CHAPITRE 12 (3/3)

4 minutes de lecture

Le lundi matin, il est huit heures quand on frappe à ma porte. Je n’ai pas dormi de la nuit, malgré les nombreux joints que j’ai fumés pour tenter de me détendre. Je me demande qui ose me rendre visite à cette heure-ci. Ça doit être J.J. qui vient râler et exiger que je paie le nettoyage de la moquette. Je regarde par l’œilleton, Fabien ! Je soupire et ouvre mécaniquement. Je dois avoir une tête horrible parce qu’il opère un léger mouvement de recul. Sans lui laisser le temps de dire bonjour, j’entame :

— Tu es sérieux de venir me faire chier de si bonne heure ? Tu as décidé de plomber ma journée, ou quoi ?

— Salut, Zoé. Désolé, il fallait que je passe avant d’aller au boulot.

— Qu’est-ce que tu veux ? je demande en soupirant.

— Te demander pardon. Je tiens vraiment à toi et je regrette d’avoir agi comme ça.

— Je m’en bats les cou… les ovaires. Tu as mal choisi ton jour, et c’est trop tard pour les remords.

Je referme la porte. Un SMS arrive aussitôt, m’indiquant que mes premiers clients m’attendent patiemment. Je suis molle, j’ai peur, et j’ai la migraine. Je repousserais bien les soins si la culpabilité ne m’obligeait pas à me bouger le cul, et à penser aux familles qui souhaitent profiter au maximum des dernières heures en compagnie de leur proche. Avec une mauvaise volonté dont moi seule ai le secret, je me prépare et file à la Salpêtrière. Je n’en peux plus du boulot, surtout que cette connasse d’Anaïs ne se prive pas pour me refiler du monde. Je suis perturbée toute la journée, et je rejoue dans ma tête les mille scenarii possibles. Cette fois, les morts ne me sont d’aucune utilité. Mon voisin ne peut pas, ne doit pas, découvrir ce qui s’est vraiment passé. Je ne le supporterai pas. Je n’ai pas fait tout ça pour rien. Je ne sais plus comment agir ni comment me protéger.

À dix-huit heures, alors que je termine de préparer une vieille dame, mon portable sonne. Numéro inconnu.

— Allo ?

— Madame Zoé Valbens ? demande une voix masculine.

— Oui, que puis-je pour vous ?

— Ici, maître Millebrenière, notaire à Castellane. Votre père est bien monsieur Richard Valbens, domicilié à Saint-Paul-de-Vence ?

— Possible. Je ne sais pas où il habite, et ça m’est égal.

— Est-il né le 18 septembre 1956 à Grâce ?

— Oui, pourquoi, il est en taule ?

— Décédé, en réalité. Navré de vous l’apprendre ainsi, madame. Je vous présente toutes mes condoléances.

— Je m’en fous.

Un raclement de gorge, matérialisant un grand malaise, se fait entendre. Je reprends :

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Eh bien, je vous contacte par rapport à l’héritage qu’il vous a laissé.

Je pouffe de rire :

— Ah ben du coup, il doit y avoir erreur. Mon père m’a abandonné quand j’avais cinq ans.

— Oui, je sais cela, il m’a tout expliqué. Voyez-vous, il n’a aucune autre descendance, et n’étant ni marié ni pacsé avec son ex-compagne, l’intégralité de ses biens vous revient. Je monte sur Paris la semaine prochaine, pourrions-nous nous rencontrer ?

Je dois m’asseoir tant le choc est grand. Qu’est-ce que ce vieux con a bien pu me léguer ? Une boîte à meuh, en souvenir du temps jadis ?

— Allo, madame Valbens, vous êtes toujours là ?

— Hein ? Euh… oui. D’accord pour la semaine prochaine.

— Disons lundi à quatorze heures, si cela vous convient ? Nous pourrions nous retrouver à l’étude de maître Vicomond ? C’est un confrère qui se situe dans le huitième. Je vous envoie l’adresse et la géolocalisation par SMS, ainsi que la confirmation de notre rendez-vous.

— OK, parfait. À lundi.

Je raccroche. C’est quoi cette arnaque ? Mon père qui me refile son héritage ? C’est suspect, surtout depuis les menaces de mon voisin. Ou bien ce ne sont que des dettes. Je suis certaine qu’il pourrait être assez vicieux pour ça. De mon smartphone, je prends la précaution de rechercher rapidement les deux noms « Millebrenière » et « Vicomond ». Effectivement, ils sont bien tous les deux notaires à Castellane et dans le huitième. Méfiante, je décide de composer le numéro indiqué sur les pages jaunes, on verra bien si je tombe sur le même bonhomme. Une secrétaire décroche, je demande maître Millebrenière. Lorsqu’il répond, je panique, car je n’ai aucune raison raisonnable, disons, de l’avoir rappelé. Je le questionne donc sur le contenu du legs, mais il se refuse à tout commentaire, arguant que nous en discuterons lundi. Ma curiosité encaisse une fin de non-recevoir. Au moins, je sais que mon voisin n’est pour rien dans cette mascarade. Je termine le cadavre, et rentre chez moi, pleine d’interrogations et éreintée. En passant devant la loge, je me sens obligée de prévenir J.J. que je suis responsable de la puanteur et des tâches dans les escaliers, des témoins malintentionnés ont déjà dû me balancer.

Je sonne. Jean-Jacques Vartigue ouvre, ventre et taches grasses en avant. Je bafouille des excuses accompagnées d’excuses qui précèdent et suivent d’autres excuses. Mon concierge me dit qu’il en a vu d’autres, qu’il n’y a rien de grave et que tout est comme neuf. Non, il ne veut pas que je paie ni que je participe aux frais. En revanche, il me serait reconnaissant si je pouvais arrêter d’insister parce que je lui fais rater son téléfilm.

Je rentre chez moi, m’enferme à double tour, et m’affale sur mon canapé. Quelle vie de dingue !

Annotations

Vous aimez lire Virginie Favre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0