23/ LA FRUSTRATION DE L'HOMME : MATT

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Mon entretien avec Sandrine s’est révélé intéressant. Bon, j’ai eu droit à ses rituels de purification et de vérité, mais je m’y attendais. Avoir besoin de notre aide ne signifie pas qu’elle nous accorde toute sa confiance, et c’est réciproque.

Elle m’a écouté ; mais surtout, elle m’a surpris en acceptant ma proposition. Nous faisons le bon choix, nous en sommes convaincus tous les deux. Elle m’a également confié approcher de la solution. Sa rapidité m’impressionne. Il faut dire qu’elle n’a pas abandonné ses livres de la nuit. Elle veut en terminer avec le fléau, le plus vite possible.

Alors que je descends, plein de bonnes résolutions, la porte ouverte du garage m’intrigue. Quelqu’un aurait prévu de sortir ? En m’approchant, je reconnais les voix de Bob et Clément. Ça tombe bien, c’est lui que je cherchais. Ils préparent des cannes à pêche ! Ils me saluent d’un bref hochement de tête, et continuent leur tâche, sans plus d’attention pour moi. J’avoue que mon comportement de la veille n’encourage pas la communication.

- Vous allez au barrage ? demandé-je sur le ton du badinage.

- Oui, répond Bob sans relever les yeux.

- Je viendrai vous y retrouver si ça ne vous dérange pas. Il faut bien que je fasse ma part de travail.

Le rire débile d'une personne en manque de confiance en soi s'échappe alors de ma bouche. Il ne manquait plus ça. Clément s’est redressé et me toise d’un regard sombre. Il ne doit pas savoir que penser de ma proposition. À moins que Lana lui ait parlé de notre relation ? J’en doute. Je l'observe, tandis qu'il passe des accessoires sur le fil. Je suis impressionné par sa dextérité ; il maîtrise l'exercice, le gars !

- On te prépare une canne ? offre-t-il d'une voix un tantinet agressive.

- Volontiers. Si cela ne vous retarde pas.

Incertain quant aux regards que j'ai pu lui adresser, je préfère m'en aller.

- À plus tard, leur lancé-je avant de me détourner.

Je n’ai aucune envie d’aller pêcher. C’est un sport ennuyeux, trop calme pour moi. Je préfère de loin des activités plus viriles ; j’adore me mesurer aux autres, les impressionner en leur montrant que je suis le meilleur ; je me régale quand ils transpirent, alors que mon corps ne ruisselle d’aucune goutte de sueur. J’aime la compétition. Sauf celle à laquelle je fais face depuis peu de temps. Je suis en train de perdre pour la première fois. Je n’étais pas préparé à une lutte de sentiments.

Bref, aujourd’hui, je préfèrerais aller taper du malaforme qu’attendre qu’un abruti de poisson vienne se planter un hameçon dans la gueule !

Quoique je ne suis pas sûr de ce dont j’ai envie. Pour l’instant, seuls mes crocs me démangent. Je me retiens de les planter dans la gorge de Clément. Alors, si je fais des efforts, il va devoir se montrer un peu plus conciliant !

Quoiqu’il en soit, j’ai besoin de me ressaisir avant de tenter une nouvelle approche.

Lana a raison, j’ai anéanti tous mes efforts pour devenir un bon humain. Le désarroi dans lequel je sombre me pousse à retourner dans les salles où je l’entrainais. Ces souvenirs vont me faire souffrir, mais mes jambes sont bien décidées ; elles m’emmènent.

La salle des armes ; c’est là que j’ai reçu ma première décharge à son contact. Je lui faisais seulement essayer une arme. Mes yeux se posent sur l’arc ; quelles sensations étranges m’ont traversé quand je lui apprenais à s’en servir ! Et ce moment où elle essayait de détendre l’atmosphère en faisant le clown en face de moi ; je tenais mon épée en luttant contre un fou rire grandissant.

C’est douloureux de repenser à tous ces moments qui ont fini par faire de moi un homme, un homme avec des sentiments, un homme qui éprouve des sensations inconnues. En même temps, ces visions sont tellement agréables ! Toutes ces nouvelles émotions m’apportaient l’espoir, (encore un nouveau sentiment).

J’effleure le sabre, et de nouvelles images m’envahissent. Je revis cet entrainement avec tant de réalité ! Je sens encore son corps chaud contre le mien et son odeur qui m’enivre et ne me quitte pas.

Il faut que je sorte de là. Je vais aller me défouler sur les sacs de frappe dans l’autre salle.

Une fois de plus, mon choix s’avère malheureux.

Ma main n’a pas quitté la poignée de la porte que je la vois sur le rameur. Elle ne m’a pas entendu, elle me tourne le dos. Je devrais m’éloigner sans bruit, mais je suis comme hypnotisé. Je retiens mon souffle de peur qu’il ne vienne briser cet instant. J’ignore comment j’ai pu me rendre derrière elle, mais quand je sors de ma torpeur, je la regarde, si près, alors qu’elle stoppe ses exercices et attrape sa serviette. Elle va se retourner et me trouver là, tel un voyeur, tel un homme mal intentionné, mais il est déjà trop tard pour que je sorte. Même avec ma rapidité coutumière car elle la connait maintenant. Elle sursaute violement quand elle me surprend. Je suis tendu ; comment va-t-elle réagir ?

- Tu… es là depuis longtemps ?

Je choisis l’attitude sarcastique :

- Un petit moment. Je venais me changer les idées, mais tu étais tellement concentrée que je n’ai pas voulu t’interrompre.

- Je suppose que je dois te remercier. J’ai finis, tu seras tranquille.

Elle me dépasse. Elle s’apprête à sortir. Non, je ne veux pas qu’elle s’en aille !

- Attends ! Je… Je vais aller parler à ton mari. Je voulais que tu le saches.

Je me suis rapproché d’elle. J’ai tellement envie de la serrer dans mes bras, contre moi ! Je voudrais que nos corps se mêlent une dernière fois ; je rêve qu’au moment ultime, elle m’offre sa gorge pour que je puisse me griser de l’entêtant nectar qui coule dans ses veines. Je frémis à l’idée des petits cris qu’elle se permet et de son corps qui se cambre, qui me cherche plus loin, quand enfin, elle s’abandonne à la volupté.

Mais ces souvenirs doivent rester ce qu’ils sont, et surtout là où ils sont à jamais gravés, dans ma mémoire.

- Pourquoi lui raconter tout cela, Matt ? Quels bénéfices sortiras-tu de notre souffrance, à ma famille et moi ? Tu as détruit notre… amitié quand tu as tué tous ces gens !

- Holà ! On se calme, ma petite dame ! J’ai juste l’intention de faire connaissance puisqu’on doit cohabiter. (Le sarcasme laisse place à la frustration et à la colère). Et ma chère, celui qui a brisé notre… amitié, comme tu l’appelle, c’est lui ! Vous vous êtes retrouvés, tant mieux pour vous ! Mais garde tes leçons de morale, car ton honnêteté en a pris un sacré coup !

- Il y a un océan entre mon honnêteté et ta cruauté ! Il n’a jamais été question de plus entre nous. C’était juste une histoire de sexe, ainsi qu’une manière agréable de te nourrir. Je te rappelle que tu as pris ce que tu voulais sans me demander mon avis, sans tenir compte de mon refus ! Tu as profité de ma peine, de mes faiblesses ! Et tout cela n’a pu avoir lieu que parce que nous cherchions mon mari !!! L’issue pour toi et moi était inévitable et nous le savions tous les deux. Alors ne me fais pas porter la responsabilité de tes états d’âme !

Mes canines surgissent en même temps que ma fureur ; fureur provoquée par la douleur que m’infligent ses mots ; je la saisis à la gorge et la plaque contre le mur.

- Tu sembles avoir oublié quelques détails : à moins que je ne me trompe, tu as toujours aimé ça. Et je n’ai pas eu à te demander la dernière fois…

Ma rage est telle que je coure jusqu’à l’autre salle pour m’emparer du sabre. Je me précipite ensuite sur la clôture que j’escalade d’un bond. J’atterris au beau milieu des malaformes qui m’entourent déjà. J’exécute un tour complet sur moi-même, mon arme fermement maintenue entre mes deux mains. Je suis content de moi ; j’en ai décapité quelques-uns et j’ai réussi à éloigner les autres. Ils reviennent déjà à la charge, avides de sang frais. Je me jette sur ceux qui me font face, et d’un seul coup de lame, les coupe en deux. Trois sont définitivement hors d’état de nuire, les cinq animés restants sont maintenant dans l’incapacité de m’atteindre. En attendant, ceux auxquels j’avais tourné le dos se sont rapprochés d’un peu trop près. Et j’en aperçois de nouveaux qui arrivent, attirés par les grognements de leurs semblables. C’est la fête ; plus on est de fous, plus on rit ! Je saute par-dessus les bras qui se tendent vers moi pour garder une bonne distance entre les créatures et moi.

Mais d’où sort celui-ci qui saute du portail ? C’est mon frère ! Lui aussi a dû entendre le bruit et il vient me prêter main forte, muni d’une épée ! Ma sœur nous rejoint aussi avec un arc. Du haut de la clôture, elle vise le cœur des monstres et n’en rate aucun. Lorsqu’elle a utilisé toutes ses flèches, Jo ou moi les récupérons sur les cadavres pour les lui rendre. C’est incroyable ! Plus nous en tuons, plus il en apparait ! À cette allure, nous devrions avoir bientôt nettoyé tout le quartier ! Mais j’entends des chiens ! Pas ça, dans ma précipitation, je n’ai pas pris d’arme à feu ! Ils accourent par la rue perpendiculaire. Carole se déplace rapidement sur le mur pour les atteindre avant qu’ils ne débouchent sur nous. Malheureusement, elle ne parvient à toucher que les têtes, ou au mieux, les gorges des animaux.

Lana ! Elle est au pied du mur dans le jardin ; je ne la vois pas, mais je reconnais sa voix. Ma sœur saute la retrouver et réapparait quelques secondes plus tard. Elle nous envoie des armes à feu ! Bravo les filles, il était temps ! Les chiens sont à l’angle maintenant ! Jo et moi nous positionnons tels des cow-boys, mon frère, un pistolet à la main, une mitraillette dans les miennes. Et nous faisons feu sur les bêtes pendant que ma sœur éloigne les malaformes qui nous ont suivis. Alors que nous devons justement nous reconcentrer sur eux, un nouveau problème fait son apparition : Clément et Bob ! Il ne manquait plus qu’eux ! Je soupire et intime à ma famille de ne pas ébruiter la survenue des deux hommes. Si jamais leurs épouses les découvrent, elles vont devenir complètement hystériques !

Je les éloigne au plus vite, leur ordonnant de rester à l’écart. Je confie la mitraillette à mon rival, sans oublier de lui préciser qu’il faut économiser les munitions et qu’il ne doit appuyer qu’en cas de vie ou de mort ; bref, en cas d’absolue nécessité. Il a erré dans les bois, affronté ce fléau d’aussi près que tous les survivants, alors j’imagine que je n’ai pas besoin de lui rappeler que les tirs à répétition vont ramener de nouvelles créatures.

Je les quitte ainsi, Clément déterminé, Robert mort de trouille. Je dois aller retrouver mon frère ; il passe avant eux. Je ne les ai pas laissés démuni, on ne pourra me faire aucun reproche.

Il ne reste pratiquement plus que des demi corps au sol, mais encore suffisamment alertes pour essayer de nous agripper de leurs doigts crasseux. Carole et Jo s’en sont bien sortis. Mais c’est à moi d’achever les monstres. C’est moi qui ai créé cette guerre à l’entrée de ma maison. J’arrache l’épée des mains de mon frère et la plante dans la poitrine du premier être immonde que je vois. Et ainsi de suite. Jusqu’à ce que Clément m’imite avec un coutelas. Et jusqu’à ce que nous n’entendions plus que le bruit provoqué par nos propres respirations. Nous nous observons. Il est couvert de sang. Je dois reconnaitre qu’il n’a pas froid aux yeux. C’est ce qui leur a permis de survivre pendant tout ce temps, c’est sûr. Nous nous toisons toujours. Qu’attend-il ? Que dois-je faire ou dire ? Veut-il que je parle ? Que je l’attaque ? Je préfère faire demi-tour. La situation devient lourde de sous-entendus et je perdrai trop à me mesurer à lui. Lui aussi, mais il ne serait plus de ce monde pour le constater.

En franchissant le portail, je me rends compte que Lana nous dévisageait elle aussi. Je marque une pause à sa hauteur, lui lance un regard genre « une remarque à me faire ? ». Comme je ne parviens pas à déterminer si elle est en colère ou simplement surprise et devant son absence de réponse, je me dirige vers le puis. J’ai besoin de me laver.

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