24/ LA TORTURE : CLÉMENT

6 minutes de lecture

Bob et moi replions notre matériel. Nous avons eu quelques bonnes prises ; nous sommes ravis à l’idée de manger du poisson. Ça va nous changer des fruits.

Je me sens plutôt bien, même si je suis encore un peu stressé. Mes enfants sont en parfaite santé, j’ai retrouvé ma femme, je suis entouré de mes amis, nous avons un toit sur la tête et de quoi nous nourrir.

Seules ombres au tableau, les malaformes qui nous empêchent de vivre normalement, qui représentent une menace. Mais pour une fois, ils nous ont fiché la paix, ce matin. Un moment de répit fort appréciable.

Second point noir : Matt, l’être qui est train de me voler le cœur de ma femme.

Je suis soulagé qu’il ne soit pas venu nous rejoindre. Nous avons besoin d’une discussion, lui et moi, mais seuls. D’un autre côté, il ne m’inspire aucune confiance et je crains pour nos vies dès qu’il est dans les parages. Il n’était pas agressif, ce matin ; il a juste montré de la curiosité. Je dois cependant rester méfiant. Au fait, qu’est-ce qui l’a empêché de venir pêcher avec nous ?

Nous retournons vers la maison, tranquillement, en discutant de la meilleure façon d’accommoder nos poissons, dont nous ignorons d’ailleurs les noms. J’entends du bruit. Des grognements. Merde, ça faisait longtemps. C’était trop beau, ça ne pouvait pas durer. Je stoppe net, retenant mon ami de mon bras tendu. Reflexe inutile, car il s’est figé sur place. De ma main dans son dos, je le guide et nous avançons pas à pas, lentement, marquant une pause à chaque pas. Le vacarme provient de la maison. J’ai envie de me précipiter pour porter secours aux autres ; les battements de mon cœur s’emballent, mais Bob avance à reculons. Je suis obligé d’accentuer la pression sur ma main pour l’obliger à bouger. Merde, Bob ! Clyselle et tes enfants sont là-bas ! Je ne peux pas lui dire ça, mais j’ai envie de le secouer. Il faut qu’il réagisse, sinon nous allons arriver trop tard !

Matt surgit devant nous, il nous force à reculer, puis nous examine rapidement. Finalement, il me colle une mitraillette dans les bras, puis m’explique l’importance de ne pas attirer les monstres à nous, pour ne pas gaspiller les balles. Soi-disant qu’ils maitrisent la situation, devant la maison. Je ne bronche pas, surpris par tant de suffisance. Pour qui me prend-il ? J’ai ramené tous ceux qui composaient mon groupe, tous, sans exception ! Alors qu’ils en ont perdu deux ! Alors qu’ils avaient un abri sur et des armes, des vrais ! Nous, on a traversé la forêt, on s’est battu avec des armes de fortune, et pourtant on les a retrouvés, et on est toujours en vie ! Alors je crois qu’il n’a rien à m’apprendre sur la façon de gérer une attaque de malaformes !!!

Bob a repris un peu de couleurs. Je ne tiens plus. Je lui jette la carabine et fonce sur le coin de la rue pour montrer à ce connard que je vaux aussi bien que lui !

Quand je débouche à l’angle, seules quelques créatures sont toujours debout. Un amas de corps, sur le bitume, me sépare de Matt et son frère. Certains bougent encore, tendent les bras, comme s’ils pouvaient les allonger pour agripper la chair fraîche et se hisser jusqu’à elle. San réfléchir, j’escalade les cadavres et tranche toutes les têtes avec ma machette. Le manche glisse entre mes mains couvertes de sang. Je les essuie sur mon jean. Tout à coup, ma lame en rencontre une autre. Je relève la tête pour me heurter au regard surpris de Matt. Je suis aveuglé tout d’abord par le sang qui recouvre tout son visage. Son expression change quand il me reconnait. Il redevient curieux, mais avec une pointe de méfiance. L’instant d’après, je décèle de l’hostilité, voire du dégoût. Merde, alors ! C’est moi qui devrais être écœuré par ce type ! Je refuse de baisser les yeux.

Finalement, il se redresse et se détourne de moi. J’aperçois Lana. Elle nous observait sans doute depuis le début. Lui aussi l’a vue. Il s’arrête à sa hauteur quelques secondes, mais je n’arrive pas à interpréter leurs expressions. Finalement, il bifurque pour contourner la maison. Poussé par une impulsion, je me remets debout à mon tour, m’approche de ma femme sans la quitter des yeux, et sans un mot, pars dans le sillage de son amant. J’espère qu’elle a saisi mes intentions et qu’elle n’interviendra pas. Je sais que Matt est partit se débarbouiller au puits. J’en ai besoin aussi. Ça tombe rudement bien.

- Je peux ?

J’attends qu’il m’autorise à prendre un seau d’eau. Il acquiesce, sans un mot.

- Il faut qu’on parle, j’ajoute.

- Ah ? De quoi ?

- Lana. C’est ma femme, elle est la mère de mes enfants…

- Et ?

- Qu’est-ce que tu attends d’elle ?

- Rien.

- Alors qu’attends-tu de moi ?

- Rien.

Je n’y comprends rien ! Que cherche-t-il ? Comment le faire parler ? Cet homme, pardon cette… cet être m’exaspère ! Il joue au chat et à la souris. Essayons autrement :

- Tu l’aimes.

- Je ne sais pas.

- Comment ça, tu ne sais pas ? Jusqu’où serais-tu prêt à aller pour elle ?

Son visage se transforme. Je vois bien qu’il résiste, mais sa peau devient translucide, ses yeux sont cernés, ses lèvres gonflent…

- Tu veux savoir ce que je pourrais faire pour elle, hein ? Voilà ma réponse : te laisser en vie ! C’est ce que je fais pour elle ! Pour l’instant…

Je réponds du tac au tac.

- Et moi, je lui ai ramené ses enfants.

Malgré la haine que je lui inspire et sa colère, je décèle de la tristesse dans ses yeux. Il s’en va.

- Attends ! On a un problème à résoudre.

Il revient vers moi à grandes enjambées. Je l’ai peut-être poussé trop loin, il va me tuer, en se réjouissant de mon agonie.

- Tu veux quoi ??? Savoir combien de fois on a couché ensembles ? Si elle a aimé ça ? Comment je l’ai fait jouir ? Va te faire foutre, mec ; poses-lui la question directement. Une dernière chose : elle a choisi sa famille, alors je te conseille de prendre soin d’elle…

Il disparaît en un éclair. Ouais, lui aussi possède des dons. C’est un fils de vampire… Je ne le rappelle pas cette fois. Il m’a clairement averti de tout ce que je risque. Je dois parler à ma femme, il a raison là-dessus. Je vais souffrir, je le sais, car ses derniers mots équivalent à un coup de poignard.

Je la trouve dans la cuisine, avec Clyselle. Elles ont récupéré les poissons et les nettoient. Ma femme relève la tête à mon arrivée. Elle va droit au but :

- Alors, tu as eu tes réponses ? Tu es soulagé ? me demande-t-elle sur un ton agressif qui sert de masque à sa honte.

- Ne t’en prends pas à moi. Je peux te parler, seule, dehors ?

À contrecœur, elle dépose ses instruments et sort. Je la suis.

- Je t’écoute.

Elle a l’air résigné, blasé.

- Il a dit que tu avais fait ton choix.

- Clem ! Ce n’est pas aussi simple !

- Si, ça l’est ! Lui ou moi ? Répond, Lana !

- Je ne peux pas !

Son teint pâli, ses lèvres frémissent. Je reconnais les symptômes, elle craque sous la pression. Son corps entier est secoué par des tremblements et elle éclate en sanglots

- Vous êtes trop différents, mais en même temps si semblables ! Tu es la détermination et la sécurité, il est la force et l’aventure ! Je nous ai choisis, Clément, car je t’aime, et que ma vie, c’est notre famille ; toi, moi, et nos enfants ! Mais je n’arrive pas à lutter contre lui. Contre moi.

- Il t’hypnotise.

- Non ! Tu préférerais, n’est-ce pas ? Mais ça n’est pas le cas.

- Tu es consciente qu’il peut te tuer ? Tous nous tuer ?

- Alors pourquoi tu ne pars pas loin d’ici en emmenant les garçons ?

- Pour toi, Lana ! Pour toi.

Je baisse les bras et me réfugie à l’intérieur. Je suis en colère contre elle, qui n’ouvre pas les yeux, qui me trahit, qui me torture. Je voulais savoir, j’ai compris. Mais je ne l’abandonnerai pas. Après tout, elle nous a choisi, nous.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ysabel Floake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0