Chapitre 6 - Confidence

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Aleksy balbutie face à la demande qui, sortie du contexte, ressemblerait à une invitation un peu moins innocente.

A : Je… Je sais pas, faut que je demande à ma mère… J’avais pas vraiment prévu ça…

Je prends conscience que j’ai pris cette décision sur un coup de tête, sans vraiment imaginer qu’il puisse émettre des réserves.

N : Nan… laisse tomber. Désolé de t’avoir demandé ça, c’était égoïste de ma part…

A : Non, je comprends. C’est normal que tu sois pas rassuré…

N : Ça ira, t’inquiète pas…

On reste silencieux pendant quelques secondes, fixant tous les deux le sol, à chercher quoi se dire. J’entends Aleksy prendre une grande inspiration.

A : Écoute, j’ai pas envie de te laisser comme ça, à te morfondre toute la nuit. Je te connais, tu vas t’imaginer tous les scénarios possibles et imaginables sur ta journée de demain, et tu ne vas pas fermer l’œil. Je… Ok, je reste ici ce soir !

N : Tu… t’es sûr ?

A : Si je te le dis. Tes parents sont d’accord, au moins ?

N : Je vais leur demander, mais je ne pense pas que ça les dérangera.

A : Ok, je vais en profiter pour passer un coup de fil à ma mère.

Je me dirige vers les escaliers, en passant juste à côté d’Aleksy. Je m’arrête un court instant, je le regarde rapidement dans les yeux, et avec un timide sourire, je lui glisse un "merci" à peine audible. Puis, je descends les escaliers à toute vitesse, plongé dans un mélange de bonheur intense et de trouble insaisissable.

L’accord de mes parents étant obtenu sans difficulté, ainsi que celui de la mère d’Aleksy, il est autorisé à rester dormir ici ce soir. Mes parents l’invitent à nous rejoindre pour le repas. Je mets les couverts, avec l’aide d’Aleksy, tandis que mes parents emmènent les plats sur la table.

N : Attendez, je reviens.

Je quitte la table, sous leurs yeux interrogateurs, et je remonte rapidement à l’étage pour me diriger vers la salle de bain. Je retrouve ma montre, posée préalablement sur l'une des étagères, et je l’accroche à mon poignet gauche. Je redescends, fier de pouvoir exposer à mes parents ce cadeau, offert par notre invité du soir. Aleksy remarque en premier la montre à mon poignet et me sourit. Ce sourire… je donnerais tout pour continuer à l’admirer. Je m’assois et commence à me servir.

K : Mais… d’où vient cette montre, Niels ?

N : Elle est belle, hein ?

K : Oui… Oui, elle est très jolie même, mais tu l’as eu où ?

N : C’est Aleksy qui me l’a offerte !

Ma mère regarde Aleksy avec des yeux ronds. Je m’amuse à le voir gêné.

K : C’est… C’est un très beau cadeau Aleksy, merci beaucoup !

A : De rien… mais je n’étais pas tout seul pour le cadeau, nos amis ont participé aussi, hein !

J : Ça n’enlève rien à la beauté du geste, nous te remercions pour tout ce que tu fais pour Niels.

A : C'est rien... Et je vous remercie aussi de m’accueillir ce soir, et puis pour la sortie d’aujourd’hui et le restaurant de la dernière fois.

J : Oh, je t’en prie, tu fais partie de la famille maintenant.

Je manque de m’étouffer alors que je buvais, et je me mets à tousser comme un tuberculeux. Aleksy, lui, est rouge comme une pivoine et n’arrive qu’à sortir un timide "merci", sans même regarder mon père dans les yeux. Ce dernier nous regarde, amusé, et fier de l’effet que nous cause sa réplique. C’était quoi, ce sous-entendu ?

Je finis le repas, l’esprit troublé. Aleksy participe à la conversation mais semble dans le même état que moi. Puis nous débarrassons la table, nous souhaitons une bonne nuit à mes parents, et nous montons dans ma chambre illico presto. Nous sommes assis, l’un à côté de l’autre sur le lit, et aucun de nous n’arrive à lancer un sujet de conversation.

N : Je… Je vais prendre ma douche, je reviens.

A : Je pourrai en prendre une, après ?

N : Oui, évidemment, sers-toi dans mon dressing pour les affaires.

Je prends un pyjama et un caleçon, et je me précipite dans la salle de bain. Je prépare ma serviette, et celle d’Aleksy aussi, puis je me déshabille et je me jette dans la douche. Sentir l’eau tiède couler le long de mon crâne m’aide à me vider l’esprit, ça a toujours été une solution miracle pour moi. C’est mon takigyo à moi, en beaucoup moins dangereux.

Je finis ma douche, libéré de mes troubles, je me brosse les dents et je reviens dans ma chambre, avec le sourire. Aleksy a l’air d’avoir choisi ce dont il avait besoin. Il est allongé sur le lit, en train de pianoter sur son portable, avec les affaires pliés sur son ventre.

N : Je t’ai préparé ta serviette, et tu as toujours ta brosse à dents dans l’armoire.

A : Ok, merci, je te laisse la place.

Aleksy se lève du lit et se dirige vers la salle de bain. Je m’installe, au même endroit qu’Aleksy, et je peux encore ressentir la chaleur laissée par son corps sur le drap. Cette douce chaleur, enveloppante, rassurante, et pourtant si inaccessible.

Je suis allongé sur le dos, les yeux rivés au plafond, perdu dans mes pensées, à nouveau. Dois-je en parler avec lui ? Dois-je lui partager ce que je ressens pour lui ? Je m’étais convaincu de le faire, dès que je retrouvais la parole, mais je n’en ai pas encore eu le courage jusque-là.

Et s’il le prenait mal ? Non, Aleksy n’est pas comme ça, il est bien plus intelligent que ça. Et si ça créait un malaise entre nous ? C’est possible, sachant que l’on a jamais reparlé de notre… épisode dans le garage. Et s’il ressentait la même chose que moi ? Après tout, ce n’était pas anodin ce qu’on a fait, ce jour-là. Et si… Non, ça ne sert à rien ce que je fais. Le seul moyen de le savoir, c’est de lui en parler directement.

Mais d’abord, avant de lui en parler, qu’est-ce que je ressens vraiment pour lui ? C’est… différent de Laurène. Différent, mais pas moins fort… je pense. Je ne sais pas vraiment en fait… j’ai encore du mal à comprendre. C’est pas gagné, si moi-même je suis perdu…

A : Ohé, Niels ? T’es encore avec moi ?

Je sursaute en apercevant Aleksy, droit dans mon champ de vision. Je ne l’ai pas entendu arriver, tant j’étais plongé dans mes pensées.

N : Hein… euh… oui, je suis là.

A : Ça va ? Je te parlais en entrant dans la chambre mais tu ne réagissais pas.

N : Désolé, je n’écoutais pas. J’étais… j’avais la tête ailleurs.

A : Encore à propos de demain ?

N : Euh… ouais, c’est ça…

Putain Niels, pourquoi tu lui mens ? Pourquoi est-ce si dur de lui en parler ? J’ai envie de tout lui dire mais je n’y arrive pas, quelque chose bloque.

A : Dis-moi ce qui te tracasse.

N : Rien en particulier, j’appréhende juste.

A : T’en fait pas, il n’y a pas de raison.

N : Ouais je sais, mais je suis comme ça. Allez, t’inquiètes pas, changeons-nous les idées plutôt.

J’attrape la télécommande et je choisis un film presque au hasard pour échapper à la conversation. C’est tombé sur une banale comédie américaine, mais ça pourrait peut-être me permettre de penser à autre chose. Mais malheureusement, non. J’essaie d’être attentif au film mais c’est impossible, je suis toujours en conflit interne. Je regrette de ne pas lui dire, mais en même temps j’appréhende de tout lui révéler.

Aleksy a sûrement dû apercevoir mon trouble, puisqu’il attrape la télécommande et il met le film sur pause. Je le regarde, avec un faux-air surpris.

N : Qu’est-ce qu’il y a ?

A : Arrête Niels, je vois bien que tu n’arrives pas à suivre le film.

N : Mais… si si, j’étais à fond dedans !

A : Ah bon ? Et ça parle de quoi ?

N : Bah c’est… euh… une histoire de couple ?

A : Raté, ils sont frère et sœur. Et ils doivent organiser leurs prochaines vacances d’été.

N : Oui, voilà, c’est ça que je voulais dire !

A : Niels… ils doivent organiser une fête de Noël, je t’ai menti.

N : Ah…

Aleksy soupire bruyamment.

A : Allez, s’il-te-plaît, dis-moi ce qui te fait stresser. Vraiment, parles-en avec moi !

N : Je…

Mon cerveau ne fonctionne pas assez bien pour pouvoir inventer un mensonge. Je me contente juste de buguer devant lui, la bouche semi-ouverte, mais sans aucun son qui n’en sort. Aleksy attrape ma tête entre ses deux mains et plonge son regard sérieux dans le mien.

A : Tu sais que tu peux me faire confiance, hein ?

Je me sens comme un petit enfant pris au piège. Vulnérable, les yeux baissés, la mine désolée. Le poids de son regard me fait perdre mes moyens, et je lui balance la première chose qui me vient à l’esprit.

N : Tu sais, la fois dans mon garage…

L’expression sur son visage change radicalement. Ses yeux perdent de leur éclat, ses traits se tendent, son sourire rassurant disparaît. Il enlève ses mains de mon visage et prend quelques centimètres de recul.

A : Oui…

N : Eh bien je… je voulais savoir si… tu regrettais ce qu’on a fait ?

Je le vois réfléchir intensément, cherchant sûrement quoi répondre. À plusieurs reprises, il s’apprête à dire quelque chose, puis il se ravise. Il a l’air tout aussi perdu que moi, et d’un côté ça me rassure. Ce n’est pas un oui ferme et définitif.

A : Je… Je sais pas Niels… et toi ?

N : Eh bien… j’y ai beaucoup réfléchi et… à cette époque, j’étais encore… enfin, j’étais censé être encore avec Laurène, mais… non, je pense que je ne regrette pas.

A : Tu penses ?

N : Aleksy, je… tu sais, depuis ce jour-là, je suis un peu… perdu. Je pensais juste qu’on avait dérapé à cause de l’alcool et qu’on avait tiré un trait là-dessus, mais… j’arrête pas d’y repenser et… c’est vraiment confus dans ma tête, tu vois.

A : Oui…

N : Et puis, il y a eu l’histoire de… mon coma et… j’ai remarqué que quand tu n’étais pas là, pendant mon séjour à l’hôpital, j’étais vraiment… triste. Et c’est pareil, quand j’étais bloqué à la maison toute la journée, j’attendais impatiemment que tu arrives parce que… j’avais besoin de toi, quoi.

A : …

N : T’es vraiment quelqu’un de génial Aleksy, le meilleur ami que je n’ai jamais eu. Mais j’ai l’impression que… plus les jours passent et… je ressens peut-être un peu plus que… de l’amitié, quoi. Et ça me fait vraiment peur, parce que je sais que ce n’est pas réciproque, et je n’ai vraiment pas envie que ça change quoi que ce soit entre nous, mais… je me sentais obligé de te le dire… voilà.

Un silence pesant s’installe dans la chambre. Il dure quelques secondes peut-être, quelques minutes ou même une éternité, je n’en ai aucune idée. Aleksy a le regard dans le vide, sans réponse. À ce moment, je me dis que j’ai peut-être fait une connerie de tout lui déballer, comme ça.

A : Qu’est-ce que tu en sais…

N : Hein ?

A : Tu dis que ce n’est pas réciproque, mais tu n’en sais rien…

Mon cœur s’arrête de battre… ou bien il bat plus vite que jamais ? Mes pensées s’emmêlent et tournoient dans ma tête, aussi vite que l’accélérateur de particules de Genève. Error 404. Impossible de déchiffrer ce message.

N : A… alors quoi ?

A : Bah, c’est… C’est possible que ça le soit, quoi.

N : Mais… concrètement ?

A : T’es lourd Niels… Écoute, je… Je suis pas aussi doué que toi pour les longs discours sentimentaux, alors… on va dire que… je pense que je ressens la même chose que toi.

N : Tu penses ?

A : Bon, tu as l’air d’avoir du mal à comprendre avec les mots, alors…

Je plonge mon regard dans le sien et je n’arrive plus à en sortir. Ses yeux ébène, profonds, intenses, éclatants, il m’est impossible de détourner le regard désormais. Je suis comme paralysé, sous son emprise. Le visage d’Aleksy semble se rapprocher du mien, lentement, très lentement. Ses paupières se ferment au fur et à mesure, et les miennes exercent le même mouvement, comme par hypnose.

Je n’y vois plus rien, mes yeux sont clos. Mais je sens un délicat contact sur mes lèvres. C’est doux, très doux même, et légèrement humide. Je ressens les mêmes sensations que l’autre jour, celui où j’ai découvert, pour la première fois, les lèvres d’Aleksy. Mais il n’y a pas cette fougue de l’autre fois, cloîtrés et enivrés dans mon jardin secret, cherchant à combler nos pensées négatives par des contacts physiques supposés innocents et seulement dans le but de, peut-être, se rassurer et se faire plaisir l’un l’autre.

Non, cette fois, il y a une dimension bien plus spirituelle. Non seulement mes hormones, mais mon cerveau aussi est en ébullition. J’ai l’impression de ne plus peser un gramme, comme si mon enveloppe corporelle n’était plus, comme si ce n’était pas deux corps qui s’embrassaient, mais deux âmes connectées, fusionnées. Mais cette sensation éthérée disparaît lorsque le lien entre nos deux corps se rompt. Nous rouvrons les yeux au même moment, comme si nous nous reconnections tous les deux au monde réel.

A : Tu comprends ?

N : Oui…

Mon côté rationnel a envie de lui poser des tas de questions. Depuis quand, pourquoi, comment… Mais, cette fois-ci, je le range dans un minuscule coin de mon esprit et il y restera jusqu’à nouvel ordre. Là, maintenant, j’ai envie de replonger dans ce rêve éveillé, de rétablir le contact entre nos deux entités, d’oublier toutes mes angoisses, de…

Aleksy réagit plus rapidement que moi et replonge sur mes lèvres. Il pose sa main puissante sur l’arrière de ma tête pour appuyer son baiser. Son autre main s’aventure sous mon haut de pyjama et caresse subtilement toute la surface de mon buste. À chaque caresse, je ressens un petit choc électrique, qui fait trembler mon corps de plaisir. De mon côté, je m’accroche avec mes deux bras autour de son corps et le sert contre moi pour sentir la robustesse de ses muscles, la pression de son squelette sur le mien.

Rapidement, nos langues se frayent un chemin entre nos lèvres et s’enlacent, heureuses de se retrouver après de longues semaines d’absence. Même si nos respirations sont saccadées, et que nos souffles sont courts, nous nous embrassons à en perdre haleine.

Les hauts de pyjamas ne font pas long feu et finissent par terre. Peau contre peau, comme les côtés + et – d’un aimant, nous nous collons l’un contre l’autre pour ressentir toute la chaleur, la chair de poule et tous les mouvements de nos organismes respectifs. Mes mains arpentent ses joues, sa nuque, ses épaules, son dos, son torse, ses hanches, tout ce qui est à ma portée. Mais nous restons sages, lui comme moi ne souhaitons pas brûler les étapes. C’est nouveau pour lui comme pour moi, et nous ne voulons pas céder à l’impatience.

Ces ébats durent jusqu’à ce que nos ardeurs s’amenuisent. Nos gestes se font de plus en plus lents, de moins en moins appuyés. Je lâche sa bouche et je cale ma tête dans le creux de son épaule, bercé par ses caresses dans mes cheveux. Son autre bras passe par-dessus moi et fait le tour de mon corps. Je ferme les yeux et profite du son de sa respiration, et de son souffle dans mon cou, pour plonger dans un profond sommeil, ce que je n’ai pas réussi à avoir depuis un long moment.

Un sommeil réparateur, soustrait de tous mes doutes et mes peurs, une nuit sereine et apaisée.

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