Un vieux râleur - Partie 1

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 Cassius regarda sa montre. La nuit ne faisait que commencer. Il se leva, passa rapidement un nouveau coup de balai, rouvrit le hublot des deux machines que le client avait fermés pour éviter les moisissures, puis retourna derrière son comptoir. Il remit son casque sur ses oreilles et reprit son carnet sur ses genoux. Il prit des notes pendant une grosse demi-heure avant qu'un nouveau visiteur ne fasse son entrée dans la laverie. L'homme, blanc, la cinquantaine bien tassée, la peau piquetée de crevasses et la barbe mal entretenue passa la porte en râlant et en tirant un chariot de marché plein à ras bord. Il portait un long trench aux couleurs passées et un bonnet crasseux sur la tête. Cassius retira son casque juste à temps pour l'entendre débiter une bordée d'injures à l'encontre de son chariot.

« - Salut Joël ça fait longtemps que je t'ai pas vu, l'interrompit-il.

- Salut gamin, répondit l'homme avec un signe de main distrait tout en fouillant son chariot de l'autre main. Je clampinais dans un autre quartier. J'avais pris plusieurs remarques dans le coin et je voulais pas m’énerver contre ces connards. Tu me connais je préfère rester poli.

- Oui je vois ce que tu veux dire, répondit le jeune avec un sourire.

- Enfin bon, je traînais mes pieds dans le coin et je me disais que j'allais passer te dire le bonjour, tu vois ?

- Oui je vois, répéta Cassius. Tu veux en profiter pour laver un truc ?

- Bah maintenant que je suis là, tu vois, autant en profiter.

- D'accord, choisis une machine, je t'amène les jetons.

- Ah nan nan, pas cette fois. J'ai mon sac de pièces, je vais payer.

- Ne t'embête pas Joël, ça me fait plaisir.

- Ah écoute m'emmerde pas gamin ! tonna le vieil homme. J'ai dit que j'allais payer, tu vas pas me contrarier ! Faut juste que je retrouve mon sac de pièces au fond de tout ce bazar, tu vois ?

- Je vois, » répéta une nouvelle fois Cassius.

 Il se mordit la joue. Il ne pouvait pas s'empêcher de se calquer sur le tic de Joël.

« - Tu sais quoi ? Va t'asseoir pour fouiller tranquillement. Moi je t'avance les jetons, comme ça tu peux lancer ta machine tout de suite, et tu me rembourses dès que tu as trouvé ton sac.

- Bon d'accord on fait comme ça, » concéda l'homme.

 Il retira son manteau et le jeta sans prévenir au jeune employé, qui l'attrapa au vol juste avant d'être enseveli dessous. Il l'enfourna dans la machine la plus proche, et Joël vint mettre lui-même le reste de son fourbi. Il alla jusqu'à mettre les vêtements qu'il avait sur le dos, son pull, ses chaussettes et même son pantalon. Il retourna ensuite s'asseoir en caleçon et maillot de corps et reprit la fouille de son chariot. Il en sortit une quantité de petits sacs plastiques de toutes les couleurs qu'il disposa en tas sur les sièges à côté de lui. Il entreprit ensuite de les ouvrir un par un et de les refermer en commentant leur contenu sur un ton de plus en plus agacé.

« - Non. Ça non. Ça c'est quoi ? Rien à voir. Je l'ai encore ce truc-là ? Faudrait que je le foute à la benne un de ces quatre, releva-t-il tout en refermant le sac et en le remettant au fond de son chariot.

- Tu trouves ton bonheur ? le taquina Cassius.

- Ah écoute ne me presse pas sinon ça va m'agacer ! Je sais que c'était dans un petit sac marron. Un truc qui venait d'une bijouterie. Je l'ai mis là-dedans pour me rappeler que c'était précieux. Et puis c'est pas avec le peu qu'on me donne quand je me pose dans la rue que j'aurais besoin d'un plus gros pochon. J'ai bien deux-trois clients réguliers remarque. Des gens qui me donnent presque à chaque fois que je suis dans leur quartier, tu vois ? Comme quoi, il y a pas que des gros cons dans cette ville. Et puis avec les beaux jours, il y a plus de touristes. Mais ça attention, dit-il en interrompant ses recherches et en haussant le ton pour être sûr que Cassius l'écoute. Ça c'est à double coupant.

- À double tranchant ? hasarda le jeune homme.

- Ouais c'est ça, à double tranchant. Fais pas le malin merde, j'essaie de t'expliquer quelque chose ! Les touristes c'est bien parce que quand ils te donnent, ils sont plus généreux que les locaux. Peut-être parce que c'est les vacances alors ils font pas trop gaffe. Peut-être qu'ils veulent frimer en rentrant dans leurs pays en disant qu'ils ont carrément filé un bifton. Ou peut-être qu'ils veulent juste que tu dégages rapidement pour qu'ils prennent la belle photo de carte postale. J'en sais rien je juge pas, tu vois ? Mais avec les touristes faut être rapide, parce que sinon les condés ils te grillent et là c'est direct au fourgon. Souvent ils te balancent juste dans un autre quartier, là où il y a rien de joli pour les photos, comme ça t'emmerde pas les braves gens, tu vois ? Et des fois c'est au poste pour la journée. Remarque des fois le poste c'est pas plus mal, il fait un peu plus chaud et tu peux aller pisser comme un vrai civilisé. Tiens d'ailleurs sans vouloir te commander…

- Pas de problème Joël, tu connais le chemin. »

 Le vieil homme grogna un remerciement et quitta son petit tas de richesses pour aller dans l'arrière-boutique.

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