Un père dans le besoin - Partie 1

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« - Laverie 24H/ 4,» lut l'homme à voix haute, avec un petit rire de dépit.

 L'enseigne lumineuse incomplète, d'un jaune blafard, donnait le ton pour tout le reste de l'établissement. L'homme se pencha en avant pour lorgner à travers la vitre rendue légèrement opaque par des années de nettoyage plus ou moins consciencieux. Il fit un pas en arrière et considéra à nouveau l'enseigne d'un air dédaigneux. Il regarda inutilement la rue à gauche et à droite, puis sa montre, et soupira.

 Après tout, il n'avait pas vraiment le choix. Il ramassa le cabas qu'il avait posé à ses pieds et poussa la porte de l'établissement. Il fut surpris d'entendre le tintement d'une clochette au-dessus de sa tête. Sans qu'il ne se l'explique, ces deux petites notes métalliques le mirent instantanément en confiance. En y regardant de plus près l'endroit était propre, les machines à laver avaient l'air bien entretenues et il n'y avait aucune odeur désagréable.

 De l'autre côté de la pièce, assis derrière un comptoir, un jeune homme noir aux cheveux ras fit mine de retirer les énormes écouteurs qu'il avait sur les oreilles. L'homme leva rapidement la main pour lui faire comprendre que ce n'était pas la peine. Une petite moue, un sourire en coin, un signe du doigt interrogateur vers l’une des machines, la parfaite panoplie de la discussion non-verbale avec un étranger. Le jeune noir acquiesça d'un sourire, se rencogna dans sa chaise et reprit le carnet et le stylo qu'il avait posés.

 L'homme quant à lui se concentra sur sa tâche. Il s'approcha de l'énorme cube d'acier, ouvrit le hublot et y enfourna le contenu de son sac cabas. Il jeta un œil par dessus son épaule, mais le jeune noir n'avait pas levé les yeux de son carnet. C'était sans doute ridicule de sa part, mais il avait peur d'être jugé. Il n'avait pas l'habitude de s'occuper de ça et il se doutait que ses gestes le trahissaient. Tout ça à cause d'une panne de lave-linge. Il avait cru que cela pouvait attendre, mais il y avait dans ce sac le doudou et la couverture fétiche de son jeune fils recouverts de vomi, et avec eux l'assurance de passer une mauvaise nuit. Il avait proposé à sa femme de s'occuper du linge pendant que lui resterait à l'appartement pour veiller sur le petit, mais il était vingt heures trente passées, bientôt l'heure de l'allaiter.

 Voila pourquoi il se retrouvait là, fatigué de sa journée de travail et le ventre vide, à essayer de se rappeler ce que sa femme lui avait expliqué. Il dévissa le bouchon de son bidon de lessive et le remplit du liquide blanc et onctueux. Il resta une minute entière à considérer la machine avec son petit récipient à la main, sans savoir où le mettre ensuite. Il regarda une nouvelle fois vainement à gauche et à droite, puis sur le dessus de la machine, et rentra même presque entièrement son visage dans le hublot pour étudier l'intérieur. C'est alors qu'il entendit tousser derrière lui. Le jeune noir le regardait d'un air impassible. S'il avait l'envie – légitime pensa l'homme – de se moquer de lui, il n'en laissa rien paraître. Au lieu de ça il dessina un rectangle dans l'air avec son index et mima l'action de tirer un tiroir. Grâce à ses indications salvatrices, l'homme trouva le compartiment tant cherché et y versa sa lessive et son adoucissant ( il avait bien failli l'oublier mais s'était souvenu in extremis des recommandations de sa femme et avait rouvert le tiroir juste avant de lancer son cycle ). Une fois la machine en route, l'homme observa le tambour tourner pendant quelques instants sans bouger. La mousse fit son apparition, et ce fut pour lui comme un signal de départ. Il se mit à faire les cent pas, tournant autour des machines du carré central, balançant ses bras en rythme, revenant vers son cabas vide, observant les rares passants qui traversaient le champ de la vitrine dans la lumière du crépuscule.

 Son ventre grogna de façon assez peu discrète. Il posa une main dessus et vérifia du coin de l’œil si le jeune ne l'avait pas entendu. L'homme réfléchit quelques instants, compara sa montre et le minuteur de la machine à laver et prit sa décision. Au premier pas qu'il fit en direction du comptoir, le jeune employé fit glisser son casque le long de son cou, posa son carnet sur le bureau et se redressa avec professionnalisme.

« - Excusez-moi de vous déranger, commença l'homme timidement, mais je me demandais si vous pouviez, si ce n'est pas trop demander…

- Vous voulez que je surveille votre linge pendant que vous allez chercher quelque chose à manger.

- Si j'abuse, dites-le moi, s'empressa d'ajouter l'homme.

- Pas de problème monsieur, assura le jeune. On est là pour ça. Vous trouverez un kebab un peu plus loin dans la rue, indiqua-t-il en pointant son index gauche, ou un traiteur chinois si vous remontez toute la rue. Sinon le PMU au coin pourra peut-être vous faire un sandwich.

- Merci c'est très gentil de votre part. Je fais au plus vite c'est promis.

- Ne vous inquiétez pas. Je reste là toute la nuit.

- J'espère bien que ce ne sera pas mon cas, » répondit l'homme en riant et en passant la porte.

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