CHAPITRE 14 (1/3)

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Un coup de sonnette me réveille en sursaut. Je regarde mon téléphone : dix heures seize. Qui vient m’emmerder à cette heure-ci un samedi ? Le facteur, peut-être ? Il doit m’apporter une de mes — trop — nombreuses commandes. Clara ronchonne un truc incompréhensible et roule sur son flanc gauche. On appuie une seconde fois sur le bouton du diable, alors je me dépêche de me lever pour mettre un terme à la complainte grinçante. En pyjama-shorty rose, arborant fièrement une tête de licorne à paillettes multicolores, j’ouvre la porte. Fabien. Merde !

— Tu vas venir me faire chier tous les week-ends ?

— Salut, Zoé, ça va ?

— J’ai l’air d’aller bien, sérieux ? Tu me réveilles aux aurores ! Tu as vraiment un problème, toi.

Il soupire.

— Je suis sincèrement désolé, Zoé. Je n’aurais pas dû t’insulter. Tu me manques.

— Ce qui te manque, Fabien, c’est surtout une bonne paire de claques pour t’apprendre à respecter les femmes.

— Je te respecte.

— En me traitant de pute ?

Devant son mutisme, j’en profite pour ajouter :

— C’est ridicule, en plus, ça vient du latin « puta » qui veut dire « jeune fille ». Donc à la base ce n’est même pas une insulte. Tu crois me blesser, alors qu’en réalité, non.

— Tu te sens obligée de me donner des cours, de si bon matin ?

C’est vrai, j’avoue que ce n’est pas vraiment le moment.

— Et puis pourquoi tu es vexée, si tu dis toi-même que ce n’est pas une injure ?

— Parce que c’est ce que tu inclus dans ce mot, qui représente le véritable affront. Je te donne un exemple : tu n’es qu’un gamin ! Fin de la leçon. Sur ce, je vais me recoucher et je t’interdis de revenir ici. Pigé ?

— Je reviens quand je veux ! Et je ne te lâcherai pas tant que tu refuseras de te remettre avec moi !

— Si tu as envie de perdre ton temps et de te faire casser la gueule, c’est ton problème.

— Pourquoi ça ?

— Parce que je ne t’ai pas attendu pour te remplacer. J’ai un nouveau mec, et on va s’installer ensemble. Maintenant, tu me fous la paix, et tu dégages !

L’excuse bidon que je lui sors est un flop total. D’ailleurs, il a capté que je ne me suis pas convaincue moi-même.

— Je n’en ai rien à battre, que tu sois maquée. Je suis sûr que tu me racontes des gros mythos. Je n’y crois pas une seule seconde à ton histoire. Je te l’ai dit, je reviendrai quand je le voudrai.

J’écarquille les yeux. Il a du culot, celui-là ! Soit. Je prends une grande inspiration, ouvre la bouche autant que je le peux, lui souffle mon haleine fétide en plein visage, puis lui claque la porte au nez. J’espère que ça lui aura fait passer l’envie de remettre les pieds ici. Ce type est un malade ! Pauvre con. Enfin con… c’est le nom du sexe féminin, donc ça n’est pas non plus une injure. Bon, bah je retourne au pieu en me demandant quelle vraie insulte lui irait le mieux. Mon Dieu, ce que mon cerveau est stupide, parfois ! Non, pas stupide, compliqué et alambiqué. Voilà, il faut que je cesse de me dévaloriser. Je dois tenter de m’apprécier, aussi différente que je puisse être. Une image se forme dans mon esprit, et je pense que je vais m’y accrocher dans les moments de doutes qui ne manqueront pas d’arriver. Je visualise un jour de pluie où tous les passants auraient déplié leur parapluie noir. Je suis la seule à en avoir un rouge. Alors oui, il dénote des autres, et les gens me regardent d’une manière bizarre et curieuse. Oui, je suis totalement dissemblable à la majorité. Mais mon parapluie rouge et moi, on amène aussi de la couleur, de l’originalité, et ça, c’est plutôt positif. Moi aussi, j’ai une certaine richesse à offrir au monde, si petite soit-elle. Je dois me faire une raison de ne pas être Mandela ni Einstein ou Da Vinci. Je suis Zoé Valbens, et ce n’est déjà pas si mal. Après tout, si je suis née, à la place de milliards d’autres, avec, en plus, un cerveau si particulier, c’est que j’ai quelque chose à apporter. Voilà. Je me suis remise dans une bonne dynamique, un élan de confiance en moi qui risque de disparaître comme il est venu, donc j’en profite. Tant que j’y suis, je me remercie d’avoir trouvé cette idée de parapluie, un lendemain de cuite. Ça, c’est une prouesse !

Après avoir tourné et viré plusieurs minutes dans mon lit, je décide de me lever pour éviter de réveiller Clara. Merci, Fabien, tu as réussi à me pourrir ma grasse matinée ! J’avale un bol de Doliprane pour tenter d’évacuer le mal de tête qui compresse mon cerveau. La migraine est forcément due au coca, car le whiskey ne peut pas avoir de telles conséquences, ça se saurait… Je m’installe sur ma chaise pliante en me promettant de m’offrir un beau fauteuil confortable dès la semaine prochaine, et pianote sur mon ordi après l’avoir allumé. J’ignore pourquoi, je me replonge dans les mails de Sébastien Bellomago. À quel moment ai-je pu me faire croire que j’avais un début de frémissement d’attirance pour ce type ? Et surtout, pourquoi je relis nos échanges ? C’est n’importe quoi ! Je dois être en manque, c’est pour ça. Je laisse tomber, et surf sur des sites de shopping, dans le but de me changer les idées. Heureusement pour moi, une heure et demie plus tard, Clara me rejoint juste avant que je ne valide un énorme panier de presque cinq cents euros. Intérieurement, je l’en remercie. Nous déjeunons d’un café, et je lui sers une aspirine. Tout en papotant dans un mélange d’haleines de momies en putréfaction, nous décidons de nous revoir lundi soir, autour d’un apéro, pour que je lui raconte mon entretien avec le notaire. Nous spéculons sur l’héritage soudain, et mon amie me suppose déjà millionnaire. Nos imaginations partent en vrille et les fous rires s’enchaînent au rythme de nos hypothèses les plus folles. Cela faisait trop longtemps que je n’avais pas ri autant. Ça me fait du bien, qu’on se retrouve toutes les deux, comme avant, ou presque.

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