CHAPITRE 15 (3/5)

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Les jours défilent, les visites à l’hôpital me montrent une Fathia épanouie, car elle remarche. Bien sûr, il lui faut encore des appuis, et quelques pas la fatiguent beaucoup. Leandro, son kiné presque chéri, s’occupe particulièrement bien d’elle. Il semble être un sacré stimulant, d’ailleurs. Mon amie se maquille quotidiennement et parvient à faire sa toilette seule. Il lui reste un long chemin à parcourir, toutefois, je sais qu’elle y arrivera. C’est une battante.

La semaine se déroule à peu près normalement, même si je sature un peu de la peine des familles. Malheureusement, je suis incapable de soulager les proches endeuillés qui se jettent de désespoir sur les dépouillent, et pleurent sans discontinuer. J’ai de plus en plus de mal avec cette détresse qui me mine le moral petit à petit. Je dois en parler à ma psy. J’ai réussi à ouvrir un compte dans une banque concurrente et fermer celui que j’avais chez la fouine, ainsi qu’à faire le virement à ma génitrice maléfique. Étrangement, de toute la semaine, je n’ai pas procrastiné une seule fois. Mes papiers sont à jour, je me suis attelée à la succession et tout le toutim : changement de nom pour EDF, Véolia, etc. de l’appart de mon père. Mon appart. J’ai regardé sur Google Earth et me suis renseignée sur le quartier, qui n’a pas l’air mal du tout. Je dois bien avouer que cela a fini par titiller ma curiosité, à tel point que j’ai appelé Clara pour voir si elle est d’accord pour un week-end prolongé sur la Côte d’Azur. Après tout, c’est chez moi, maintenant. Au son de sa voix, j’ai compris qu’elle était emballée et touchée que je lui propose de faire cette première visite avec moi. Nous décidons qu’elle dormirait à la maison vendredi, et que nous partirons le samedi matin à l’aube, aux alentours de six heures. J’en suis fatiguée d’avance, mais je sais qu’il vaut mieux se lever très tôt.

Bien sûr, nous avons décollé avec un peu de retard, à huit heures. Nous voici, après une dizaine d’heures de route à cause des bouchons et aussi de la nécessité de rechargement de la batterie, arrivées à bon port. Je parviens à trouver le parking de l’immeuble sans trop de difficulté. Le pass active sans problème la grille de sécurité, et nous cherchons le numéro de la place, celle qui m’est dorénavant réservée. Elle est assez facile à repérer, puisque c’est l’une des rares à posséder une borne de chargement. J’éteins le moteur silencieux et reste muette et immobile, ce qui est assez pour inquiéter Clara :

— Tout va bien ?

— Oui, c’est juste que ça me fait drôle de me dire que je suis chez moi, alors que c’est un endroit totalement inconnu, légué par un homme tout aussi inconnu.

— Tu n’as aucun souvenir de lui ?

— Je me rappelle vaguement d’un type à moustache, assez maigre et au visage anguleux et sévère. Il cognait sec quand il mettait des fessées. En dehors de ça, je n’ai gardé en mémoire ni sa voix ni son odeur, rien.

Une larme commence à perler, et Clara me demande :

— Qu’est-ce que tu as choupinette ?

— Pourquoi ils ne m’ont pas aimé ni elle ni lui ?

— Parce que tu es tombée dans une famille de gros cons. Voilà pourquoi. Je ne vois aucune autre explication à ça.

Sa réflexion m’arrache un rire un peu forcé : il paraît que la joie vient quand on est gaie. Au cas où, je continue à simuler une fausse bonne humeur revenue.

L’appartement est au septième et dernier étage d’un immeuble de charme ancien et typique de la Côte d’Azur. Dans le hall d’entrée, marbré du sol au plafond, je note qu’un antique ascenseur avec une grille en fer forgé grince et couine. Il semble dater du début du vingtième siècle. Il fait partie de ce patrimoine précieux, ces traces d’un passé à la fois lointain et récent. Je reste admirative devant l’ouvrage, que je m’imagine fabriqué à la main par quelques misérables, pour une poignée de vieux sous. Je me sens déjà bien, ici. Voilà qu’un coup de coude mal dosé me sort de mes songes, un peu trop rapidement à mon goût.

— Aïe !

— Tu ne vas pas t’extasier devant ce tas de ferraille toute la journée ! Tu as un appart à découvrir ! Allez hop !

Je soupire et me console en pensant que je pourrais toujours m’attarder devant cette œuvre d’art pendant des heures, quand je serai seule.

Sur les conseils insistants de Clara, nous décidons de monter par les escaliers, histoire de repérer la sortie de secours en cas d’incendie, sait-on jamais. Elle ne manque pas de préciser que mon cul la remercia de cette initiative, et que cela m’aidera à éliminer la gaufre Nutella-banane-chantilly que j’ai avalée au dessert. Soit. Ses arguments s’entendent. Je pousse le lourd blanc qui mène dans un couloir, au bout duquel nous gravissons les marches. À chaque palier, Clara maudit mon appétit d’ogresse, ma gourmandise, et les pyromanes, tandis que je bénis mon tapis de course.

Voilà. Nous y sommes. Je regarde la porte du numéro 702, en bois bleu lavande. Le cliché me fait sourire. Elle s’intègre parfaitement aux murs jaune vif du couloir. Je perçois les yeux excités de mon amie, et elle se met soudainement à trépigner en tapotant des mains, comme une fillette de cinq ans :

— Qu’est-ce que tu attends ? Ouvre !

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