12/ LES INDICES : LANA

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L'intolérance de Matt face aux étendues d'eau ne nous laisse pas d'autre choix que d’emprunter le pont et de longer les files de voitures.

Comment savoir où sont allés les hommes que nous cherchons ? Quel chemin ont-ils choisi, la route ou la foret ? Nous avançons en profitant des rares ombres encore prodiguées par les arbres qui bordent la passerelle. Aucun malaforme à l'horizon, c'est surprenant. Matt pense que tous ceux qui erraient ici sont partis ailleurs, à la recherche de nourriture.

Mon cruel manque de sommeil et de sang enraie l'alignement de mes pieds, si bien que je trébuche tous les dix pas. À l'approche de l’aéroport, Matt m'accorde une pause dans un champ.

— Ferme les yeux. Même si tu ne parviens qu'à somnoler, tu te reposeras. Je te prête mes jambes en guise de coussin, propose Matt en s'asseyant dans l'herbe.

— Et toi ? Tu tiens comment sans dormir et sans te nourrir ?

— J’ai pris mon repas la nuit dernière, tu te souviens ? Il était très… stimulant, me rappelle-t-il sur un ton cristallin, accompagné d'un sourire charmeur.

Je repousse ces souvenirs qui affluent avec une saveur amère.

— Mais… tu n’as rien pris depuis.

— Serais-tu en train de me proposer mon goûter ? me taquine-t-il.

— N’y pense même pas !

J’ai droit à son petit clin d’œil. Lui se contentera de mon regard noir, qui, je l’espère, lui signifiera de ne même pas oser effleurer l’un de mes cheveux. Vu sa force, il se passera très bien de ma permission. Mon bras fera office d'oreiller. Je préfère garder mes distance et éviter de le tenter.

Je rêve encore. Un vampire me secoue et m’appelle. Il m’ordonne de me réveiller. En le regardant mieux, je m’aperçois qu’il s’agit de Matt. Sa voix est pressante, son visage tendu et ses yeux fixés sur quelque chose derrière moi. Mais je suis éveillée ! Il me dépasse après avoir attrapé son épée et sortit son pistolet.

— Prends tes armes et reste près de moi ! Dépêche ! m'ordonne-t-il d'un ton sec.

Des malaformes approchent, ils ne sont qu’à quelques pas ! J’empoigne mon sabre, m’empare de mon Glock et cours vers les créatures, la lame tranchante à hauteur de leur cou. Ils sont nombreux, au moins une trentaine. J’en tue quelques-uns, Matt aussi, mais il en reste encore beaucoup. Ils sont entre nous, maintenant, ils nous séparent. Ils ne doivent pas se disperser et nous entourer.

— Je les transperce, tu leur coupes la tête ! dicte le vampire.

C’est partit. Il maîtrise bien l’escrime, et se déplace agilement. Les malaformes ne l’approchent pas, ils ne peuvent même pas l’effleurer. Lui, par contre, les perfore en plein cœur, un par un, toujours en reculant. Je m’occupe d’eux quand ils touchent le sol. Au dernier coup de sabre, ma lame rencontre une pierre. Concentrée sur mon objectif, je ne vois pas les créatures se tourner vers moi, attirée par le son.

— Recuuuuule !!! m'adjure mon équipier en poursuivant sa besogne.

J'obtempère et brandit mon sabre, mais je ne leur fait plus grand mal. C’est tout juste si mon arme parvient encore à leur trancher un doigt. Dans la panique, monpied bute sur une racine qui dépasse. Je m'affale sur la terre sèche tandis queles êtres immondes se penchent au-dessus de moi. Maladroits, ils se bousculent et j'en profite pour placer ma lame au-dessus de ma tête. Je ramène mon bras complètement à droite dès que leurs visages immondes se posent sur le fer aiguisé et leur tranche la gorge. Leur sang pourri gicle, se déverse sur moi quand ils retombent, inanimés sur mon corps. Matt se précipite à ma rescousse. Il attrape les créatures agenouillées à ma tête et les envoie valser à l’autre bout du champ. Enfin, il me tend la main et m’aide à me remettre debout. Les malaformes qu’il a éloignés nous rejoignent déjà. Nous répétons la même opération.

Alors qu’il n’en reste plus qu’un ou deux à éliminer, un nouveau groupe surgit d'un bosquet. D'où viennent-ils ? Grâce à la longueur de nos lames, nous parvenons à nous en débarrasser assez rapidement. La jolie clairière n’est plus qu’un champ couvert de cadavres.I Il est tant de repartir.

*****

— Je suis épuisée, Matt, arrêtons-nous, s'il te plait, me lamenté-je quelques minutes plus tard.

— Si tu as besoin de repos toutes les demi-heures, on ne rattrapera jamais ta famille ! me répond-il, impatient.

— Mon état de fatigue intense vient d’où, d’après toi ? répliqué-je, outrée par sa facilité à oublier ma condition d'humaine.

Ses traits se détendent et un sourire éclaire son visage quand il suggère :

— J’ai bien une solution, mais elle ne va pas te plaire.

— C’est quoi ? demandé-je, vivement intéressée. Non ! Pas de démonstration, je le préviens, bras tendus.

— Je te donne du sang. Du mien, précise-t-il, sérieux cette fois.

— Pour que je sois ta soumise ? Même pas en rêve ! Continue, rentre chez toi, fais ce que tu veux, moi je retourne à l’ombre et je fais une halte.

Il soupire et secoue la tête avant de me regarder, le sourire aux lèvres.

—Tu sais aussi bien que moi que tu ne peux pas rester seule. Au fait, un simple merci pour t’avoir aidée tout à l’heure m’aurait suffit, attend-il, les mains sur les hanches.

— Ok. Merci. Maintenant va-t’en et laisse-moi tenter ma chance à mon rythme. Le tiens, je ne peux pas le suivre. Et si mon heure vient, et bien, je mourrai ou je me transformerai en l’une de ces créatures !

Je me détourne et repars en direction de la foret, quand ses paroles m'arrêtent et m'obligent à lui faire face :

— Non, gémit-il. Je ne veux pas être obligé de te tuer ! Pas de cette manière !

Il baisse tristement les paupières, c’est en tout cas l’attitude qu’il prend, mais a au moins le tact de ne rien ajouter. La conversation prend fin, ses intentions sont très claires. Sa dernière réflexion venait du fond du cœur, si on peut dire. Il finira par me détruire, d’une manière ou d’une autre.

Je m’enfonce dans les bois, sans un regard en arrière.

Un tronc d’arbre coupé me sert de siège pendant que je grignote quelques biscuits devant Matt qui m’a finalement suivie. Autant dire que l’atmosphère est tendue. Je n'ai plus rien à lui dire et il doit chercher un moyen de se rattraper. C'est impossible, on ne change pas le passé.

Cette pause me permet de nettoyer mon sabre et de vérifier le nombre de balles dans mon chargeur. Matt m’observe en silence, adossé à un arbre, en face de moi. Je l’ignore magistralement en dissimulant mon agacement et mes craintes. Je bois à la bouteille l’équivalent d’un demi-litre d’eau et croque dans un autre petits gâteaux secs à l’abricot. Qu’est-ce qu’ils sont bons !

De fins rayons de soleil parviennent à s'infiltrer entre les branches, et le chant de la nature apaise ma colère. Je perçois le doux friselis de la brise sur les feuilles, les oiseaux piaillent avec joie, régulièrement interrompus par le sifflement strident des criquets et autres animaux.

— Quelqu’un s’est arrêté ici, regarde.

Surprise, il me faut quelques secondes pour comprendre les paroles de Matt. Il me désigne des emballages de nourriture vides. Je me redresse si rapidement que mes yeux ne parviennent à se fixer nulle part. Ma tête tourne, mon corps vacille. Mon garde du corps se précipite et m’empêche de tomber. Je le repousse d'un geste rageux et, mon équilibre retrouvé, me lance à la recherche d’indices. Qui s’est arrêté ici ? Où sont partis les gens qui se sont nourris là ? Serions-nous sur la bonne piste ? Un morceau d’étoffe accroché à une écorce ! C’est un morceau du doudou de mon plus jeune fils ! Je m’en empare et laisse couler mes larmes. Larmes de joie ou de douleur ? L'espoir revient, mais mes pires craintes refont surface avec lui.

— Il est temps de continuer. On va les retrouver, m'assure Matt en me tendant la main.

Sans répondre, je sèche mes larmes et récupère mon sac ainsi que mes armes. Nous repartons en direction de l’aéroport, et croisons de plus en plus de malaformes. Par chance, leur nombre restreint dans de petits groupes épars, nous permet de nous en débarrasser sans bruit. Plus que quelques mètres et nous déboucherons sur la route qui mène aux parkings. Au fur et à mesure de notre progression, une rumeur gagne en intensité.

Nous traversons les parcs de stationnement en nous cachant entre les voitures ou derrière les arbres. Le brouhaha, oppressant, ressemble à un bourdonnement sourd. Nous nous rapprochons du bâtiment avec prudence mais aboutissons malgré tout devant un mur de créatures pour lesquels nous sommes des proies.

Epouvantés, nous devons pourtant partir d'ici sans tarder.

— Matt ! Qu’est-ce que tu attends ? On doit s’enfuir, ils sont trop nombreux cette fois !

— Ils nous encerclent déjà, répond-il en tournant nerveusement sur lui-même.

Terrifiée par ce spectacle d’êtres difformes aux dents pointues qui nous cernent et réduisent nos chances de survie, je suis incapable de réfléchir. Notre seule possibilité est de se concentrer sur un petit groupe et de se faufiler par l’ouverture qu’on aura créée. Pari très risqué. Sans le moindre espoir de réussite. Je les regarde, transie d’horreur, quand Matt me saisit par les hanches et me jette sur son épaule. Il se déplace si vite que j'ignore les évènements suivants.

Enfin, il me dépose à terre, sur la deux voies, bien loin de l’aéroport et de ses centaines de malaformes. D’un côté, deux files de voitures à l’arrêt, de l'autre, la route est dégagée. Nous sommes au tout début du bouchon !

— Il nous faut une moto, annonce Matt en scrutant l'embouteillage.

Je laisse tomber mon sac à dos à mes pieds, en signe de refus.

— Tu as l’intention de retourner en arrière ? Juste pour trouver une moto ? Imagine qu’on parvienne à en trouver une mais que son conducteur ait disparu avec les clés !

— Fais-moi confiance.

— Tu m’en demandes trop là, rétorqué-je en tournant le dos aux voitures pour m'asseoir sur le capot de la première.

— Je viens encore une fois de nous sauver la vie ! Alors je crois en effet pouvoir te demander de m’accorder ta confiance ! insiste-t-il d'une voix calme, mais sourde, après s'être déplacé pour me faire face. Oui, j’ai commis une erreur en abusant de ton sang. Mais je t’ai dit que cela ne se reproduirait pas. T’ai-je fait croire une seule fois depuis que j’allais recommencer ? En outre, tu as pris le plus gros orgasme de toute ta vie ! Donc, nous trouvons une moto et nous approchons du magasin de ton mari, même si je doute que la situation soit meilleure là-bas.

Je me renfrogne et l'invite à prendre les devants. La chance nous sourit quand, à peu près quinze minutes plus tard, nous dénichons une Harley Davidson abandonnée contre la barrière de sécurité. Son propriétaire a emporté les clés bien sûr, ce qui ne freine pas Matt puisqu'il se penche déjà sur les câbles.

La colère me tient compagnie depuis notre nouvelle altercation. Parce qu’il a raison et que je refuse de le reconnaitre. Repenser à nos étreintes provoque en moi une fièvre insupportable. Je transpire à grosses gouttes avec, pourtant, l'envie de me faire mal, de m’arracher la peau ou les cheveux pour me débarrasser de ma honte. J'imagine trop bien mes jambes écartées derrière lui sur la moto, mes mains autour de sa taille. La bagarre offre une alternative à mon embarras :

— Pourquoi ne me portes-tu pas comme tu l’as fait pour quitter l’aéroport ? Ça irait encore plus vite.

— Trop loin. En plus, je n’ai pas conduit de Harley depuis fort longtemps et ça me manque, explique-t-il en m'accordant un bref sourire.

— Encore pour ton plaisir.

— Je le prends partout où je peux. Ça aussi je te l’ai déjà dit. Ne me provoque, pas s’il te plait.

Ses doigts tressent les fils de couleur avec agilité et précision. Concentré, il conserve son calme. La provocation lui fera peut-être changer d'avis :

— Tu te trompes sur l’orgasme. Le meilleur, ce n’était pas grâce à toi.

— Vraiment ? Dans ce cas, on en reparlera après le prochain, rétorque-t-il sèchement.

Il a sauté juste devant moi, le regard glacial, sa bouche devant la mienne. Mais le pire de tout, c’est sa main qui tire légèrement sur mes cheveux. Alors aussi paisiblement que je le peux :

— Il m'a semblé que toi aussi tu prenais ton pied. Avant de me laisser pour morte !

— Bienvenue dans mon monde. Tu étais juste sonnée et je devais m’éloigner pour ne pas te vider ! Tu es vivante et je suis revenu t’aider, non ? Laisse-moi démarrer cet engin, bordel !

Il me lâche et fais un pas en direction de la moto avant se retourner et de me pousser violemment contre la voiture. Le bas de mon dos cogne l’aile avec violence mais je n’ai pas le temps de grimacer que sa bouche écrase la mienne. Je serre les dents mais il insiste. Mon cœur bat au rythme d’une musique hard-rock. Sa mâchoire est plus forte que la mienne et je suis sur le point de céder quand il se détourne rageusement pour rejoindre l'engin à deux roues.

— Qu’est-ce que tu peux m’énerver ! grince-t-il. Tu as de la chance que je me maitrise si bien ! Un autre ne te supporterait pas ! râle-t-il encore, sans m'accorder un regard.

Je ne peux pas répondre, il ne vaut mieux pas, d’ailleurs. Les battements de mon coeur s'appaisent tandis qu'un nouveau sentiment me submerge. De la tristesse ? Non, ce n’est pas tout à fait ça. Il ne s'agit pas d’inquiétude non plus. De la déception ! Impossible. Et pourtant, j’avais envie qu’il continue. Je suis folle ! Ou alors, il me contrôle. Dans ce cas, pourquoi a-t-il arrêté ? Je sors de ma torpeur quand soudain, un vrombissement de la moto brise le silence.

Matt est déjà installé et me transperce des yeux, les sourcils froncés. J’enjambe le véhicule et prends place à mon tour.

Je garde les paupières fermées, il roule trop vite pour moi. Cette allure occasionne pourtant une brise qui nous rafraîchit de l’air ambiant, si lourd. À l’approche du centre commercial, la brusque perte de vitesse m'incite à relever les paupières. Tout semble calme sur le parking, pourtant, le nombre incalculable de voitures provoque notre méfiance. Les magasins sont forcément fermés, nous sommes dimanche. À moins que…

Matt avance prudemment. Il commence par explorer les parties les plus éloignées du bâtiment, où des corps vidés de leur sang ont été abandonnés. Près de la première entrée, les dépouilles de quelques surveillants et pompiers gisent parmi celles d'autres victimes. Une rumeur, comme à l'aéroport attire nos regards sur le lourd rideau métalique. Les malaformes. Ils se sont agglutinés à l’intérieur, s’attirant sans doute les uns, les autres. Ils sont agités, surement ont-ils perçus le moteur de notre véhicule. Soudain, un bruit de verre brisé nous assaille, aussitôt remplacé par des coups portés sur la porte en fer. Le motard m'invite à m'accrocher avant d'accélérer vivement et je vois l’édifice s’éloigner avec amertume.

— Arrête-toi ! Arrête, Matt ! je crie en tambourinant son dos du poing, mon autre main aggrippée à son polo sous sa poitrine.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ? s'énerve-t-il, un pied en appui sur le bitume pour soutenir la moto.

Je quitte le siège de cuir et expose mes réticences à mon compagnon, à grand renfort de gestes :

— Il doit y avoir des collègues de mon mari à l’intérieur ! Et peut-être même ma famille et mes amis ! On doit vérifier !

À ma grande surprise, il se décide à abandonner sa position assise et prend soin de caler la bécane avant de me rejoindre à l'arrière.

— Pas croyable ! Tu n’as rien compris ! Ce qu’il s’est passé à l’aéroport ne t’a pas servi de leçon ? Il est IMPOSSIBLE d’entrer ! Sauf si tu cherches à mourir.

— Avec ta force, on peut monter sur le toit et descendre à l’intérieur, non ? je suggère, pleine d'espoir.

— NON ! Ne rêve pas, les malaformes ont envahi le centre, ils sont partout ! À l’heure qu’il est, personne n’en a réchappé. Pourquoi je perds mon temps à t’expliquer, hein ? Tu ne m’écoutes pas ou tu fais semblant de ne pas comprendre !

- Si, j’ai compris. Désolée d'y croire encore… Que fait-on maintenant ? On ne les a pas retrouvés, on ne peut pas rentrer.

— Si, on va rentrer. Et pas un mot de notre… À personne, c’est clair ?

— Ne t’inquiète pas pour ça, aucun danger. Mais je ne veux pas rentrer !

Cette fois, il ne m’attrape pas par les cheveux mais par la gorge. Je suffoque tant il serre.

— Ferme-la. Tu vas récupérer et demain on continuera. Monte la-dessus, m'ordonne-t-il en désignant le véhicule.

La machine est bruyante mais rapide, si bien que nous arrivons vite chez lui. Quelques chiens nous prennent en chasse mais abandonnent vite et les malaformes que nous croisons n’ont pas le temps de réagir que nous sommes déjà loin d’eux.

La famille de Matt et mes amis nous étreignent à notre retour. C’est bon de les revoir ! Le vampire est gêné par ces démonstrations d’affection et répond de son regard malicieux à mon petit sourire narquois.

— Madame se plaisait tellement en ma compagnie qu’elle ne voulait plus revenir.

Je reste sans voix, à me demander à quel nouveau petit jeu il joue encore. Les autres nous lorgnent sans comprendre, puis Clyselle croit réaliser. Avec un petit rire :

— Tu es bête Matt ! Nous savons toutes que ce n’est pas le genre de Lana !

— Vraiment ?

Il m'adresse son clin d’œil craquant avant de se pencher vers mon oreille pour une confidence puis dit à voix haute :

— Je te laisse le soin de raconter notre virée.

Instinctivement, je le fixe avec surprise et décèle un avertissement dans l'intensité de ses iris. Puis sans un mot de plus, il s’en va en direction de l’escalier mystérieux. Il ne va pas s’échapper comme ça, il me doit encore trop d’explications ! Quelques marches nous séparent déjà quand je le rappelle. Il s'arrête sans toutefois se retourner.

— Tu me raconte la suite à quel moment ?

— Plus tard, râle-t-il en reprenant son ascension.

Je trépigne, déçue :

— Non, Matt. Tu m’as promis.

Il redescend, me colle contre le mur et me chuchote « pas devant eux », en désignant les tableaux d'un coup de tête. Eux me donnent la chair de poule. J’acquiesce et l’avertis de mon intention d’obtenir de lui les informations qu’il me doit.

Val m'apprend que l’eau ne coule plus aux robinets, et que nous sommes contraints d’utiliser le puits, comme à l’ancienne. L’électricité ne fonctionne plus non plus, mais nous avons des bougies (à économiser), et du gaz. Je pars donc puiser un peu d’eau pour faire un brin de toilette dans mes quartiers, où je suis bientôt rejointe par Carole, qui me toise de son regard hautain.

— Ton maillot est couvert de sang. Du sang séché. D’ailleurs, pourquoi est-il déchiré ?

— C’est… un malaforme. Oui, un malaforme m’a attaquée et il l’a arraché avec ses ongles.

— Bien sûr. Montre-moi ton cou, m'ordonne-t-elle en tendant le bras.

— Non !

Je recule précipitamment, mais elle se jette sur moi et me pousse contre le mur, en me maintenant par la gorge, (c’est une manie dans la famille, quoique normale pour eux). Assurée de mon immobilité, elle examine mon décolleté. Elle le renifle, je sens son souffle sur ma peau tant elle est près. J'ai peur qu'elle me morde, qu'elle me tue. J'essaie de la repousser mais elle est trop forte pour moi. Malgré mes efforts, je ne parviens pas à lui faire lâcher prise et je commecnce à suffoquer.

Elle écarte soudain son visage de quelques centimètres et fixe l'endroit fatidique, celui où Matt a planté ses crocs.

— J’en étais sûre, gronde-t-elle, sans relâcher la pression de ses doigts.

Son nez frôle le mien quand elle poursuit :

— C’est un bon coup mon frère, non ? Je te préviens : raconte ce que tu sais à qui que ce soit, et je m’occuperai de toi. Crois-moi, ton sauveur ne pourra rien pour toi jusqu’à ce que j’en ai finis. Tu m’as comprise ?

J'articule tant bien que mal :

— Oui, mais tu n’as pas à t’inquiéter…

— Moi non, toi oui. Il n’avait pas besoin de te dire ça. Je ne t’aime pas, alors évite moi.

Je suis rassurée, elle me laisse vivre. Sa main perd de sa fermeté, son ongle effleure les deux points sous mon oreille, et enfin, elle s'éloigne. La jeune femme m'adresse un dernier regard d'avertissement avant de se détourner, mais je n'en tiens pas compte. Ma fierté reprend le desuus :

— Il ne m’a rien dit, il m’a montré.

J’ai à peine terminé mon sarcasme que je le regrette. Elle rugit rageusement, et de sa poigne robuste, me gifle, m’envoyant voler jusqu’à mon lit où d’un bond, elle me rejoint. À califourchon sur moi, les doigts de nouveau sur mon cou, elle se penche déjà, le visage déformé, les canines acérées débordant de sa bouche.

— Carole ! Carole !

C’est Matt !

J’aspire l’air à grande gorgée quand il me libère enfin de cette folle furieuse en la tirant par les cheveux. Ils sont face à face mais n'émettent pas un son, si ce n'est celui de leurs respirations haletantes. Ils se toisent avec animosité, tels des bêtes prêtes à se jetter sur leur adversaire. Enfin, elle capitule et se dirige vers la porte.

— Il faut qu’on parle, toi, moi et Jonathan, dit-elle d'un ton ferme et froid, raide comme un piquet.

Réunion de famille en vue...

Mon sauveur me regarde rapidement, apprécie ma nudité (la serviette que j’avais enroulée autour de moi gît au pied du mur), et s’en va, probablement pour rejoindre l’enragée.

Je me glisse fébrilement sous le dessus de lit et prends la position du foetus. Mes bras s'enroulent autour de mes jambes, et serrent, avec l'espoir d'apaiser mes tremblements. Mais au contraire, alors que mes larmes jaillissent, de violents sanglots me secouent de part en part.

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