CHAPITRE 15 (2/5)

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Arrivée chez moi, j’aperçois mon voisin qui toque à ma porte.

— Elle n’est pas là.

— Ah ! Zoé ! Tu vas bien ?

— Moi, oui. Ce qui n’est visiblement pas ton cas, vu ta tronche. Entre, je te paie une bière.

Raph m’explique qu’il vient de plaquer sa copine. Une salope incapable de résister à un play-boy du seizième, en somme, encore une.

— Pas de ça avec moi, mon chou. Ça m’agace, ce genre de raccourcis. Avec vous, les mecs, c’est toujours la même chose. Vous êtes des tombeurs, et nous, des salopes. Arrêtez avec ça, franchement. C’est chiant d’être systématiquement sexualisée de cette manière.

Évidemment, encore une fois, le moment est mal choisi pour une leçon de morale. Après trois heures de lamentations et de discussions, il va mieux. Nous optons pour une partie de jambes en l’air, bénéfique pour l’humeur, et qui ne nuira pas à nos relations de bon voisinage.

Comme la dernière fois, il tient parole et rentre chez lui après notre petit arrangement. J’appelle ensuite Clara et lui raconte mon entrevue avec le banquier, puis je mets Fathia au courant des nouvelles fraîches. De son côté, les choses se précisent avec son kiné, et elle pense sortir bientôt de l’hôpital pour rejoindre un centre de rééducation. Après mes coups de fil, sans même dîner, je me couche vers vingt-trois heures trente, calme et apaisée.

Le reste de la semaine se déroule pour le mieux, d’autant que ma psy a réussi à me rassurer sur le manque de peine envers la mort de mon géniteur. Je garde néanmoins le rythme d’une séance hebdomadaire, je sens que je suis encore fragile.

Le vendredi soir, j’arrive chez Clara avec ma toile escarpin encadrée, et lui colle dans les mains dès qu’elle ouvre la porte.

— Tiens, prends cette œuvre d’art, et range -là loin de mes yeux critiques.

— Woww… C’est magnifique !

Clara s’extasie toujours sur chacun de mes tableaux, un peu trop pour que ça soit réellement sincère, à mon avis. Ceci dit, ça me fait du bien d’y croire, parfois.

Nous avons décidé que je passerai le week-end chez elle, et que je ferai la connaissance d’Arthus. Il est vraiment, vraiment plein de charme. Musclé à souhait, il est l’archétype du beau black par excellence. Ce type est d’une gentillesse inouïe, et il est complément aux petits soins pour Clara. Je comprends mieux pourquoi elle a craqué pour lui et les sacrifices qu’elle est potentiellement prête à faire. Je sais que ma copine appréhendait ces présentations, et je lui jette un clin d’œil accompagné d’un pouce en l’air pour la rassurer. Instantanément, son visage se détend. Nous passons une excellente soirée. Arthus est un homme avec qui on peut parler de tout, ouvert et jovial. Son rire tonitruant résonne dans la petite pièce, et nos ricanements de pintades, lui font échos. Ce tsunami de bonne humeur, sans la moindre trace de merde qui plane sur mon existence, me procure un bien fou. Je me sens heureuse, épanouie, dans un monde où tout va bien. J’ai la sensation de galoper sur un arc-en-ciel, à dos de licorne. Arthus quitte l’appartement de Clara après un baiser qui n’en finit plus, vers trois heures du matin. Nous continuons toutes les deux à boire et discuter durant encore deux heures, puis nous nous couchons, bien éméchées tout de même, ce qui laisse entrevoir une jolie gueule de bois pour demain.

Le samedi après-midi, après avoir dû cuver quelques heures, nous nous promenons dans les rues parisiennes. Comme avant notre engueulade, nous faisons nos emplettes ensemble, papillonnant d’un magasin à l’autre. Éreintées lorsque nous rentrons, nos pieds endoloris par les escarpins, nous commandons des plats chinois pour le dîner. Bien sûr, je n’ai pas su rester raisonnable, surtout vue la somme dont je viens d’hériter. Je m’étais pourtant promis de ne pas trop y toucher, au cas où. Honte à moi, je ne suis pas ce genre de femme. Ce n’est d’ailleurs pas ma faute, mais celle à mon métier qui, sournoisement, me susurre toujours à l’oreille que la vie peut s’arrêter n’importe quand, et qu’il faut en profiter.

Le dimanche, il est quatorze heures dix lorsque je reçois un appel. Nous sommes avachies dans le canapé. D’un geste las, j’attrape mon portable. Remarquant que je ne compte pas répondre en voyant que le numéro est masqué, Clara m’arrache mon téléphone des mains, décroche, et me jette l’appareil. Je soupire d’agacement, et lâche un laconique « allô ». Je sursaute et me redresse d’un bond dès que j’entends cette voix que je ne connais que trop bien, et que je déteste par-dessus tout :

— Alors, on a touché le gros lot et on ne partage pas ?

— Bonjour, maman. Ça faisait longtemps…

— Je suis dans la dèche. J’ai besoin de fric.

— Tu n’as qu’à moins picoler et bosser un peu plus.

— Je te préviens, Zoé, soit tu m’aides, soit je balance tout à ton petit ami.

— Ce débile n’est pas mon mec. C’est juste un voisin.

— Vraiment ? Tu ne me prends pas au sérieux ? Tu crois que je ne suis pas capable ?

Je sens une bouffée de panique m’envahir. Je crie presque, en tremblant :

— Tu ne vas pas me faire ça ?! Tu te souviens de ce qui s’est passé la dernière fois que quelqu’un l’a su ? J’ai failli crever, je te rappelle !

— Je n’en ai strictement rien à foutre ! Je te demande juste un peu de blé, c’est tout.

— Combien ?

— Deux mille. Je t’envoie mon RIB par WhatsApp. Si je n’ai rien d’ici la semaine prochaine, je lui raconte tout !

Ma « mère » raccroche, sans même un « au revoir » ou un éventuel « merci » de circonstance. Je pousse un long et douloureux soupire. Clara n’a pas perdu une miette de cette très courte conversation.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je n’ai pas le choix.

Quelques secondes plus tard, je reçois la photo floue d’un RIB. J’en prends un sacré coup au moral, d’autant que je suis obligée de répondre au numéro qui, comme par enchantement, n’est plus masqué, pour demander un cliché plus clair. Clara brise un silence pesant :

— Comment a-t-elle su ?

— Je l’ignore. Peut-être que le notaire l’a mise au courant du décès de son ex-mari ?

— Il a le droit ?

— Aucune idée. C’est une supposition, rien de plus. En tout cas, je suis bien dans la merde.

— C’est clair. Si tu ne cèdes pas au chantage, elle balance, et si tu cèdes, tu fourres le doigt dans un engrenage rouillé.

— C’est assez bien résumé.

— Pourquoi tu ne portes pas plainte ?

— Parce qu’elle a le droit de me demander une pension. Tout comme elle aurait pu le faire avec mon père, même divorcée de lui.

— Tu es sérieuse, Zoé ? C’est légal, ça ?

— Absolument. J’ai le devoir de venir en aide à ma mère, si conne soit-elle, en fonction de mon salaire. Vu qu’elle ne bosse pas, elle peut me demander une rente.

— Ah ben merde, alors ! Je n’en reviens pas ! C’est dégueulasse.

— Du coup, je préfère lui refiler ses deux mille balles plutôt qu’une somme fixe chaque mois, tu vois.

— C’est moisi.

J’acquiesce et, presque résignée, je rentre chez moi. Décidément, je ne m’en sortirai jamais. Dès qu’un truc va bien, une tuile arrive. L’effet balancier, sans doute.

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