il était presque une heure du matin et qu’une de ses clientes habituelles allait bientôt arriver. Chez la plupart des gens la vie est faite de routine, toujours de routine. Le fameux métro-boulot-dodo. Les clients réguliers passaient tous plus ou moins les mêmes jours, à peu près aux mêmes heures. Mais chez Pénélope, cela confinait presque à l’obsession. Aussi, après avoir rangé son matériel d’entretien, Cassius leva les yeux vers l’horloge fixée au mur et décompta mentalement :

« - Dix, neuf, huit, sept… »

 Alors que la trotteuse passait sur le douze et que l'horloge affichait pile une heure et six minutes, une jeune femme passa la porte et fit un petit pas de danse au son de la clochette. Comme chaque fois qu'il la voyait, Cassius ne put réprimer un sourire tant il était émerveillé par son allure atypique. Elle portait ce soir-là une jupe crinoline noire sur des collants rayés noir et vert, une paire de Doc Martens à talons, une sacoche de facteur en cuir couvertes de badges par dessus un large hoodie à capuche rouge, et un nœud noir pailleté dans ses mèches de cheveux bleues et roses. Elle tenait également un vieux sac de sport complètement défoncé et aux sangles effilochées. Elle rendit son sourire à Cassius et s'approcha de lui en sautillant de gauche à droite les épaules légèrement rentrées. Le jeune homme leva les poings devant lui et commença à réciter :

« - Vole comme le papillon, pique comme l'abeille… »

 La jeune femme lui allongea un direct du droit dans l'épaule avant de conclure avec lui :

« - Et cogne mon gars, cogne ! »

 Après leur salut rituel, elle posa son sac de sport au sol et fit la bise au jeune homme.

« - Salut Cassius, comment vas-tu ce soir ?

- Plutôt bien. J'ai revu Joël tout à l'heure. Et toi comment tu vas ? Les cours se sont bien passés ?

- Pas trop mal. Je lance ma machine et je te raconte ça en mangeant ? J'ai pris des sushis ce soir. Tu m'as attendue j'espère ?

- Évidemment. »

 Le jeune homme alla chercher sa gamelle au réfrigérateur tandis que Pénélope remplissait trois machines en prenant bien soin de séparer les différentes couleurs et les différents types de tissus.

« - Tu sais que mes vêtements me durent vachement plus longtemps depuis que tu m'as conseillée, cria-t-elle pour que son ami l'entende depuis l'arrière-boutique. C'est rare les garçons qui s'y connaissent en lessives.

- Tu sais, c'est le métier qui veut ça, répondit Cassius en revenant dans la pièce. Et puis ma mère m'a montré deux-trois trucs.

- Oh c'est mignon, le taquina la jeune femme. Tu suis bien les conseils de ta maman comme un gentil petit garçon que tu es.

- C'est ça rigole, rétorqua Cassius, mais j'espère bien que le jour où tu verras ma mère tu la remercieras parce que sans ses conseils tu aurais rapidement flingué tous tes tutus de petite fille. »

 En guise de réponse, la jeune femme roula en boule l'une de ses chaussettes sales et l'envoya à la tête de Cassius. Ce dernier la déroula et découvrit les motifs de chatons qui la recouvraient.

« - Tu ne défends pas vraiment ta cause, tu sais ?

- Jaloux, répondit simplement Pénélope en tendant la main pour récupérer sa chaussette.

- Tu sais quoi ? Tu as raison. Je crois même que je vais la garder.

- Quoi ? Non allez déconne pas, rends-la moi. Il faut que je lance la machine ! »

 Mais Cassius ne l'écoutait pas. Il déchaussa une de ses baskets, retira sa chaussette noire et enfila la chaussette aux chatons à la place.

« - Tu n'es pas sérieux ? s'esclaffa Pénélope. Tu as conscience qu'elle est sale cette chaussette ?

- Ce n'est pas dramatique. Tu n'as pas couru un marathon avec.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne sais pas ce que je fais de mes semaines entre mes visites ici.

- La faute à qui ? Tu ne me racontes que tes cours.

- C'est la seule chose qui t'intéresserait dans ma vie.

- Peut-être pas, » répondit Cassius en haussant les épaules.

 Les joues de Pénélope rosirent légèrement et elle sourit en disant :

« - Tu as gagné je t'en fais cadeau. Elle te va mieux qu'à moi de toute façon. Mais tu n'auras pas la deuxième !

- C'est mieux si tu la gardes, concéda Cassius. Comme ça on sera liés par les chaussettes.

- C'est ça si tu veux, rit la jeune femme. Bon, maintenant que tu as assouvi ton grand fantasme, on peut se mettre à table ? Je meurs de faim ! »

 Cassius tira des chaises devant le comptoir et les deux amis s'installèrent côte à côte pour prendre leur dîner. Comme chaque semaine, ils discutèrent de ce qu'ils avaient appris chacun de leur côté. Cassius détailla les notes qu'il avait prises dans son carnet, et Pénélope lui résuma le cours qu'elle venait de donner. Doctorante en histoire, elle travaillait comme vacataire à l'université, et la plupart de ses cours se déroulaient en soirée. Elle aurait pu faire ses recherches et s'occuper de ses corvées en journée puis donner son cours avant de rentrer chez elle se coucher, mais la jeune femme aimait la solitude et préférait vivre la nuit. C'est pourquoi elle passait le plus clair de la journée à dormir puis se réveillait pour aller enseigner, après quoi elle avait toute la nuit pour mener sa vie. Une fois par semaine elle venait faire sa lessive à « la vingt-quatre quatre » et elle dînait en compagnie de Cassius. Bien souvent, cette petite heure avec lui constituait la totalité de ses échanges humains – hors professionnels – de la semaine. Et cela lui suffisait. Elle aimait beaucoup Cassius. Elle le trouvait gentil et drôle, et la passion du jeune homme pour la cryptozoologie lui permettait de penser un peu à autre chose que ses recherches, ce qui était très bénéfique pour elle. De son côté, elle se servait de ses entrées à la bibliothèque de l'université et de ses méthodes de recherche pour dénicher des textes anciens parlant de créatures mythologiques dont elle faisait des copies pour son ami.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0