CHAPITRE 12 (1/3)

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Ce week-end s’annonce très calme, et c’est bien parti pour que je m’ennuie autant qu’une croûte de pain oubliée derrière une malle. Ma vie sociale est aussi plate que ma vie sexuelle, c’est dire à quel point je me sens seule. J’ai largué Fabien et mon voisin est en vacances. Pourtant, ma libido est loin de celle de mère Theresa, j’ai donc besoin d’évacuer mes tensions. Malheureusement, je ne peux plus lécher les vitrines avec mamie Henriette. Je déteste tellement cette expression que je me demande pourquoi je l’utilise, car mon cerveau visualise la scène. On adorait ça, toutes les deux. Je dois laisser cela derrière moi, c’est du passé. Quant à Fathia, bon, ben… c’est clairement prématuré, on ne va pas se mentir. En ce qui concerne Clara, c’est mort aussi. Elle décide d’être encore en colère contre moi, et moi, je le suis toujours contre elle. Ma tentative d’honnêteté et d’ouverture de cœur a lamentablement échoué, et je me suis refermée plus vite que mon ombre. C’est ainsi, j’ai un fonctionnement de merde. Je ne suis que moi, et c’est parfois si chiant, que j’aimerai troquer mon cerveau pour un autre plus simple, plus basique, plus… normal. Nous sommes samedi, jour officiel des emplettes, que je dois me contenter de faire sur internet. Après réflexion, je préfère aller voir Fathia dès le matin, mes achats attendront ce soir. Loin de moi l’idée d’être débarrassée de ma visite quotidienne, mais disons que cela me laisse le reste de la journée de libre. Il est onze heures cinquante-huit quand je pénètre dans sa chambre. Elle dort paisiblement. Je décide de lui tenir compagnie une trentaine de minutes, histoire qu’elle ait le temps de sentir ma présence. À quatorze heures douze, je suis encore en train de bouquiner sur ma liseuse, ce roman qui m’absorbe tant. Apparemment, je ne me montre raisonnable ni le jour ni la nuit. J’entends mon amie gémir. Je la regarde, elle semble rêver. J’appose doucement une main sur la sienne, ce qui la calme instantanément. Il est temps pour moi de rentrer, d’autant que je n’ai pris aucun petit déjeuner. J’ai la dalle. J’embrasse Fafa, et file chercher un kebab à emporter. Je le mange dans ma voiture afin d’éviter de le réchauffer au four à micro-ondes. Il est finalement quinze heures vingt-trois quand j’arrive chez moi. C’est vrai que la journée passe vite. À vrai dire, en me levant à onze heures, il n’y a rien d’étonnant.

Aujourd’hui, je me sens suffisamment bien pour me mettre à peindre, même si j’ai conscience que cette fois ne sera qu’une autre étape qui me rapprochera de l’achèvement de mon tableau. Peu importe, car je sais que l’aboutissement se gagne au fil des séances. Et encore, j’ai de la chance, mon escarpin Louboutin est un modèle très calme, et fait montre d’une patience extraordinaire. Il ne bouge pas d’une semelle ! J’ai tout le temps que je veux. Trois heures plus tard, ma toile a bien avancé. Je me rapproche de la fin, je pourrais sans doute la terminer la prochaine fois. Demain, éventuellement. À qui vais-je la confier maintenant que Clara m’a rayée de sa liste d’amis ?

Afin de me vider l’esprit, que je sens s’encombrer dangereusement, je monte sur mon tapis de course. À mon grand étonnement, je tiens bon et parviens à courir quarante-cinq minutes d’affilée. Je suis fière de moi ! Tellement, que je m’ouvre une bière après la douche.

Le dimanche s’annonce aussi peu palpitant que la vielle. Lors de ma visite, Fathia me confie qu’une opération est prévue pour le lendemain. Elle a préféré éviter de m’en parler avant, afin que je ne me fasse pas trop de mouron. Visiblement, sa moelle épinière est coincée par un nerf écrasé entre deux vertèbres. Les médecins lui ont proposé la chirurgie, sachant qu’elle sera délicate. Soit mon amie reste paralysée des membres inférieurs, soient ils tentent l’intervention, et le souci c’est que la moelle épinière risque d’être sectionnée. Je n’ose pas trop demander où est le problème, puisqu’elle m’a expliqué que ses jambes ne lui servent à rien en l’état. Fafa lit dans mes pensées :

— En gros, ils auraient dû m’opérer pendant que j’étais dans le coma. Ils n’ont pas pu le faire, parce que mes constantes n’étaient pas assez stables, et maintenant, il leur faut mon consentement. Enfin, je ne sais plus, un truc du genre, quoi.

— Ah… je comprends.

Franchement, je ne sais pas quoi lui dire pour la rassurer. Elle reprend :

— On y verra plus clair demain ou mardi. Les médecins sont optimistes, tout en restant prudents. Cela serait une chance énorme pour moi de pouvoir remarcher un jour…

Je remarque des larmes qui se forment aux coins de ses yeux, et je peux presque ressentir sa peur et son appréhension. Je tente de la réconforter, tout en gardant à l’esprit que la diplomatie est loin d’être mon fort et que je me dois d’être la plus douce possible :

— Tu sais ma Fafa, au pire, si ça se passe mal, on pourra toujours monter une cagnotte pour un fauteuil électrique, ça sera plus pratique et tu n’auras besoin de personne pour te pousser.

Je vois ses yeux qui s’arrondissent, accompagnés de sanglots. Je comprends alors ma maladresse.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, Fathia. C’était pour te montrer qu’il y a forcément une solution. Je… je suis désolée… pardon, ma Fafa… ça va aller, tu vas vite courir comme un lapin.

Je me sens si conne ! Pire, j’entends ma voix prononcer ces mots, plus stupides que mes pieds :

— Je suis gauche, pardon… Ma pauvre chérie, tu es paralysée des jambes, et moi du cerveau. Regarde, tu as encore de la chance, toi, on peut t’opérer, tandis que moi, c’est foutu, il n’y a rien à faire.

« Tu as encore de la chance », vraiment, Zoé ? Putain, ce que je peux être con ! Je me déteste ! Je me déteste ! Je me déteste ! Ce n’est pas possible d’être aussi débile ! Surdouée ? Mon cul, oui. Si j’obtiens les cinquante de QI, je pourrais presque être fière de moi, tellement je peux être la reine des idiotes ! Pourtant, contre toute attente, mon amie explose de rire, tout en continuant de pleurer. Elle articule avec peine tant les soubresauts lui sont douloureux :

— Zoé, tu es tellement, tellement… toi-même… je ne peux pas t’en vouloir, ça doit être dur d’être toi.

— Je ne te le fais pas dire.

C’est vrai, mais ça fait mal. Je lui souhaite bonne chance pour lundi matin, prends congé en m’excusant encore, et rentre chez moi.

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