CHAPITRE 15 (4/5)

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Les doigts tremblants, j’insère la clé que je tiens fermement dans ma paume droite depuis que nous sommes descendues de la voiture. Je pénètre dans l’appartement, les sens aux aguets. Je découvre un corridor transformé en bibliothèque. Des centaines de livres, rangés par ordre alphabétique, ornent les murs. Mon père était-il un homme de culture ? Je pourrais sans doute en apprendre davantage sur lui en parcourant ses lectures. Tout au fond, sur la droite, une porte en bois brut dessert un salon moderne, surplombé d’une mezzanine qui semble faire office de bureau. Clara émet une sorte de sifflement raté, ressemblant plus à une crise d’asthme qu’à la démonstration d’admiration qu’elle aurait souhaitée. En effet, la pièce est spacieuse et décorée avec goût. Une immense baie vitrée courre sur le pan gauche, et mène à une grande terrasse, donnant elle-même sur le jardin intérieur du rez-de-chaussée. C’est peut-être la loge du gardien. Sur ce balcon sont disposés des transats, un parasol, et un canapé d’extérieur. Deux des murs du salon sont peints en gris clair. Le troisième, gris ardoise, est habillé d’un escalier moderne de bois et de fer noir, qui conduit à la mezzanine. Une cheminée trône au centre de la vaste pièce, meublée d’un immense sofa design en L, blanc et agrémenté de nombreux coussins qui donnent envie de s’affaler, d’un écran plat et d’une table basse rectangulaire en verre. Les murs sont ornés de diverses peintures. J’ignore s’il en est l’auteur, et je me demande si j’ai hérité cette passion de mon père. C’est béates, et la bouche ouverte, que nous continuons la visite. Au fond, sur la droite, une alcôve sépare le salon de la salle à manger. Une table pouvant accueillir au moins dix personnes, en chêne, et des chaises habillées de tissu crème à gros nœud se trouvent dans cette pièce. Cinq vases blancs contiennent des fleurs fraîches, et sont habilement disposés un peu partout. La cuisine grande, elle aussi, se situe à l’extrémité. Les meubles noirs, le piano, l’îlot central, les plans de travail en granit… tout est pensé pour la popote. Autant admettre de suite que c’est un immense gâchis, au regard de mes compétences culinaires. Clara n’a toujours pas dit un mot, et moi non plus. C’est rare, car il en faut pour clouer le bec à deux pipelettes comme nous ! Nous poursuivons la visite et retournons dans le salon où se situe une unique porte grise. Elle donne sur un autre couloir, bien plus petit, bien plus étroit, peint en blanc, et où des miroirs ont été savamment collés. À gauche, une salle d’eau avec double vasque, baignoire moderne et douche à l’italienne, murs bleu canard. La décoration et le mobilier sont de style asiatique. Je note deux sèche-serviettes, qui doivent être bien utiles en hiver. Dans le prolongement, je découvre des toilettes, et deux chambres agencées avec goût, et une lingerie. Pour finir, nous pénétrons dans la suite parentale, tout au fond du couloir. On dirait que je suis dans un hôtel de luxe. Le dressing, les w.c. et la salle d’eau attenante, le bout de balcon accueillant une petite table et deux chaises, tout y est. Je nage en plein rêve. Moi qui croyais à un taudis, je suis servie. Jamais, de l’extérieur, on ne pourrait deviner l’intérieur. Clara rompt un silence bien trop long pour nous :

— C’est étrange qu’il ne t’ait laissé que deux cent cinquante mille balles. Tu as vu l’appart ? On dirait qu’il était millionnaire.

— Ben, s’il était comme moi, il devait dépenser pas mal…

— Pas faux. Tu vas en faire quoi, de cet appart ? Tu vas le louer ?

Je dois bien avouer que je n’y ai pas encore réfléchi, et un coup de sonnette me sauve de cette question déroutante. Nous nous dévisageons, qui cela peut bien être ? Cette idiote de copine me sort, tandis que je me dirige vers l’entrée :

— Pourvu que ça ne soit pas les huissiers qui viennent tout récupérer ! Si ça se trouve, il était criblé de dettes !

Merde, elle me met le doute. En effet, ça serait fâcheux. Ceci dit, je n’aurais rien eu à la succession, les débiteurs se seraient sûrement servis avant moi.

Visiblement, je prends trop de temps pour ouvrir, car j’entends une clé qui glisse dans la serrure. Une bonne femme, haute comme une enfant, courbée, habillée d’un tablier à fleurs, un foulard sur la tête, entre doucement. En me voyant, elle sursaute et pousse un petit cri, semblable à celui d’un oiseau qui tomberait du nid. Puis, portant sa paume à son cœur, elle soupire :

— Vous m’avez fait peur !

J’écarquille les yeux. Devant ma stupeur, elle ajoute, en me tendant la main :

— Je suis Simone, l’aide ménagère. Vous devez être Zoé ?

J’acquiesce et la salue. Nous nous dirigeons vers le salon tandis qu’elle poursuit :

— Votre défunt père, un homme saint, croyez-moi, m’a demandé de continuer à venir le temps que vous trouviez vos marques. Il m’a même payé en avance pour être sûr que j’accepte.

— Un saint homme qui abandonne son enfant ? Qui est donc votre diable ?

Clara me jette un regard empli de reproches. La vieille Simone rétorque, la voix pleine de tristesse, et en haussant les épaules :

— Les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’elles y paraissent. Vous restez ici ce soir, n’est-ce pas ?

— Nous repartons mardi après-midi, je réponds, un peu radoucie.

— Parfait, dans ce cas, je demande à Louis de venir préparer les repas.

— Louis ?

— Le cuisinier de votre père ! Je l’appelle de suite, comme ça, il aura le temps de faire les courses.

Je reste muette, la bouche entre ouverte. Clara me regarde avec les yeux d’un poisson dont je ne saurais reconnaître l’espèce. La vieille femme, de sa voix fluette et énergique, se tape sur le front. Elle semble se souvenir d’une chose importante :

— Mon Dieu, Seigneur Jésus ! J’allais oublier ! Feu votre père m’a chargé de vous remettre ceci, je l’ai rangée dans la poche de mon tablier, justement pour y penser ! Tenez. Il m’a dit que vous comprendriez.

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