CHAPITRE 13 (5/5)

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Lorsque je suis devant ma porte, au moment de glisser la clé dans la serrure, je m’aperçois qu’elle n’est pas verrouillée. Impossible que j’ai oublié de fermer à double tour, surtout après les menaces de mon voisin. Je cherche désespérément ma bombe anti-agression dans mon sac à main. Vu qu’il est aussi grand qu’une valise, je ne parviens pas à mettre la main dessus. Comme ma mère me le répétait si souvent : « ma pauvre Zoé, tu ne trouverais pas une vache dans un couloir ! ». J’étais persuadée du contraire, incapable de comprendre le double sens de ses paroles. Mes doigts tremblent et je ne sais pas quoi faire. Putain, putain, putain, réfléchis, Zoé. Ré-flé… Les flics ! Mouais, le temps qu’ils arrivent, je pourrais être trucidée mille fois. Autre chose… Ah ! Un scalpel ! Je redescends vite fait à la voiture, et chope l’instrument dans l’une de mes valisettes. Je remonte les escaliers quatre à quatre, grâce à l’adrénaline que mon corps semble sécréter en quantité non négligeable. Mon cœur bat plus fort qu’une paire de bongos et résonne dans ma cage thoracique. Je pousse avec discrétion et délicatesse la porte de mon appartement, sans faire de bruit et en priant pour être la seule à entendre mon palpitant taper si fort. Personne. Je pose un pied après l’autre, petit à petit, et reste sur mes gardes. Même le silence est lourd et suspect. Je distingue enfin une silhouette de dos, sur mon balcon, à moitié cachée par les rideaux épais. Ma poitrine tambourine toujours tandis que j’avance doucement vers l’intrus. Serait-ce mon voisin qui m’attend pour me tuer ? A-t-il découvert mon secret ? A-t-il envoyé un homme de main ? Je sens la panique m’envahir. La forme reste immobile, et ne semble pas m’avoir entendue. Je m’approche encore, lentement, très lentement, jusqu’à un mètre environ. Je compte sur l’effet de surprise. Tout près, j’écarte le rideau d’un grand coup sec. Tout en brandissant mon arme improvisée, je hurle :

— Dégage ou je te plante !

— Ah ben bravo ! Merci pour l’accueil ! Franchement, j’ai bien fait de garder tes clés, tiens !

— Clara ? Qu’est-ce que tu fous là ?

— Ouais… ça te fait plaisir de me revoir, on dirait…

— Putain, Clara ! Qu’est-ce que tu fous là ?

— Tu te répètes, ma vieille… Pose ce truc.

Je réalise d’un coup que je suis encore en position de combat et que mes doigts ont blanchi à force de serrer le scalpel. Mes phalanges sont presque tétanisées. Je lâche le bistouri et me jette au cou de mon amie. Comme une gamine, je pleure, je renifle, je l’embrasse, et je lui demande pardon. Clara me câline comme une mère, et, miracle d’une puissance divine à laquelle j’ai renoncé depuis ma naissance, elle s’excuse également. Une fois nos retrouvailles exprimées, je demande :

— Clara, même si tu as tenté de me tuer une première fois en me laissant tomber comme une vieille chaussette puante (c’est-à-dire l’une des tiennes), et une seconde fois en m’attendant, tapie dans mon appartement, saches que je suis heureuse de te revoir. Mais pourquoi tu es là ? Pourquoi ce soir ?

— Tu me manques trop. Je m’en veux de t’avoir bousculée comme ça. J’ai eu l’impression de divorcer, rit-elle. Après le message que je t’ai envoyé pour te rappeler le week-end que tu me dois, je me suis dit que je ne pouvais pas te demander de venir sans qu’on se soit retrouvées d’abord. En revanche, j’espère pour toi que tu as bougé tes fesses d’Aphrodite, parce que sinon, ça va gueuler ! D’ailleurs, à ce sujet, il me semble que tu es encore plus musclée qu’avant. Une raison masculine à ça ?

— Oh non ! J’ai fait comme tu me l’as imposé : je me suis secoué les fesses. Du coup, avant de comprendre ce que tu voulais, j’ai tenté plein de trucs, notamment, le tapis de course aux araignées. Tu m’avais dit qu’elles étaient les seules à monter dessus, alors je les ai imitées.

— Wow, tu m’impressionne !

— J’ai commencé par marchir, c’est-à-dire que je marchais plus que je ne courrais ; puis j’ai courché : je courrai plus que je ne marchais, et maintenant, je cours.

— Je suis admirative…

— Deux à trois fois par semaine, je cours après le bonheur, environ quarante-cinq minutes.

— Je suis hyper fière de toi !

— Oh non, ma Clara, j’ai compris seulement hier ce que tu voulais que je pige. Vraiment.

Je lui raconte le teste et les résultats improbables, ainsi que mes doutes sur une potentielle erreur sur la personne, mes soucis de voisinage, et la peur que j’ai eue en la voyant. Nous mettons presque nos conversations à jour. Fathia, mon père et son héritage, Fabien, mamy, la psy, de mon côté, tout y est passé.

— Donc tu n’as pas une mémoire de poisson rouge, alors…

— Tu sais qu’en réalité, des expériences menées sur ces bestioles ont conclu que leur mémoire était supérieure à un mois !

— Sérieux ?

— Oui ! Plus de trente jours après l’apprentissage, ils se souvenaient de l’endroit exact par lequel ils étaient nourris.

Clara s’esclaffe. Devant mon air un peu désabusé, elle lâche :

— Tu es vraiment la reine pour savoir des trucs dont tout le monde se fou royalement !

C’est vrai, elle a raison. On s’en tape, et pourtant, je trouve ça intéressant.

À son tour, elle m’expose dans les moindres détails sa rencontre et sa relation presque sérieuse avec un beau black prénommé Arthus. Je lis dans son regard qu’il compte pour elle. Ma langue brûle de la questionner :

— Tu es prête à renoncer à tout libertinage et à ta bisexualité ?

Elle s’esclaffe :

— Je n’en suis pas encore là, et pourtant, je surkiffe ce type. On verra bien.

Je tombe d’étonnement. Et d’ivresse. Le whiskey-coca toute la soirée a eu raison de moi. Il est presque trois heures du matin quand nous décidons d’aller nous coucher. Quelle semaine de dingue !

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