CHAPITRE 12 (2/3)

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Arrivée à la maison, une vieille odeur de poubelle me rappelle à l’ordre. Je dois absolument descendre mon sac, sous peine de voir débarquer la police suite à un potentiel signalement anonyme. Mes voisins pourraient croire que j’y dissimule un cadavre tellement ça pue. Allez, courage Zoé ! J’enfile une paire de gants et m’attelle à cette tâche ingrate souvent gracieusement laissée au mâle du foyer. Pas de bol, je suis à la fois l’homme et la femme, étant donné que je vis seule. En soulevant le sac, je m’aperçois que des vers sont déjà apparus. Yeurk ! Ça me dégoûte ! En même temps, vu la canicule, rien d’étonnant à ce que ça macère. Je descends par les escaliers, hors de question de polluer un ascenseur que je ne prends jamais. Le premier étage se passe bien, le second aussi. Le paquet de détritus pèse lourd, du coup, j’accélère la cadence avant qu’il ne lâche. Hélas, on dit que « la peur n’évite pas le danger », et c’est bien vrai. Arrivée au milieu du troisième, mon sac se déchire. Oh putain, la moquette ! J.J. va m’en vouloir, c’est sûr ! Ça pue comme jamais, ça dégouline, c’est immonde. Qu’est-ce que j’ai bien pu mettre dans cette poubelle ? Seigneur, comme j’aimerais m’enfuir et oublier ce tas en putréfaction là où il est ! Impossible, bien sûr ! Mamie a eu la mauvaise idée de reprendre mon éducation en main, et je l’entends presque m’engueuler. Je ne peux pas laisser ça comme ça, ce ne sont pas des choses qui se font, d’autant que certains papiers que j’ai jetés sont à mon nom... Je remonte chez moi en quatrième vitesse, et attrape deux nouveaux sacs poubelle. Tout affairée à ramasser mes ordures, je ne perçois pas mon voisin du quatrième qui arrive. Je ne distingue qu’une silhouette, que j’ai trop honte pour regarder, puis sa voix d’ado en train de muer résonne :

— Alors, on est dans la merde ?

— Très drôle…

Il s’accroupit près de moi, et articule :

— Tu te rappelles quand j’ai dit que j’allais te détruire ? Eh bien, c’est bientôt le moment…

Mon sang se glace tandis que j’ai cette réflexion – heureusement intérieure – et totalement incongrue : est-ce son haleine ou mes poubelles qui chlinguent autant ? Malgré tout, j’arrive à soutenir son regard. Imperturbable, il reprend :

— J’ai eu la chance de faire connaissance avec maman…

Quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ? C’est… impossible !

Comme s’il lisait dans mes pensées, il ajoute :

— Avec internet, aujourd’hui, on peut retrouver n’importe qui. Je n’ai eu qu’à inventer un bobard pour qu’elle m’invite chez elle. Pas très prudente, ta mère.

— Je n’en ai rien à foutre. Tu pourrais la buter, que ça ne me ferait ni chaud ni froid.

Dans un rire sarcastique et un peu trop surjoué, il enchaîne :

— Non, c’est toi qui m’intéresses. D’ailleurs, elle s’est montrée très aimable. Je lui ai dit que j’étais amoureux de toi depuis qu’on s’était rencontré en dernière année d’étude, qu’on avait pris des chemins séparés et que je voulais absolument te revoir. Je sais parfaitement où tu habites, donc mon but était d’en apprendre plus sur toi, pas d’avoir ton adresse.

Non… sans déconner ? Il est finaud, Sherlock.

— D’ailleurs, ce n’est pas très gentil de ta part de ne pas lui avoir donnée.

— J’ai mes raisons. Occupe-toi plutôt de ton cul.

Mon voisin sadique poursuit :

— Elle m’a proposé de passer chez elle pour qu’on puisse discuter de toi, puisque tu ne vas plus la voir.

Putain, ce que ma mère est conne ! C’est génétique, je tiens d’elle, en fait.

Fier de son petit effet, il ajoute :

— À seize heures, elle était déjà bien imbibée, la matrone. J’ai pu profiter de son hospitalité pour regarder un peu partout. J’espère que ça ne va pas te décevoir, mais…

Mon cœur bat vite, et mes membres tremblent fort. J’attends la suite.

— Il n’y avait aucune photo de toi, seulement celles de ton frère. Ton jumeau, m’a-t-elle précisé. Le gamin doit avoir dans les cinq ans, là-dessus.

Mes tempes cognent fort, j’ai mal.

— C’est là qu’elle a tout balancé. Je n’ai pas eu besoin de la pousser, apparemment, elle a la causette facile.

Son sourire machiavélique me transperce le ventre. Ce n’est pas possible… pas ça…

— Maman a expliqué à son futur gendre imaginaire que tu avais tué ton frère. Ce n’est pas gentil, ça…

Je suis incapable de parler, incapable de bouger. Je regarde le visage démoniaque en face de moi. La seule chose que je puisse faire, c’est le scruter. Il s’est fait pousser la moustache et l’a taillée comme celle d’Hitler, et il est coiffé pareil. Pour la première fois, je remarque une croix gammée qui surplombe un « S.S. », tatouée sur son épaule droite. Ce mec est un grand malade. Sa voix me ramène immédiatement dans le présent.

— Je me demandais quand j’aurais l’occasion de te l’apprendre. Il n’y a pas de hasard, l’ascenseur est en panne depuis hier. C’est drôle, la vie, hein ?

Je ne peux m’empêcher de hurler :

— JE N’AI TUE PERSONNE ! JE N’AI RIEN FAIT DE MAL ! Ce n’est pas ma faute si…

Il lève un sourcil montrant son impatience à connaître la suite de ma phrase. Voyant que je n’en dirais pas plus, il enchaîne :

— Ouais, ouais, ouais… il ne me reste plus qu’à découvrir comment. Et quand je le saurai, je te détruirai. Pour de bon. Je t’avais prévenue : faut pas me chercher.

Je le regarde se lever, cracher un molard dans les immondices, et partir en rigolant. Je suis anéantie, ravagée, seule au milieu de mes ordures. Je suis complètement perdue, dans un brouillard si dense que je ne vois pas au-delà de la minute suivante. Je ne pourrais pas supporter une seconde fois ce que j’ai déjà enduré. Je pleure, dans mon dépotoir éparpillé. Je fais tellement de bruit en reniflant que l’une des portes du palier s’ouvre. Une femme d’une cinquantaine d’années me regarde, prend pitié de moi et me lance :

— Dur week-end, hein ? Allons, ce ne sont que des poubelles, on va vous sortir de ce pétrin.

J’essaie de refuser son offre entre deux sanglots, tandis qu’elle appelle son mari :

— Frank ! Y’a la petite qui s’occupe des morts, au cinquième, qui a besoin d’un coup de main. Va l’aider, c’est peut-être elle qui t’aidera plus tard !

Un homme en peignoir bleu foncé et pantoufles rouges passe la porte en arborant un fier « Anti OM, anti Marseillais » sur sa tenue, visiblement celle du PSG :

— Faut pas pleurer pour ça, ça nous est tous arrivé un jour ou l’autre. Enfin, peut-être pas sur de la moquette, et peut-être pas non plus avec cette odeur, concède-t-il. Allez, on en a pour deux minutes, à nous trois.

Il amorce un signe de tête envers sa femme, qui vient nous aider de mauvaise grâce. Je me sens perdue et paniquée. Ils sont gentils, mais ils sont si loin du compte… Je suis en danger, et je dois faire quelque chose. Pour le moment, je suis seulement capable de pleurer.

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