CHAPITRE 13 (3/5)

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C’est avec appréhension que j’arrive à son cabinet le jour J, avec seize minutes d’avance. Même moi, je n’en reviens pas de cette hyper ponctualité. Après avoir patienté beaucoup trop longtemps à mon goût, et avec la boule au ventre, elle daigne m’inviter à entrer. Elle n’a rien voulu me dire au téléphone, j’imagine donc que les résultats sont, au mieux médiocres, au pire, mauvais. J’essaie de me raisonner et de m’auto persuader que je dois être à peu près dans la moyenne. J’ai fait des études, c’est, un tant soit peu rassurant. Assise devant son bureau, je boue d’impatience en espérant un verdict rapide. Au lieu de cela, la psy laisse planer le suspense :

— Alors, comment allez-vous ?

— Écoutez, la patience, ce n’est franchement pas mon truc. Si vous pouviez m’achever d’un coup, ça m’irait bien.

La voyant lever un sourcil interrogateur, je précise :

— Je suis dans la moyenne basse, c’est ça ?

— Qui vous dit que ceux qui ont un QI inférieur à soixante-dix sont stupides ?

— Ben… quand même, ils sont plus limités, non ?

— Non. Le Wisc ne mesure que cinq composantes de l’intelligence cognitive, qu’on appelle aussi rationnelle : l’indice visuospatial, de compréhension verbale, de raisonnement fluide, de mémoire de travail et de vitesse de traitement. Or, vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe de multiples formes d’intelligences, notamment émotionnelle, créative, et bien d’autres encore, qui ne sont pas évaluées dans ce test. Croyez-moi, le Wisc passe à côté d’innombrables surdoués, dans des domaines extrêmement divers. De véritables génies sont considérés comme débiles, parce qu’on est incapables de mesurer le type d’intelligence qu’ils développent. C’est un énorme gâchis.

Je me sens conne, d’un coup. Je me racle la gorge. Elle n’a pas tort quand on y réfléchit. Les critères sont toujours ceux de la majorité, et les minorités sont, de facto, laissées de côté. C’est hyper injuste. Il me semble que je ne regarderais plus les gens de la même manière, à présent. La psychologue me sort de mes pensées :

— Bien, vous concernant, le bilan est très clair.

Mon cœur bat vite. Je suis suspendue à ses lèvres, façon de parler, bien sûr.

— Votre profil est homogène, les résultats sont parfaitement interprétables. Les profils hétérogènes sont plus compliqués. Je ne vais pas vous embêter en rentrant dans les détails, décide-t-elle d’un geste de la main. En ce qui vous concerne, votre score global au Wisc V est de cent quarante-six.

Euh là, c’est le choc. Je rougis immédiatement, j’ignore pourquoi. Connement, sans vraiment entendre ce que je dis, car mon esprit est trop occupé à partir dans tous les sens, je demande :

— Euh… pardon, je ne voudrais pas mettre en doute vos compétences, mais… vous êtes sûre qu’il n’y a pas d’erreur ?

— Absolument certaine. Gardez en tête qu’il ne s’agit que d’un score à un moment donné. Si vous repassiez ce test demain, il serait peut-être différent. Ce qui se cache derrière est bien plus important.

— Ça signifie que je pourrais avoir cent dix ?

Elle sourit :

— Non, l’écart serait trop grand, à moins d’avoir une maladie dégénérative ou avoir subi un choc émotionnel très fort. Quand on parle de THQI (Très Haut Quotient Intellectuel), on parle surtout du mode de fonctionnement qui s’y rapporte. La différence est aussi importante entre une personne qui a obtenu un score de cent, et celle qui a eu cent trente, qu’entre celle qui a eu cent trente et celle qui a eu cent quarante-cinq. À ce sujet, il est assez intéressant de noter que quelqu’un possédant une « intelligence » moyenne aux alentours de cent, donc, est incapable de déceler la surdouance à partir de cent cinquante. Le cerveau n’en est plus capable. Comme quoi, on peut paraître débile aux yeux de la majorité de la population, et avoir cent cinquante de QI. C’est fascinant. Quoi qu’il en soit, ce chiffre n’est qu’un indice de la surdouance, un potentiel intellectuel.

En effet, je suis étonnée par ce que j’apprends. Elle poursuit :

— Il faut bien que vous intégriez une chose, Zoé, c’est que les douleurs de votre passé ne sont ni de votre faute ni celle de vos bourreaux. Vous étiez, et vous êtes encore, simplement inadaptée à votre environnement. Vous ne pouviez ni comprendre ni être comprise, car vous étiez trop dissemblable des autres. En réalité, être à haut potentiel ne signifie pas avoir une intelligence quantitativement supérieure, cela veut dire plutôt dire qu’elle est qualitativement différente.

— Euh comment ça ?

— Pour vous donner un exemple, votre pensée se développe en arborescence. C’est-à-dire que vous fonctionnez de manière globale. Je m’explique : il vous est impossible de ne prendre en compte qu’une partie de votre environnement. Votre cerveau (l’hémisphère droit est privilégié) traite l’intégralité de cet environnement. C’est ainsi que vous êtes capable de trouver « instinctivement » une solution à un problème, tout en étant totalement démunie lorsqu’il s’agit d’exposer votre raisonnement, cette partie-là étant « examinée » par le « cerveau gauche ».

— C’est pour ça qu’on m’a toujours rabâché que j’étais nulle en math ?! Je connaissais le résultat sans pouvoir expliquer ma démarche, du coup, les profs croyaient que je trichais. J’ai fini par abandonner.

Elle sourit, puis reprend :

— C’est fort possible, en effet. Et c’est dommage, d’autant qu’il a été prouvé qu’un Haut Potentiel Intellectuel (HPI) de cent quarante possède une vitesse de traitement des informations au niveau neuronal, deux fois plus rapide que celle d’un normopensant. Pour résumer : vous captez plus d’informations, vous les traitez plus vite, et vous les distribuez de manière multi spatiale, ce qui entraîne une hyper connectivité cérébrale. Forcément, certaines données se perdent en cours de route, vous me suivez ?

— En tout cas, je comprends que j’ai une autoroute à la place du cerveau, et que je me paume dans les bretelles de direction.

Aurélie Irvin éclate de rire.

— C’est une image parlante. Vous vous en doutez, les différences ne s’arrêtent pas là. Il existe très souvent, une hypersensibilité affective associée. Elle est due à une vulnérabilité de l’amygdale (une glande, près de l’hippocampe), qui peut provoquer de véritables cataclysmes émotionnels, tandis que les personnes lambda n’y verraient qu’une broutille. Cette particularité est, la plupart du temps, concomitante à une hyperesthésie.

— C’est quoi ce truc, encore ?

— C’est un développement exacerbé des cinq sens. De même, l’empathie, qui est la capacité à percevoir ce que ressentent les autres, est également très grande. On parle quelquefois de sixième sens.

Je hoche la tête tandis que les larmes montent à l’évocation de souvenirs douloureux. Comme pour moi-même, je rétorque :

— Il est temps pour moi de me pardonner.

— C’est tout à fait ça. Laissez-moi vous exposer les résultats de votre test. On discutera ensuite des pistes envisagées pour que vous vous acceptiez telle que vous êtes.

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